26 nov 2018

Bernardo Bertolucci, le réalisateur italien en 4 films cultes

Le réalisateur du sulfureux Dernier tango à Paris (1972) est décédé ce matin à l’âge de 77 ans. Grand nostalgique de la Nouvelle Vague et adepte des sentiments complexes et obsessionnels, Bernardo Bertolucci a ancré son style sentimental et transgressif dans ses œuvres. Retour sur sa carrière, à travers quatre films emblématiques. 

Photographie : Valerie Macon

Le dernier tango à Paris, Le Dernier Empereur, mais aussi Innocents – The Dreamers… le cinéaste Bernardo Bertolucci, décédé aujourd’hui à Rome des suites d’un cancer, a marqué le cinéma d'une empreinte impérissable. Fils aîné du poète Attilio Bertolucci, le réalisateur et scénariste a longtemps cherché à s’extirper du milieu social privilégié dans lequel il a grandi. Cette éducation bourgeoise fait de lui un enfant de bonne famille, mais mal dans sa peau, qui souhaite explorer ses propres limites. C'est ce qu'il fera tout au long de sa carrière. Auprès de réalisateurs comme Pier Paolo Pasolini et Jean-Luc Godard, Bertolucci va se faire la main dans les années 1960 avec les films La Commare Secca (1962) et Partner (1968). Il s'illustre aussi comme scénariste pour Il était une fois dans l’Ouest (1969) aux côtés de Sergio Leone, comme pour Le Dernier Empereur (1987) – dont il est aussi le réalisateur – et qui remporte neuf oscars, notamment celui du meilleur réalisateur et du meilleur film.

 

Bertolucci entretient une véritable passion pour le cinéma de la fin des années 1950 et le Paris post-1968. Ces influences sont perceptibles dans le scandaleux et transgressif Le dernier Tango à Paris, sorti en 1972, soit peu de temps après l’émancipation de la jeunesse et la mise en avant d'une liberté sexuelle plus assumée. On les retrouve aussi dans Innocents the Dreamers (2003) qui se focalise sur un trio sensuel, à l’abri de la fureur de la rue, en pleine période de révolte étudiante. Un film qui multiplie les clins d'œil aux réalisateurs qu'il admire, tel le réalisateur français Jean-Luc Godard, l’Américain Tod Browning (réalisateur de Dracula avec Bela Lugosi en 1931et de Freaks en 1932) ou encore Mark Sandrich (cinéaste hollywoodien des années 1930 et 1940) Si son cinéma était de moins en moins présent en haut de l'affiche ces dernières années, Bertolucci n'en était pas moins adoubé par ses pairs. Le Festival de Cannes lui a ainsi décerné une Palme d'honneur en 2011. 

Photographie : Valerie Macon

Devenu aujourd'hui un film culte, Le Dernier Tango à Paris fit scandale lors de sa sortie, en 1972, pour ses scènes ultra subversives en ces temps de révolte de la jeunesse, de libération des mœurs et d’émancipation des femmes… L’actrice Maria Schneider y campe le rôle de Jeanne, jeune femme d’une vingtaine d’années qui rencontre un Américain dénommé Paul (Marlon Brando), un homme perturbé par le suicide de sa femme, lors d’une visite d’un appartement parisien désert. Après des échanges fugaces, les deux protagonistes se jettent l’un sur l’autre et font l’amour sans vraiment se connaître. Une ralation charnelle sans lendemain dépeinte avec tellement de force par Bertolucci que, cinquante ans après sa sortie, le film n'a rien perdu de son parfum de scandale.

 

Nommé aux Oscars et aux Golden Globes en 1974, cette réalisation sulfureuse a marqué la carrière du cinéaste. Et pourtant… ces dernières années, c'est bien la polémique ciblant les conditions de tournage qui a supplanté le reste. Âgée d’à peine 19 ans au moment de cette scène, l’actrice Maria Schneider s'est en effet exprimée pour dénoncer la manière dont s'était réalisée cette séquence fougueuse, tournée sans doublure et pensée par Marlon Brando et le cinéaste. Une agression sexuelle filmée en direct, dont l’actrice ne s’est jamais vraiment remise. En 2011, à la mort de celle-ci, Bertolucci avait d’ailleurs présenté ses excuses avec ces quelques mots : Elle est partie avant que je ne puisse l'embrasser tendrement, lui dire que je me sentais lié à elle comme au premier jour, et, au moins pour une fois, lui demander pardon (…). Maria Schneider m'accusait d'avoir volé sa jeunesse, et aujourd'hui seulement, je me demande si ce n'était pas en partie vrai”.

Photographie : Valerie Macon

Réalisateur mais aussi scénariste, Bertolucci en 1987 jette son dévolu sur la Chine, pour évoquer la vie du Dernier Empereur, un jeune souverain abandonné à lui-même qui grandit dans le désespoir au milieu du pouvoir. Pu Yi n’a que trois ans lorsqu’il est enlevé à sa mère, pour s'assoir sur le trône laqué de l’Empire de Chine. Isolé au cœur de la Cité interdite, il mène une vie de play-boy insouciant à l’abri des tumultes historiques, jusqu’à devenir empereur de Mandchourie. Arrêté par les Russes à 43 ans, il est finalement rendu aux Chinois, qui le “rééduquent” dans un camp après la révolution maoïste. Vénéré tel un dieu durant sa jeunesse, il meurt en homme simple, finissant sa vie comme jardinier du parc botanique de Pékin.

 

Au-delà d’une grandiose fresque historique aux décors d'apparat (des trésors de jade aux somptueux palais dorés) couvrant presque tout le XXe siècle en près de trois heures, le réalisateur laisse transparaître quelques-unes de ses obsessions : la fatalité et le déracinement, sur fond de récit d’apprentissage. Première œuvre occidentale à avoir reçu la pleine et entière collaboration des autorités chinoises depuis 1949, Le Dernier Empereur est aussi le premier film à avoir été tourné dans la quasi-totalité de la Cité interdite. Une prouesse qui vaudra à Bertolucci pas moins de neuf Oscars.  

Photographie : Valerie Macon

Vingt ans plus tôt, le réalisateur prolifique signait déjà un scénario culte – et diabolique : celui d’Il était une fois dans l’Ouest, coécrit avec Dario Argento, qui deviendra lui aussi un grand réalisateur. Réalisé par Sergio Leone, ce premier western dit “spaghetti” s’ouvre sur un ballet macabre de règlements de compte où la poussière, les costumes, le ciel et la terre sont magnifiés. Mais ce monde âpre et sans pitié, dominé par le sadisme et la vengeance, n’est qu’un prétexte pour rendre hommages aux cow-boys, légendaires figures de l’Ouest décimées par l’arrivée du chemin de fer et de la modernité.

 

Parmi les éléments emblématiques de ce chef-d’œuvre au réalisme percutant : l’air lancinant de l’harmonica de Charles Bronson, générateur de tension et moteur du film, la beauté de Claudia Cardinale, le regard d’acier d’Henry Fonda, le sourire de Jason Robards, la partition d’Ennio Morricone et la longue mais mythique scène d’ouverture où trois bandits attendent en gare.

 

Une ouverture qui fait évidemment écho au grand classique Le Train sifflera trois fois (Fred Zinnemann, 1952), genre adoré de Bertolucci au point de truffer son scénario de références, parfois même à l’insu de Leone, qui détestait les westerns hollywoodiens qu'il jugeait trop bavards et montés sur un rythme trop frénétique. Ce dernier fait davantage l’éloge de la lenteur, à la manière des maîtres japonais Kurosawa et Ozu.

Photographie : Valerie Macon

Sorti en 2003, Innocents the Dreamers est un film tourné dans le Paris de 1968, agité par la révolte d’une jeunesse explosive. S’installe un huis clos charnel entre les personnages principaux : Isabelle (l'enivrante Eva Green), son frère Théo (Louis Garrel) et l’étudiant américain Matthew (Michael Pitt). Dans un très bel appartement parisien, les trois adolescents calfeutrés fixent les règles du jeu pour explorer leurs propres limites. Avec, en guest star, l’acteur Jean-Pierre Léaud, qui joue son propre rôle au début du film.

 

Avec ce trio sulfureux, Bertolucci marque un peu plus l'empreinte de son cinéma affranchi et rend hommage au cinéma de la Nouvelle Vague. De nombreuses références sont présentes, notamment au film Bande à part de Jean-Luc Godard (1964), dont le trio reproduit la scène de la course dans le musée du Louvre. Mais aussi à l'iconique A bout de souffle, du même Jean-Luc Godard (1960), avec une apparition de Jean Seberg vendant le journal New York Herald Tribune sur les Champs-Élysées. Avec ce film, Bertolucci  signe une véritable ode amoureuse au 7e art.