18 juil 2021

Au Festival de Cannes, Léa Seydoux a brillé par son absence

Positive au Covid, Léa Seydoux est finalement restée chez elle à Paris pendant le Festival de Cannes malgré quatre films projetés cette année…

“Tromperie” d’Arnaud Desplechin. Copyright Shanna Besson – Why Not Productions

Le suspens aura duré quelques jours, mais elle n’est pas venue. Positive au Covid – quoique asymptomatique grâce au vaccin -, Léa Seydoux est finalement restée chez elle à Paris, Garbo involontaire, malgré quatre films projetés au Festival de Cannes cette année : The French Dispatch de Wes Anderson, L’Histoire de ma femme de Ildiko Enyedi et France de Bruno Dumont en compétition, ainsi que Tromperie d’Arnaud Desplechin dans la nouvelle section de prestige « Cannes Première ». Un record.

 

 

En acceptant de sortir un instant de l’analyse froide des faits, que peut bien vouloir nous dire une actrice absente ? Que son image suffit, peut-être. Que ses rôles la dévoilent assez. Même si, concernant Léa Seydoux, l’affaire semble plus compliquée : sa force tient parfois à sa capacité à se montrer absente d’elle-même, à ce léger détachement dont elle fait preuve face à la caméra, cette manière de regarder presque de travers y compris quand elle fixe l’objectif, cherchant peut-être une ligne de fuite. Léa est ici et ailleurs, tel est le lien entre tous ses rôles. Un vertige que l’on ressent d’autant plus fort que dans les quatre films présentés avec elle sur la Croisette, aucune thématique particulière ne se dégage entre ses personnages, si ce n’est leur amour en commun de la fiction, de l’art, et donc potentiellement d’une forme de mensonge.

https://youtu.be/vB3B0fajLYk

Elle est l’amante d’un écrivain célèbre dans Tromperie, inspiré de Philip Roth, une surface fantasmatique sur laquelle le personnage masculin joué par Denis Podalydès vient s’enferrer, malgré de longues discussions et beaucoup d’amour charnel. Chez Wes Anderson, l’actrice révélée par Christophe Honoré dans La Belle Personne (c’était en 2008) illumine la meilleure partie du film, dans la peau d’une muse face à un artiste barré et psychopathe joué par Benicio Del Toro. Elle apparait en tant que modèle nu, mais en deux temps et trois mouvements, retourne le cliché de la femme-objet et prend littéralement le pouvoir dans le film. Dans L’Histoire de ma femme, drame romantique en costume adapté d’un classique de la littérature hongroise, Seydoux interprète la femme d’un capitaine de bateau qui n’arrivera jamais, même après une vie entière, à percer le mystère de son désir.

 

 

Dans ces trois rôles, l’actrice semble s’être donnée comme mission impérative de secouer le formalisme un peu lisse des cinéastes, sans que l’on soit certain qu’ils et elles ne sentent réellement ce qui est en jeu – sauf Arnaud Desplechin, qui lui donne l’un de ses plus beaux rôles, d’une exceptionnelle maturité. Seydoux joue les films contre eux-mêmes, en quelque sorte. Elle apporte de la chair, un engagement physique et mental profond auquel elle nous a habitué depuis longtemps, chez Kechiche par exemple dans la tornade La Vie d’Adèle.

 

https://youtu.be/REI-p8QaYwI

Dans de somptueuses tenues Vuitton, Léa Seydoux se laisse envahir par le regard à la fois provocant et critique de Bruno Dumont, qui ne la lâche pas et scrute son visage sans relâche – elle est de presque tous les plans. Le réalisateur lui donne par contre la lourde charge de rendre son personnage humain, appréciable, émouvant, au-delà du scénario qui la plombe. Peu à peu, France devient le portrait d’une comédienne glacée à qui la mise en scène demande de se fissurer. Ce que Léa Seydoux fait à merveille, sans sourciller. 

 

 

Au contraire des grandes techniciennes issues du théâtre, elle n’est peut-être pas faite pour tout jouer – même si on en doute : son rôle dans le prochain James Bond, Demain ne meurt jamais, devrait le confirmer. Elle démontre néanmoins film après film qu’elle a déjà rejoint les grandes actrices du cinéma moderne, capable de faire d’elle-même une éternelle énigme, un puits de mélancolie inexpliquée qui bouleverse. Le dernier plan de France, où Léa Seydoux fixe la caméra, reste longtemps en mémoire.

 

 

France de Bruno Dumont. En compétition. Sortie le 25 août.