Pamela Anderson, Kim Kardashian… Assiste-t-on à la revanche des bimbos ?
Entre le retour au cinéma de Pamela Anderson dans le film The Last Showgirl et la série Culte, qui met en scène une actrice (Marie Colomb), jouant le rôle de la star de la télé-réalité Loana, la figure de la bimbo continue de fasciner la pop culture. Pourtant, ces personnalités à la féminité exacerbée sont toujours victimes des préjugés. Décryptage d’une tendance à double tranchant avec l’autrice et réalisatrice Edie Blanchard, qui a consacré un essai passionnant aux bimbos.
propos recueillis par Violaine Schütz,
introduction par Jordan Bako.
Publié le 6 mars 2025. Modifié le 9 mars 2025.
La figure de la bimbo, objet de fascination et sujet de controverses
Entré au Petit Larousse seulement en 2007, le terme “bimbo” n’a pas attendu que les dictionnaires se mettent à la page pour s’imposer comme un phénomène de la pop culture. Marilyn Monroe, Jayne Mansfield, Mae West, et quelques années plus tard Anna Nicole Smith et Pamela Anderson… Depuis les années 50, la liste des femmes qui ont été renvoyées à ce stéréotype est interminable.
L’archétype de la bimbo ? La fameuse blonde bombshell – cette blonde atomique si on le traduit de façon littérale : une jeune femme à la chevelure peroxydée, bien trop souvent reléguée à une plastique généreuse et une certaine niaiserie. Plus encore, l’opinion publique accole à la bimbo des mœurs légères pour justifier toutes les débâcles autour de ces femmes qui n’avaient rien demandé.
Slut-shaming, vols de sex tapes ou photos de paparazzis tapageuses au possible… Elles deviennent des cibles de choix pour les tabloïds qui les jettent en pâture à l’ire des lecteurs. Tous les coups semblent permis puisque les bimbos fascinent autant qu’elles ne repoussent.
Vers une réhabilitation de la bimbo dans la pop culture ?
La mouvance se poursuit jusqu’au début des années 2010 à travers des figures telles que Britney Spears, Paris Hilton et Kim Kardashian. Le terme s’exporte en France : maintes figures controversées se retrouvent à leur tour assimilées – voire incriminées – à des bimbos, à la manière de Nabilla et Zahia Dehar.
Mais ces dernières années, la pop culture semble avoir entrepris un véritable travail de réhabilitation de la bimbo. Avec 5 millions de followers sur TikTok, l’influenceuse et artiste Chrissy Chlapecka s’érige en figure de proue du #BimboTok (qui consiste à en donner une image positive). Le mouvement se poursuit dans nombre de productions audiovisuelles : de la série Culte qui retrace l’avènement du phénomène Loft Story au film Diamant brut (2024) qui reçoit trois nominations aux César 2025, sans oublier le retour triomphant de Pamela Anderson dans la sphère publique avec un documentaire Netflix qui lui est consacré et le long-métrage The Last Showgirl…
La bimbo est-elle là pour rester ? Les reconfigurations modernes de la bimbo suffiront-elles à les délester des critiques franchement misogynes qui leur sont accolées ? Numéro a rencontré la réalisatrice et autrice Edie Blanchard, qui a récemment publié aux Éditions JC Lattès un brillant essai intitulé Bimbo : Repenser les normes de la féminité. Un ouvrage aussi intime que politique, qui examine et déconstruit les stigmates insidieux qui pèsent au quotidien sur les femmes à la féminité exacerbée. Entretien.
L’interview d’Edie Blanchard, autrice de l’essai Bimbo : Repenser les normes de la féminité
Numéro : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre sur la figure de la bimbo ?
Edie Blanchard : Suite à une rupture, je me suis questionnée : « Moi qui ait toujours aimé m’habiller sexy, est‐ce que je le faisais pour mon plaisir ou pour que mon ex m’aime et me désire plus que tout ? » Puis d’autres réflexions sont apparues : “D’où vient le lien que la plupart d’entre nous établissons entre le degré de séduction d’une tenue et l’intelligence de celle qui la porte ? Pourquoi j’adore l’hyperféminité chez moi, mais si je vois d’autres femmes s’habiller comme de la même manière, je les juge (souvent) ? Peut‐on être féministe tout en cherchant à être sexy ?” J’ai voulu plonger au cœur de mes contradictions et déjouer tous les clichés autour du fait de s’habiller sexy, court, pailleté ou en rose. Et pour m’aider, j’ai décidé de me pencher sur la figure de la bimbo, avec laquelle j’ai grandi car elle incarne un peu le paroxysme de mes interrogations… Pourquoi la bimbo fascine tout en étant aussi méprisée ?
Comment définiriez-vous une bimbo ?
La bimbo, dans l’imaginaire collectif, c’est une blonde aux gros seins, qui a fait de la chirurgie esthétique, et qui est un peu idiote. Mais en étudiant de plus près ce terme, j’ai réalisé que de nombreuses femmes ont pu être appelées sans avoir toutes ces caractéristiques. “Bimbo”, c’est surtout une étiquette qu’on attribue à des femmes pour leur signaler, inconsciemment, de se taire, pour les mettre de côté ou les réduire à des statuts d’objets. On que “l’habit ne fait pas le moine“, alors pourquoi l’habit ferait-il la bimbo ? Comme l’a dit l’actrice Zahia Dehar, dans un entretien à Sofilm : “N’importe qui peut être une bimbo : une architecte ou une ingénieure peut avoir envie d’aller à moitié nue dans les bars et de s’éclater… Mais si elle le fait, on viendra l’effrayer avec des mots comme “traînée””,“bimbo” ou “une fille facile”. On ne devrait pas avoir des termes aussi réducteurs pour désigner nos choix personnels, car nous sommes toutes des bimbos à un moment dans notre vie !” Très vite, j’ai compris qu’écrire sur la “bimbo”, c’était écrire sur toutes les femmes.
“Interroger la figure de la bimbo, c’est politique à pleins d’égards !” Edie Blanchard
Qui sont pour vous les bimbos actuelles ?
Certaines personnes se rapprochent de cette figure en jouant avec les codes de l’hyperféminité. Sabrina Carpenter en est un exemple. Elle se met en scène en porte-jarretelles, corset, avec une blondeur parfaite et du rose bonbon. Mais elle n’a pas la morphologie qu’on attribue habituellement aux bimbos par exemple. Kim Kardashian elle est souvent appelée ainsi, mais pourtant elle gère son business, étudie à l’université, alors qu’on décrit les bimbos comme forcément idiotes, passives. Donc pour moi la “bimbo” n’existe pas, c’est un terme fourre-tout. Il n’y a pas de CV type ! Aujourd’hui, la figure de la bimbo est réinventée sur les réseaux sociaux, notamment avec le mouvement #BimboTok. L’idée est de montrer qu’on peut être sexy de plein de manières différentes. On peut investir son corps comme on le souhaite, qu’importe son genre, son poids… L’important est de se plaire à soi. C’est aussi une manière de questionner ce qui est féminin ou masculin : pourquoi l’un serait plus superficiel ou provoquant ? Pareil, avec un même vêtement, selon la femme qui le porte et ce à quoi ressemble son corps, elle ne sera pas jugée de la même manière. Interroger la figure de la bimbo, c’est politique à pleins d’égards !
Pourquoi cette figure vous touche-t-elle autant ?
La bimbo me passionne parce qu’elle se fait souvent juger à tort et représente une féminité exacerbée que la plupart des gens moquent, mais qui nous concernent tous : nos tenues ne disent rien de nous, et en le reconnaissant, en arrêtant je juger les autres femmes, on se fait aussi le cadeau d’être libres, de ne pas s’enfermer dans une case ! Et puis ce qui m’intéresse dans l’archétype de la bimbo, c’est ce malentendu : les femmes qu’on associe au terme bimbo n’ont pas à être méprisées. On se trompe d’ennemis. C’est hypocrite de reprocher aux femmes de s’intéresser à ce que la société exige par le biais du capitalisme et du male gaze : il faudrait être toujours plus jeunes et bien foutues… Et à cause de ces injonctions, certaines femmes veulent à tout prix être dans la perfection. Car on nous fait croire que c’est comme ça qu’on sera aimées, désirées. Je propose dans mon livre une réflexion selon laquelle on pourrait évidement s’habiller sexy, s’amuser, être libre, mais aussi comprendre la limite de tout ça : cette quête de la perfection peut nous faire souffrir. C’est aussi ça qui fait que je suis touchée par la figure de la bimbo.
“Le problème ne vient pas des tenues en elles‐mêmes, mais des regards que l’on porte dessus, car un vêtement ne définit jamais une personne.” Edie Blanchard
Les bimbos sont toujours victimes des préjugés et souvent jugées par la société comme étant trop sexy ou vulgaires… En quoi les critiques qu’elles subissent sont-elles sexistes ?
Les femmes reçoivent énormément d’injonctions, notamment physiques et il faudrait toujours mesurer, ne pas être “trop”… Je dis d’ailleurs, dans le livre, que les femmes ne sont pas des “verres doseurs”. Les femmes n’ont de compte à rendre à personne ! Et puis croire que s’habiller sexy est forcément une invitation ou que c’est le synonyme d’être une fille facile, c’est évidemment faux ! Le problème ne vient pas des tenues en elles‐mêmes, mais des regards que l’on porte dessus, car un vêtement ne définit jamais une personne. Nos corps nous appartiennent ! Il faut arrêter avec ces stéréotypes sexistes.
En quoi se revendiquer bimbo peut constituer un acte féministe ?
Être féministe c’est inclure toutes les féminités, et ensemble on est plus fortes, n’est-ce pas ? Prendre de la place, ne subir aucune injonction est, selon moi, féministe. La bimbo est “trop”, et ne demande l’autorisation à personne pour faire quoi que ce soit ! Et puis en quoi ce serait féministe de renoncer au rose et aux paillettes ? En quoi interdire les manucures pourrait être considéré comme une avancée ? En quoi ne plus jouer à la Barbie ferait des petites filles de futures militantes ? On interdit rien aux hommes, alors pourquoi devrait-on devrait demander aux femmes de se priver de choses qu’elles aiment ?
Avec la série Culte (2024) qui met en scène une actrice (Marie Colomb) jouant le rôle de la star de télé-réalité Loana, le film Diamant brut (2024), centré sur une jeune femme qui veut réussir dans la télé-réalité, et bientôt, le retour de Pamela Anderson dans The Last Showgirl, la bimbo revient sur le devant de la scène. Pourquoi cette nostalgie ?
Plus qu’un sentiment de nostalgie, il y a un besoin de revalorisation. La période post #MeToo, durant laquelle on s’est mis à écouter les femmes, a permis de montrer d’autres facettes de celles que l’on pensait connaître : du documentaire Netflix consacré à Pamela Anderson (Pamela, a Love Story) à la sortie de l’autobiographie de Britney Spears, La Femme en moi, on découvre les histoires de celles qu’on a longtemps considéré comme des “bimbos”. On comprend enfin ce qu’elles ont vécu, ce qu’elles ont subi alors qu’elles étaient regardées avec condescendance. C’est une approche qu’on a encore peu explorée, cette question de l’hyperféminité, et ça fait du bien. Cela nous réconcilie avec nous-mêmes, avec les autres femmes, autour de valeurs comme la “gentillesse” qu’on méprisait encore il y a peu.
Bimbo : Repenser les normes de la féminité (2024) d’Edie Blanchard, disponible chez JC Lattès.