Cannes 2023 : que penser de l’ultime Indiana Jones de Harrison Ford ?
Energique, mélancolique mais jamais nostalgique, Indiana Jones et le Cadran de la destinée, le dernier opus de la saga avec Harrison Ford, est une sortie par le haut. Avec l’arrivée de Mads Mikkelsen et de Phoebe Waller-Bridge au casting, il n’est question ici que de mise en scène pure, poursuites dans la casbah de Tanger et fusillade dans une grotte.
Par Olivier Joyard.
Indiana Jones et le Cadran de la destinée : un nouvel opus de la saga signé James Mangold
Le cinéma est-il une relique, un curieux objet autrefois aimé que l’on regardera bientôt dans le rétroviseur ? Cette petite musique court depuis au moins l’après-guerre et l’apparition de la télévision. Certaines cinéastes en ont fait un sujet profond, Jean-Luc Godard exemplairement. A l’autre bout du spectre, Hollywood a également pris sa part dans le débat, et la franchise Indiana Jones, avec son personnage principal d’archéologue, n’y est pas pour rien. Conçue par le duo Lucas/Spielberg pour réactiver les films d’aventure de leur enfance, la saga du héros au chapeau, fouet et boots vient de traverser tranquillement quatre décennies, jusqu’à ce printemps où Indiana Jones et le Cadran de la destinée vient clore l’affaire. Avec un Harrison Ford, 80 ans aujourd’hui, qui rempile pour la dernière fois.
Jeudi soir, la présentation du film réalisé par le passionnant James Mangold (Logan, Copland, notamment) a produit un effet étrange : bien que sélectionné hors-compétition au Festival de Cannes, ce blockbuster de 2h34 avait toute sa place parmi les expériences de cinéma cannoises, peut-être plus que jamais. Alors que le scénario – récupérer un objet antique capable de créer des failles spatio-temporelles – tient sur un post-it et pourrait inciter à activer la pure nostalgie d’un héros qui ne peut plus être celui qu’il a été, le film prend le contrepied de toute posture mortifère et affiche à la fois les limites d’Indy et son désir intact. L’action ne ralentit presque jamais, non pas parce qu’il faudrait faire semblant que tout est comme avant, mais parce qu’il n’y a plus une minute à perdre.
La dernière danse de Harrison Ford, aux côtés de Mads Mikkelsen et Phoebe Waller-Bridge
Tout commence par une longue introduction où Harrison Ford rajeuni par la magie numérique (un procédé de “de-aging” déjà utilisé par Martin Scorsese dans The Irishman) se bat sur le toit d’un train avec l’agilité d’un chat. Sans transition, nous le retrouvons dans son appartement new-yorkais, le jour de son départ à la retraite en tant que professeur. Réveillé par de jeunes voisins qui commencent une after à 8 heures du mat, il se lève, torse nu et cette fois sans effet numérique. Plus besoin de faire semblant : Indiana Jones est un vieil homme. What you see is what you get.
Dans sa quête pour retrouver le cadran de la destinée (et empêcher les nazis – menés par Mads Mikkelsen – de mettre la main dessus avant lui), Indy est accompagné d’un enfant d’une quinzaine d’années (le français Ethan Isidore) et d’une trentenaire so british à la fois émouvante et sèche, jouée par Phoebe Waller-Bridge, la géniale créatrice de la série Fleabag. Indy a passé l’âge de toute entreprise de séduction crédible. Le film emprunte ses pas : il n’est question ici que de mise en scène pure, poursuites dans la casbah de Tanger, stress sous-marin avec des murènes, fusillade dans une grotte. Sans fioritures.
Un regard modeste et profond sur le monde, non sans mélancolie
L’échec du précédent opus (Indiana Jones et le crâne de Cristal, 2008) était d’avoir fait de la transmission un enjeu narratif, quand le héros rechignait à laisser sa place. La sur-scénarisation guettait. Ici, il n’est pas question de cela. S’il s’écoutait, Indy mourrait seul loin des siens, tant il se sent inutile. Les autres le ramènent à la raison. Cela donne au film un élan vital, même si certains passages, trop étirés, donnent le sentiment de tirer à la ligne. On se demande alors ce que raconte vraiment James Mangold, avant de comprendre que, sans céder à la nostalgie, Indiana Jones et le Cadran de la destinée s’est donné pour sujet une forme élégante de mélancolie. Celle de l’âge d’un homme, celle du cinéma en tant qu’art populaire. Derrière le bruit et la fureur qui nous enthousiasment, des détails nous émeuvent: c’est un reflet où Harrison Ford se regarde dans le hublot d’un avion, c’est un geste d’amour venu de nulle part qui donne du poids au présent. Cela ne se fait jamais avec l’idée de rendre le passé idéal. Le dernier mouvement du film, que nous ne dévoilerons pas, est exemplaire sur ce point.
Au même moment, Black Flies de Jean-Stéphane Sauvaire connaissait les honneurs de la compétition cannoise. Avec Sean Penn et Tye Sheridan lancés dans la nuit new-yorkaise, le film raconte les galères d’urgentistes au bout du rouleau, avec une complaisance absolue pour le spectacle de la misère humaine et une croyance ringarde dans le fait que secouer la caméra provoque de la tension. Pour chercher de la mise en scène, c’est-à-dire un regard sur le monde, modeste et profond, c’est bien vers Indiana Jones et le Cadran de la destinée qu’il fallait se pencher. La beauté cannoise se niche dans ce genre de paradoxe.
Indiana Jones et le Cadran de la destinée de James Mangold. Sortie française le 28 juin.
A noter ce vendredi 19 mai à 22h30 sur Arte, la diffusion sur Arte du passionnant documentaire Indiana Jones, à la recherche de l’âge d’or perdu réalisé par Clélia Cohen et Antoine Coursat. En replay sur Art.tv jusqu’au 28/06.