Megalopolis de Francis Ford Coppola ou le traitement rétrograde des femmes au cinéma
Le réalisateur Francis Ford Coppola file la métaphore de la Rome antique tout au long de son film Megalopolis, présenté hier au Festival de Cannes 2024. Mais le traitement – volontaire ou non – de ses personnages féminins reste extrêmement daté. La plupart resteront de simples objets de désir au service des hommes.
Par Alexis Thibault.
Megalopolis, le film tant attendu de Francis Ford Coppola présenté au Festival de Cannes 2024 sort en salle
Il est 16h45 et c’est sous un tonnerre d’applaudissement que débute la séance presse de Megalopolis lors du dernier Festival de Cannes. À l’écran, un simple logo a provoqué cet enthousiasme général, celui d American Zoetrope, la société de production fondée par Francis Ford Coppola et George Lucas en 1969. Dans la valise : Apocalypse Now (1979), Le Parrain 3 (1990), Dracula (1992) ou plus récemment Mainstream de Gia Coppola (2020) et Priscilla de Sofia Coppola (2023). La séance s’achève deux heures et vingt minutes plus tard et laisse la plupart des spectateurs dubitatifs.
Résumé à chaud : “Bon courage à ceux qui parleront immédiatement du film pour publier leur critique dès la levée de l’embargo à 21h00…” Numéro s’est déjà demandé si le film était vraiment si décevant (dans l’article de notre reporter Olivier Joyard), il est donc temps d’aborder un sujet épineux : le traitement des personnages féminins par Francis Ford Coppola dans son Mégalopolis, projet ambitieux au scénario réécrit à maintes reprises et dont le tournage, interrompu également plusieurs fois, avait débuté… en 2001.
Les femmes de la Rome Antique
Megalopolis consiste en une épopée romaine, une tragi-comédie, une pantomime qui moque une Amérique vérolée. Il est question ici de décadence, de jeux de pouvoir, d’amour, d’argent, de sexe et de philosophie. On y suit un architecte (Adam Driver) qui cherche à repenser la ville de New Rome et s’oppose alors au maire conservateur Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito). La fille de l’homme politique, Julia Cicero, jet-setteuse incarnée (maladroitement) par Nathalie Emmanuel s’éprend alors de l’architecte… Dans la Rome antique, les femmes étaient inféodées aux hommes. Leur rôle social se résumait à enfanter, donner du plaisir ou parfois conseiller – ou plutôt rassurer – leur conjoint. Et juridiquement, une Romaine n’était jamais autonome. Tandis que Mégalopolis file volontairement la métaphore de la Rome Antique, Francis Ford Coppola coche toutes les cases, sa représentation des personnages féminins se résume exactement à cela : enfanter, donner du plaisir et conseiller… parfois.
Des personnages féminins au service des hommes
Il est fort dommage que, dans Mégalopolis, la femme lorsqu’elle n’est pas de l’ordre du rêve ou du souvenir, soit réduite à une jambe interminable, celle que l’on hisse par exemple sur un cheval blanc factice façon Bianca Jagger au Studio 54. Il suffit simplement de présenter les personnages féminins pour se rendre compte de la vision anachronique du scénariste et réalisateur. Nathalie Emmanuel incarne donc Julia Cicero la fille du maire qui écume les boîtes de nuit et cherche à s’émanciper de son père. Il paraît même qu’elle est lesbienne. En tout cas c’est ce que l’on dit d’elle parce qu’elle embrasse parfois des femmes. Toujours est il que le (faible) développement de son personnage dépendra surtout de sa relation avec un homme…
Aubrey Plaza campe quant à elle Wow Platinum, une journaliste excentrique et provocatrice qui n’hésitera pas à jouer de ses charmes pour obtenir ce qu’elle souhaite… Tiraillée entre les hommes, elle reste un objet de désir. Au cinéma, la femme journaliste est toujours irritante. Quant à la géniale Kathryn Hunter (The Tragedy of Macbeth, Pauvres créatures), elle ne jouira que de quelques lignes de dialogue pour tenter de conseiller ou de rassurer son mari, le maire Frank Cicero.
La retranscription de cette Rome Antique ne manque pas sa cible, mais est-ce vraiment ce que l’on attend d’un long-métrage comme celui-ci ? Chaque personnage de Coppola tient ici du fantasme, et leur rôle social reste tantôt fondamental, tantôt improbable voir burlesque. À l’image de Mégalopolis qui oscille sans cesse entre le tour de force cinématographique et l’œuvre kitsch. Finalement, la seule qui crèvera l’écran sera un homme, l’acteur Shia LaBeouf, personnage pseudo-queer s’affichant avec des “attributs féminins”.
Le film Megalopolis (2024) de Francis Ford Coppola, en salle le 25 septembre.