Pourquoi on se réjouit de la Légion d’honneur de Virginie Efira
Sacrée meilleure actrice aux César 2023 pour son rôle de victime d’attentat dans Revoir Paris, l’actrice belge Virginie Efira, 47 ans, est devenue l’une des comédiennes les plus prisées du cinéma français. Alors qu’elle recevra la Légion d’honneur le 14 juillet, retour sur les raisons d’un attachement grandissant.
par Violaine Schütz.
Virginie Efira, l’anti nepo baby
Les Français adorent détester les nepo babies, ces filles et fils de qui bénéficieraient de traitements de faveur en raison de leur patronyme célèbre. Contrairement à certaines stars “bien nées”, Virginie Efira, qui a vu le jour il y a 47 ans à Schaerbeek (pas tout à fait Hollywood), en Belgique, a mérité sa place au soleil. En effet, ses parents n’avaient pas grand chose à voir avec le cinéma. Fille du professeur en hémato-oncologie et médecin en centre hospitalier André Efira, et de Carine Verelst, qui a tour à tour été esthéticienne, artiste et restauratrice dans le Luberon, Virginie Efira n’était pas destinée à devenir actrice.
Lorsque ses parents divorcent, à l’âge de 9 ans, elle grandit auprès de son père à qui elle prendra l’habitude de demander si des patients à lui sont décédés lors de sa journée de travail, quand il rentre à la maison le soir. Cette proximité avec la maladie et la mort explique peut-être pourquoi l’actrice semblera tout au long de sa carrière si ancrée dans le réel et si brillante lorsqu’il s’agit d’incarner le côté tragi-comique de la vie. Comme si tout ceci – le cinéma, les paillettes, l’existence – était une farce, au fond, et que la comédienne glissait au dessus des contingences bassement matérielles.
Petite fille, Virginie Efira ne connaissait pas de réalisateurs, de producteurs et d’acteurs. Le reste de sa famille non plus puisque sa sœur est joueuse de football américain, l’un des frères, peintre, et son autre frère construit des cabanes dans les arbres en Amérique du Sud. Mieux, la Belge qui n’a pas fini ses études au Conservatoire a travaillé longtemps (notamment dans des activités de “doublage”) avant de rafler les meilleurs rôles et les couvertures de magazines. Découverte alors qu’elle était serveuse dans une boîte de nuit bruxelloise et Miss Téquila, elle a commencé sa carrière comme animatrice de télévision, notamment en 1998 sur la chaîne belge Club RTL pour l’émission pour adolescents Mégamix (dont on trouve des extraits succulents sur YouTube).
Suivront bien d’autres aventures cathodiques dans les années 2000, dont Opération séduction, Le Grand Zap, Follement Gay, Absolument 80/90, Classé confidentiel et surtout la Nouvelle Star. Si on est encore loin des films d’auteur, il faut avouer que Virginie Efira est formidable dans le télé-crochet de M6, où elle brille à la fois par sa drôlerie, ses talents d’oratrice et son charme fou. Ce qu’on aime chez elle, c’est ce qu’on adore aussi chez Laure Calamy, qui est devenue bankable sur le tard. L’actrice belge est une bosseuse qui ne semble pas se laisser abattre par les aléas de la vie. Elle prouve qu’on peut se réinventer, sortir des cases et avoir droit à une seconde chance. La comédienne est un véritable manuel de développement personnel à elle toute seule, le côté barbant et mièvre en moins.
Une versatilité folle, de la comédie 20 ans d’écart au plus profond Victoria
Dans les années 2010, comme Virginie Efira vient de la télévision, on lui propose plus volontiers des comédies populaires feel good, souvent sentimentales, que des drames d’auteur. L’amour, c’est mieux à deux, La Chance de ma vie, Mon pire cauchemar, Cookie, Les Invincibles… L’actrice incarne la jolie blonde girl next door, pétillante, sympa, un brin maladroite, d’une beauté renversante mais pas irréelle (elle a des formes, des joues et des ridules, ce qui la rend encore plus séduisante et vibrante). Celle à laquelle on s’attache comme à une amie. Le genre de personnage qu’on imagine courir durant des heures sous la pluie ou la neige avant de pouvoir rouler des pelles à l’être aimé.
La comédienne symbolise à ce moment-là le pendant francophone d’une Reese Witherspoon, d’une Drew Barrymore ou d’une Cameron Diaz. Il y a pire… Son meilleur rôle dans le registre comique et romantique reste celui d’une rédactrice en chef de magazine de mode dans le très réussi 20 ans d’écart (2013), aux côtés du jeune Pierre Niney. Mais à l’instar d’un Matthew McConaughey aux États-Unis ou d’un Channing Tatum, qui ont dû refuser plusieurs films romantiques pour être pris au sérieux, Virginie rêve de rôles plus sombres et complexes que ceux qu’on lui propose.
Tout se joue pour elle en 2016, l’année où elle joue l’épouse d’un violeur dans le troublant Elle de Paul Verhoeven, mais surtout, où elle apparaît dans la comédie dramatique Victoria de Justine Triet, qui s’inscrit dans la veine des chefs-d’œuvre de Billy Wilder et Howard Hawks. La Belge y joue une avocate divorcée et mère de deux enfants au bord de la crise de nerfs. Un personnage qui va lui permettre de démonter un art de la nuance – mêlant joie et mélancolie – comparable à celui de Gena Rowlands. Entre gravité, cocasserie et légèreté, Virginie Efira prouve qu’elle peut passer, en un instant et avec la même authenticité, d’un sourire attendrissant à une tirade lunaire suivie de larmes tout sauf de crocodile.
Même quand elle ne parle pas à l’écran, l’actrice parvient à faire passer dans ses gestes et dans son regard mille émotions et idées, de l’amour transi à la névrose en passant par la tristesse, la folie et l’extase. Parfois, il arrive même qu’elle incarne plusieurs ressentis différents dans la même seconde. Un exploit émotionnel, dont peu d’actrices de sa génération – Virginie Efira boxe dans la même catégorie que Catherine Deneuve et Isabelle Huppert – peuvent se targuer. Il faut ajouter à cette palette dramatique infinie une aura burlesque, loufoque, presque absurde, que la star distille aussi dans la vie, lors d’interviews à l’ironie mordante et à l’autodérision irrésistible. Une incarnation de l’esprit belge, en quelque sorte.
Des rôles de femmes imparfaites, de Sibyl à Un amour impossible
Avec presque dix films ces quinze derniers mois, Virginie Efira est devenue l’une des actrices les plus prisées du cinéma français. Une vraie stakhanoviste perfectionniste et toujours en proie au doute, sous les airs nonchalants et fantasques affichés lors de ses interviews où les blagues fusent. Mais ce qui bluffe le plus chez celle qui a été récompensée aux César 2023 dans la catégorie “meilleure actrice” pour son rôle de victime d’attentat dans Revoir Paris (2022), c’est la pertinence de ses choix.
Modeste employée de bureau éprise d’un bourgeois qui la met enceinte mais refuse de l’épouser dans Un amour impossible (2018), romancière devenue psychanalyste obsédée par l’une de ses patientes, comédienne, dans Sibyl (2019), coiffeuse atteinte d’une maladie incurable qui cherche son enfant né sous X dans Adieu les cons (2020), religieuse lesbienne aux allures de prophétesse dans Benedetta (2021) ou encore belle-mère aussi tendre et amoureuse qu’en souffrance dans Les enfants des autres (2022)…
Tous les rôles lui vont, mais surtout les plus ambigus. Et les plus bouleversants, comme celui de la tante anxieuse d’une petite fille malade dans la série à la fois poignante, féroce et lumineuse Tout va bien, sur Disney+ ou celui d’une mère, seule et dépassée, qui perd la garde de l’un de ses fils dans Rien à perdre (2023).
Virginie Efira a le don pour incarner des femmes complexes aux désirs contradictoires. À l’opposé des rôles féminins issus de male gaze, auxquels les comédiennes ont souvent été cantonnées, et ce, durant des décennies, les personnages subtils et libres de l’actrice sont jubilatoires à regarder, parfois même déstabilisants. Se situant en dehors des clivages binaires (la maman ou la putain, l’intello ou l’ingénue, l’hédoniste ou la fille paumée), l’ex-animatrice affirme devant la caméra qu’une femme peut être mère, avoir plus de 40 ans et être sexy en même temps, émouvante et inquiétante à la fois, mariée mais pas rangée ou asservie.
De quoi favoriser l’identification de milliers de spectatrices et la fascination d’autant de spectateurs. Car cette façon de donner un visage à toutes les facettes des femmes avec une humanité et une justesse phénoménales n’est pas qu’une prouesse technique. C’est presque un acte féministe, qui se passe aisément de discours, voire les dépasse. Coïncidence ? Virginie Efira – qui fait partie du collectif 50/50 prônant la parité à l’écran – se joue aussi des codes patriarcaux dans la vie, s’affichant fièrement aux bras d’un homme plus jeune (l’acteur Niels Schneider), comme l’aurait fait l’un de ses magnétiques personnages de cinéma. Virginie Efira recevra la Légion d’honneur le 14 juillet 2024 – jour de fête nationale – et c’est amplement mérité. L’actrice est effet devenue aussi indispensable au cinéma français qu’à nos vies.