Benjamin Millepied réinvente « Roméo et Juliette » dans une version queer et sublime

La pièce de théâtre du dramaturge anglais William Shakespeare Roméo et Juliette a été si adaptée, notamment au cinéma, qu’on a l’impression que plus rien de neuf ne pourrait en être tiré. Pourtant, ce mois-ci, le danseur, chorégraphe et fondateur de la compagnie californienne L.A. Dance Project Benjamin Millepied revient avec un ballet qui réinvente le mythe. Sur la scène rouge et noire de La Seine musicale, à Boulogne-Billancourt, on peut découvrir, depuis le 15 septembre et ce, jusqu’au 25 septembre, Roméo et Juliette, sur la musique épique du compositeur russe Prokofiev.

 

Présentée pour la première fois en juillet lors des Nuits de Fourvière, dans le théâtre antique de Lyon, cette création, pensée pour les danseurs de la troupe du L.A. Dance Project, innove de multiples façons. D’abord, on ne sait pas quel ballet on découvrira avant de se rendre dans l’immense salle de la banlieue parisienne. Verra-t-on danser Roméo et Roméo, Juliette et Juliette ou alors Roméo et Juliette ? Chaque soir, une version différente de la pièce se joue, de manière aléatoire. La passion dévorante et fatale entre les deux jeunes gens de familles ennemies se veut mouvante, dans une narration ouverte englobant l’amour queer. Benjamin Millepied ne voulait pas d’une vision hétéronormée de l’amour absolu, qu’il juge archaïque.

 

L’intrigue d’un amour contrarié par un cadre social et familial oppressant prend d’ailleurs d’autant plus de sens lorsqu’on assiste à une histoire gay, comme celle des deux Juliette proposée le soir où nous nous sommes rendus à la représentation. Le chorégraphe français souhaitait coller à la réalité du monde, tout autant qu’aux vies amoureuses de ses différents danseurs, leur laissant la place d’exprimer plus intimement leurs personnalités sans se sentir brimés par des narrations préexistantes. 

La surprise est au cœur du ballet de Benjamin Millepied qui se révèle être une expérience totale qui hybride danse (du ballet classique mêlé à des mouvements plus modernes), théâtre et cinéma. Des scènes de danse filmées en direct, qui se déroulent dans les coulisses de la salle située sur la pointe de l’île Seguin ou dehors, sur le parvis, sont diffusées sur l’écran géant qui surplombe la scène. Cette importance accordée à la vidéo est l’occasion pour Benjamin Millepied – qui a créé les chorégraphies de Black Swan (2010) de Darren Aronofsky – d’intensifier son amour pour l’image en mouvement. En décembre prochain, le chorégraphe français présentera d’ailleurs son premier long-métrage, Carmen, inspiré du chef d’œuvre de Georges Bizet. 

 

Cette vision pop du mythe de Shakespeare proposée par l’artiste, et très cinématographique, ainsi que les couleurs flamboyantes (rouge, noir et bleu roi) qui sont utilisées pour le costumes très gothiques et le décor du ballet, rappellent l’audacieux film culte Roméo + Juliette (1996) du réalisateur australien Baz Luhrmann. Un long-métrage sublime dans lequel l’amour unissant Roméo (Leonardo DiCaprio) et Juliette (Claire Danes) prenait pour cadre la fascinante Cité des Anges. Avec ce ballet étonnant, qui croise avec brio les médiums, Benjamin Millepied offre un spectacle à l’image du monde contemporain : un monde dans lequel les écrans, de Netflix à nos téléphones, ont pris une place prépondérante. 

 

Roméo et Juliette (2022) de Benjamin Millepied avec le L.A. Dance Project, jusqu’au 25 septembre  2022 à la Seine Musicale, à Boulogne-Billancourt.