“C’est très agréable de jouer des connards.” Retour sur notre rencontre avec Christian Bale
Un Oscar en poche pour son rôle dans The Fighter en 2011, l’acteur britannique est une star hollywoodienne incontestable. Il revient aujourd’hui avec des kilos supplémentaires et incarne Dick Cheney, ancien vice-président des États-Unis sous l’administration George W. Bush. Un jour décharné, le lendemain bodybuildé Christian Bale s’exprime avec le phrasé d’un lord.
Propos recueillis par Véronique Dupont.
“Certains d’entre vous pensent sans doute que je suis un monstre. Sachez que je n’ai aucun regrets. J’ai fait ce qui devait être fait.” Face caméra, Dick Cheney, vice-président sous l’administration Georges W. Bush évoque ses multiples décisions dans une Amérique malmenée par la guerre en Irak et qui se remet difficilement de l’attentat du World Trade Center. Sous les traits de ce planificateur hors pair sévissant dans l’ombre, Christian Bale est à la fois somptueux et terrifiant. Somptueux parce qu’il livre une interprétation saisissante dans Vice, le long-métrage d’Adam McKay – à la fois biopic et comédie dramatique – terrifiant parce que son monologue révèle à lui seul les arcanes du pouvoir, entre sacrifices et jeux de dupes…
Dans L’Empire du soleil de Spielberg, Christian Bale avait onze ans. Il y a peu, l’acteur a fêté ses 44. Encore gamin, il participe à ses premières boums dans Swing Kids et Newsies, une comédie musicale produite par Disney. Crise d’identité dans Velvet Goldmine, l’histoire d’un adolescent gringalet au délire glam’rock. Dans Shaft de John Singleton, l’acteur campe un parfait connard aussi provocateur que manichéen. C’était juste après avoir raflé le rôle de Patrick Bateman au nez et à la barbe de Leonardo DiCaprio dans American Psycho. Par la suite, le Gallois cochera toutes les cases d’un formulaire parfait : le sinistre Machinist (2004), l’épique trilogie Batman de Christopher Nolan ou le fabuleux Prestige du même cinéaste. La consécration attendra 2011, il obtient l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour sa prestation dans le drame de David O. Russell The Fighter. Aujourd’hui sur le devant de la scène, Christian Bale se perd dans le Grand Ouest de Scott Cooper. Dans Hostiles, il incarne le Capitaine Joseph Blocker, ancien héros de guerre devenu gardien de prison, contraint d’escorter un chef de guerre Cheyenne mourant, sur ses anciennes terres tribales. Un western au scénario sur mesure, justement imaginé pour Christian Bale. Encouragé par une mère clown et danseuse de cirque, un père pilote de ligne et toute une tripotée d’aïeux comédiens, l’acteur a grandi sur les plateaux de tournage. Un jour décharné, le lendemain bodybuildé à grand renfort d’exercices et de protéines, il s’exprime avec le phrasé d’un lord. En tout cas, c’est ce que Numéro avait pu constater.
Numéro : Ça vous plaît de jouer des connards ?
Christian Bale : C’est très agréable ! Et beaucoup plus simple que de jouer des braves types. Les gens sont toujours fascinés par la méchanceté. Donc c’est bien plus facile d’attirer leur attention en jouant un méchant. Jusqu’à Shaft et American Psycho, j’avais plutôt peur de traîner toute ma vie une étiquette de gentil.
Vous aviez raflé le rôle à DiCaprio, c’est votre pire ennemi à Hollywood depuis ?
Non. Je le respecte en tant qu’acteur et pour avoir aimé le script d’American Psycho à l’époque ce qui prouve qu’il a bon goût. Il y avait juste un petit problème : c’était MON rôle.
Alors qui est votre pire ennemi à Hollywood ?
Je crois que c’est la bêtise. Et c’est probablement celui de tout le monde. Il y a tellement de pression pour un nivellement vers le bas. La moitié des gens de l’industrie sont créatifs, l’autre considère juste les films comme des investissements. Mais les gens les plus inspirés parviennent parfois à donner une dimension plus artistique aux films.
“Beaucoup d’enfants jouent bien la comédie, parce qu’ils ne pensent pas aux récompenses.”
Après avoir joué des types horribles et exprimé les plus vils sentiments qui sommeillaient en vous, vous devez être le garçon le plus gentil de la Terre ?
Oui, j’ai tout fait sortir et, du coup, dans la vie, je suis un peu guimauve.
Vous aimez travailler en Europe ?
Honnêtement, ça m’est égal. J’aime voyager, changer d’endroit tous les deux ou trois mois. Je crois que j’aurais pu faire n’importe quel métier qui m’aurais permis de voyager. Est-ce que j’ai envie de travailler seulement en Angleterre ? Est-ce que j’ai envie de travailler seulement aux États-Unis ? Je veux faire les deux.
Comment vivez-vous le fait d’être un acteur britannique à Hollywood ?
Au début, c’était une nécessité. Je ne trouvais pas de travail en Angleterre. J’espère que ça aurait fini par changer, mais je ne suis pas particulièrement patriote.
Vous avez commencé à jouer très jeune, à onze ans. Vos parents vous ont poussé ?
Mes parents m’auraient déshérité si j’étais devenu banquier ou si j’avais fait n’importe quelle profession où il faut porter un costume. Alors, l’idée de devenir acteur en leur a jamais semblée stupide. Au début, je n’envisageais pas d’en faire une carrière, c’était juste quelque chose que j’aimais faire. Je crois que beaucoup d’enfants jouent bien la comédie, parce qu’ils ne pensent pas vraiment au résultat ni aux récompenses. Il me semble qu’il faut savoir garder ce regard désintéressé pour être un bon acteur.
Est-ce qu’un acteur peut devenir meilleur en travaillant ? Ou est-ce un don ?
Les deux. C’est un don, parce qu’il n’y a pas grand-chose qui puisse être enseigné, c’est instinctif. Vous savez qu’il y a des choses que vous êtes capable de faire et d’autres non. À mon avis, les écoles sont bien pour créer des contacts, des rencontres, pour donner confiance en soi, mais je crois que tout le monde sait comment il faut faire. En fin de compte, le travail peut vous faire progresser si vous travaillez avec des personnes qui sont douées.
“Mes parents m’auraient déshérité si j’étais devenu banquier ou si j’avais fait n’importe quelle profession où il faut porter un costume.”
“Je suis un mauvais menteur. J’ai déjà eu des problèmes avec les autorités, et je m’en suis sorti au bluff.”
Quelles ont été les rencontres les plus importantes que vous ayez faites ? Et les personnes qui vous ont le plus inspiré ?
Je n’ai jamais pris de cours de théâtre, donc je n’ai jamais eu de professeur. J’ai travaillé avec certains des meilleurs acteurs du monde, mais est-ce qu’ils m’ont appris quelque chose ? Je crois qu’ils font simplement ce qu’ils sentent, être juste pour le rôle, et c’est aussi ce que j’essaie de faire. Il faut tout simplement avoir confiance en ses propres croyances et instincts. Mon père m’a inspiré. Après avoir fait L’Empire du soleil [1987], j’étais assez déprimé, je n’aimais plus jouer. Et mon père m’a fait comprendre que c’était le résultat que je n’aimais pas, pas le fait de jouer. Et il m’a dit de toujours garder en mémoire les raisons qui me poussent à faire ce métier, parce que c’est comme ça qu’on conserve sa passion. Sans cela, je crois que j’aurais abandonné il y a longtemps.
Quel est le meilleur conseil qu’il vous ait jamais donné ?
Probablement, d’écouter ma mère, ce que je n’ai jamais fait, malheureusement. Ma mère me disait toujours de garder ma veste sur moi, ce que j’ignorais royalement.
Dans la vraie vie, êtes-vous un bon menteur ?
Je suis terriblement mauvais. Mais je m’améliore avec le temps. J’ai déjà eu quelques petits problèmes à régler avec les autorités, et je m’en suis très bien sorti au bluff.
Quel genre de situations ?
Rien dont j’ai tellement envie de parler en détail… Mais, par exemple, s’exercer en cas d’amende pour excès de vitesse ou pour un stationnement interdit est un très bon entraînement.
À force de passer d’un personnage à l’autre, savez-vous encore qui vous êtes vraiment ?
Qui donc peut en être sûr ? Je sais ce qui est important pour moi, et qui sont les gens que j’aime. Mais à part ça ! Je vois mes personnages comme une émanation de moi, parce que j’ai choisi de les interpréter. Et je crois que jouer permet de penser plus souvent à tout ça, parce que vous réalisez à quel point le cours d’une vie peut basculer pour un rien, une humeur ou un sentiment.