Deauville 2020: pouvoir, pression psychologique et rêve américain au palmarès
Le 46ème Festival de Deauville s’est clôturé ce samedi et a décerné plus de prix que prévu. Au palmarès, six films, dont deux premiers long-métrages et quatre signés par des femmes. Si la liste de films primés comporte un film d’époque et un drame, les préférences des jurés vont au thriller psychologique ou à des thématiques précises : pouvoir, argent, succès ou échec… Le rêve américain est disséqué à la lumière d’une époque en plein chamboulement, avec, en grand gagnant du festival, “The Nest” de Sean Durkin – qui a remporté trois prix.
Par Séraphine Bittard.
1. The Nest de Sean Durkin : Grand Prix, prix Fondation Louis Roederer de la révélation 2020 et prix de la Critique
Années 80. Rory, un ancien courtier, convainc sa femme Allison et leurs deux enfants de quitter le confort d’une banlieue cossue des États-Unis pour s’installer en Angleterre, son pays de naissance. Persuadé d’y faire fortune, il loue un vieux manoir en pleine campagne qui deviendra rapidement le terrain d’un jeu psychologique où le pouvoir et l’appât du gain fissurent l’équilibre familial, déjà précaire. Porté par Carrie Coon (The Leftovers, Gone Girl) et Jude Law, The Nest est le deuxième film du Canadien Sean Durkin — qui avait remporté en 2011 le Prix du meilleur réalisateur au Festival de Sundance pour Martha Marcy Marlène —, et sans conteste le grand gagnant du festival avec le Grand Prix, le Prix de la révélation 2020 et le Prix de la Critique.
2. First Cow de Kelly Reichardt : prix du Jury
First Cow, c’est l’histoire de Cookie Figowitz, un cuisinier solitaire et taciturne engagé par des trappeurs. C’est aussi celle de King-Lu, un immigrant d’origine chinoise. Les deux s’associent pour créer une petite entreprise à l’aide d’une vache laitière… Nous sommes en 1820 en Oregon — territoire de prédilection de la réalisatrice Kelly Reichardt —, et par l’amitié improbable entre ces deux protagonistes se fait surtout le récit du rêve américain, ici incarné par une vache à lait. Film d’époque adapté du roman The Half Life de Jonathan Raymond, First Cow promet une vision à la fois tendre et décalée de la conquête de l’Ouest, et un premier rôle principal réussi pour John Magaro, que l’on avait aperçu dans Carol (2016), The Big Short : le Casse du siècle (2015) ou encore la série Orange Is the New Black.
3. Lorelei de Sabrina Doyle : prix du Jury
Un homme qui vient de sortir de prison après avoir purgé une peine de 15 ans pour braquage à main armée. Une mère célibataire qui se bat pour élever ses trois enfants et rêve de partir de l’Oregon pour vivre à Los Angeles. À première vue, rien ne devrait lier Wayland et Dolores… à part qu’ils sortaient ensemble au lycée. Peu après leurs retrouvailles, Wayland emménage chez Dolores et sa famille chaotique, devenant contre son gré la figure paternelle manquante. S’entame alors un récit d’amour, de regret et de secondes chances, campé par Pablo Schreiber (Orange is the New Black, The Wire) et Jena Malone (The Neon Demon, Hunger Games, Inherent Vice). Lorelei est le premier long-métrage de la Britannique Sabrina Doyle, dont le travail fut déjà qualifié par feu Alan Parker de “remarquable […] d’une intelligence rafraîchissante, sérieuse et lyrique”.
4. The Assistant de Kitty Green : prix Fondation Louis Roederer de la mise en scène 2020
Jane, une jeune diplômée qui rêve de devenir productrice vient d’être engagée comme assistante d’un puissant dirigeant, nabab du divertissement. Faire du café, remettre du papier dans la photocopieuse, commander à déjeuner, organiser des voyages, prendre les messages… Sa journée type ressemble à celle de toutes les autres assistantes. Mais alors que des perspectives d’évolution miroitent au loin, Jane fera progressivement l’expérience d’abus insidieux proférés dans l’entreprise. Fable angoissante sur le harcèlement professionnel et première fiction de la réalisatrice australienne Kitty Green — qui s’est fait connaître en 2013 avec son documentaire Ukraine is not a Brothel sur le mouvement Femen ukrainien—, The Assistant promet un thriller social palpitant, sorte de Mad Men post-mouvement #MeToo.
5. Uncle Frank de Alan Ball : prix du Public de la ville de Deauville
En 1973, Beth, encore adolescente, quitte sa campagne natale pour aller étudier à l’Université de New York où enseigne son oncle Frank, un professeur de littérature réputé. Elle découvre rapidement la relation longtemps gardée secrète de son oncle avec un homme, Wally. Lorsque le père de Frank décède brusquement, il est contraint de retourner auprès des siens, accompagné de Beth et Wally, afin d’assister aux funérailles. L’occasion de remettre en perspective la question de l’acceptation de l’homosexualité dans une famille conservatrice d’un État du sud des États-Unis, quand cette orientation sexuelle était encore considérée comme une maladie… Après Tabou(s) en 2007, Uncle Frank est le deuxième long-métrage de l’Américain Alan Ball, tête pensante des séries Six Feet Under et True Blood qui signait aussi le scénario d’American Beauty (1999).
6. Slalom de Charlène Favier : prix d’Ornano-Valenti 2020
À 15 ans, Lyz vient d’intégrer une prestigieuse section ski-études au lycée de Bourg-Saint-Maurice. Son entraineur Fred, ex-champion, mise tout sur sa nouvelle recrue, qui s’investira à corps perdu dans la compétition jusqu’à basculer sous l’emprise totale de son mentor. Premier long-métrage de la réalisatrice Charlène Favier, Slalom raconte la descente aux enfers d’une adolescente tiraillée entre son ambition et sa liberté, dans un milieu où l’exigence est le seul mot d’ordre. Il gagne le prix d’Ornano-Valenti, visant à l’exportation américaine d’un film français.
Découvrez le palmarès complet du 46ème Festival de Deauville :
Grand Prix : The Nest de Sean Durkin
Prix du Jury ex-aequo : First Cow de Kelly Reichardt et Lorelei de Sabrina Doyle
Prix spécial du festival : Barbet Schroeder
Prix de la critique : The Nest de Sean Durkin
Prix du public : Uncle Frank d’Alan Ball
Prix de la révélation : The Nest de Sean Durkin
Prix de la mise en scène : The Assistant de Kitty Green
Prix d’Ornano-Valenti : Slalom de Charlène Favier (prix visant l’exportation américaine d’un film français)