28 mai 2024

Comment Virginie Efira est devenue indispensable au cinéma français

Sacrée meilleure actrice aux César 2023 pour son rôle de victime d’attentat dans Revoir Paris, l’actrice belge Virginie Efira, 47 ans, est devenue l’une des comédiennes les plus prisées du cinéma français. Alors qu’elle est à l’affiche du film bouleversant Rien à perdre, diffusé sur Canal+ ce mardi 28 mai 2024, retour sur les raisons d’un attachement grandissant.

Virginie Efira à la projection de The Shrouds (Les Linceuls) au Festival de Cannes, le 20 mai 2024. Photo par Antoine Flament/WireImage via Getty Images.

1. Virginie Efira, l’anti nepo baby

Les Français adorent détester les nepo babies, ces filles et fils de qui bénéficieraient de traitements de faveur en raison de leur patronyme célèbre. Contrairement à certaines stars « bien nées », Virginie Efira, qui a vu le jour il y a 47 ans à Schaerbeek (pas tout à fait Hollywood), en Belgique, a mérité sa place au soleil. En effet, ses parents n’avaient pas grand chose à voir avec le cinéma. Fille du professeur en hémato-oncologie et médecin en centre hospitalier André Efira, et de Carine Verelst, qui a tour à tout été esthéticienne, artiste et restauratrice dans le Luberon, Virginie Efira n’était pas destinée à devenir actrice. Lorsque ses parents divorcent, à l’âge de 9 ans, elle grandit auprès de son père à qui elle prendra l’habitude de demander si des patients à lui sont décédés lors de sa journée de travail, quand il rentre à la maison le soir. Cette proximité avec la maladie et la mort explique peut-être pourquoi l’actrice semblera tout au long de sa carrière si ancrée dans le réel et si brillante lorsqu’il s’agit d’incarner le côté tragi-comique de la vie. Comme si tout ceci – le cinéma, les paillettes, l’existence – était une farce, au fond, et que la comédienne glissait au dessus des contingences bassement matérielles.

Petite fille, Virginie Efira ne connaissait pas des réalisateurs, des producteurs et des acteurs. Le reste de sa famille non plus puisque sa sœur est joueuse de football américain, l’un des frères, peintre, et son autre frère construit des cabanes dans les arbres en Amérique du Sud. Mieux, la Belge qui n’a pas fini ses études au Conservatoire a travaillé longtemps (notamment dans des activités de « doublage ») avant de rafler les meilleurs rôles et les couvertures de magazines. Découverte alors qu’elle était serveuse dans une boîte de nuit bruxelloise et Miss Téquila, elle a commencé sa carrière comme animatrice de télévision, notamment en 1998 sur la chaîne belge Club RTL pour l’émission pour adolescents Mégamix (dont on trouve des extraits succulents sur YouTube). Suivront bien d’autres aventures cathodiques dans les années 2000, dont Opération séduction, Le Grand Zap, Follement Gay, Absolument 80/90, Classé confidentiel et surtout la Nouvelle Star. Si on est encore loin des films d’auteur, il faut avouer que Virginie Efira est formidable dans le télé-crochet de M6, où elle brille à la fois par sa drôlerie, ses talents d’oratrice et son charme fou. Ce qu’on aime chez elle, c’est ce qu’on adore aussi chez Laure Calamy, qui est devenue bankable sur le tard. L’actrice belge est une bosseuse qui ne semble pas se laisser abattre par les aléas de la vie. Elle prouve qu’on peut se réinventer, sortir des cases et avoir droit à une seconde chance. La comédienne est un véritable manuel de développement personnel à elle toute seule, le côté barbant et mièvre en moins.

2. Une versatilité folle, de la comédie 20 ans d’écart au plus profond Victoria

Dans les années 2010, comme Virginie Efira vient de la télévision, on lui propose plus volontiers des comédies populaires « feel good », souvent sentimantales, que des drames d’auteur. L’amour, c’est mieux à deux, La Chance de ma vie, Mon pire cauchemar, Cookie, Les Invincibles… L’actrice incarne la jolie blonde « girl next door », pétillante, sympa, un brin maladroite, d’une beauté renversante mais pas irréelle (elle a des formes, des joues et des ridules, ce qui la rend encore plus séduisante et vibrante). Celle à laquelle on s’attache comme à une amie. Le genre de personnage qu’on imagine courir durant des heures sous la pluie ou la neige avant de pouvoir rouler des pelles à l’être aimé. La comédienne symbolise à ce moment-là le pendant francophone d’une Reese Witherspoon, d’une Drew Barrymore ou d’une Cameron Diaz. Il y a pire… Son meilleur rôle dans le registre comique et romantique reste celui d’une rédactrice en chef de magazine de mode dans le très réussi 20 ans d’écart (2013), aux côtés du jeune Pierre Niney. Mais à l’instar d’un Matthew McConaughey aux États-Unis ou d’un Channing Tatum, qui ont dû refuser plusieurs films romantiques pour être pris au sérieux, Virginie rêve de rôles plus sombres et complexes que ceux qu’on lui propose.

Tout se joue pour elle en 2016, l’année où elle joue l’épouse d’un violeur dans le troublant Elle de Paul Verhoeven, mais surtout, où elle apparaît dans la comédie dramatique Victoria de Justine Triet, qui s’inscrit dans la veine des chefs-d’œuvres de Billy Wilder et Howard Hawks. La Belge y joue une avocate divorcée et mère de deux enfants au bord de la crise de nerfs. Un personnage qui va lui permettre de démonter un art de la nuance – mêlant joie et mélancolie – comparable à celui de Gena Rowlands. Entre gravité, cocasserie et légèreté, Virginie Efira prouve qu’elle peut passer, en un instant et avec la même authenticité, d’un sourire attendrissant à une tirade lunaire suivie de larmes tout sauf de crocodile. Même quand elle ne parle pas à l’écran, l’actrice parvient à faire passer dans ses gestes et dans son regard mille émotions et idées, de l’amour transi à la névrose en passant par la tristesse, la folie et l’extase. Parfois, il arrive même qu’elle incarne plusieurs ressentis différents dans la même seconde. Un exploit émotionnel, dont peu d’actrices de sa génération – Virginie Efira boxe dans la même catégorie que Catherine Deneuve et Isabelle Huppert – peuvent se targuer. Il faut ajouter à cette palette dramatique infinie une aura burlesque, loufoque, presque absurde, que la star distille aussi dans la vie, lors d’interviews à l’ironie mordante et à l’autodérision irrésistible. Une incarnation de l’esprit belge, en quelque sorte.

 

Virginie Efira au Festival international du film de Marrakech International, le 12 novembre 2022, au Maroc. Photo par Stephane Cardinale – Corbis/Corbis via Getty Images.