27 jan 2023

Aïssa Maïga, à l’affiche de Neneh Superstar : “À partir d’un certain âge, toutes les actrices disparaissent »

À l’affiche de Neneh Superstar, un film sur le racisme à l’Opéra de Paris avec Maïwenn, l’actrice et réalisatrice française Aïssa Maïga, 47 ans, se confie sur ses nouveaux rôles, ses engagements et son discours percutant lors de la cérémonie des César en 2020.

propos recueillis par Erwann Chevalier.

Aïssa Maïga sur le tapis rouge de l’ouverture de la treizième cérémonie du Festival Lumière à Lyon en octobre 2021. Photo par Dominique Charriau/WireImage via Getty Images

L’actrice française engagée Aïssa Maïga, figure d’un combat pour l’inclusivité 

 

Février 2020. Aïssa Maïga faisait trembler la cérémonie des César avec un discours percutant sur la diversité et l’inclusion des femmes noires dans le milieu du cinéma. Raz de marée instantané dans les médias, les paroles très critiques de l’actrice française d’origine sénégalaise résonnent comme un affront pour certains et une mise au point nécessaire pour les autres. En effet, celle qui s’est fait connaître en 2005 grâce à son rôle dans Les Poupées russes du réalisateur français Cédric Klapisch semble avoir, depuis, fondé sa carrière sur le courage et l’engagement.

 

En tant que l’une des rares actrices non-blanches a être en haut de l’affiche en France, Aïssa Maïga profite de sa notoriété pour faire bouger les lignes du 7e art encore marquées par les préjugés. Aujourd’hui âgée de 47 ans, l’actrice et réalisatrice de deux documentaires engagés, Marcher sur l’eau (2021) et Regard Noir (2021) campe le rôle d’une mère très protectrice dans le film sur la danse classique et le racisme à l’Opéra de Paris, Neneh Superstar de Ramzi Ben Sliman aux côtés de l’actrice française Maïwenn. Pour Numéro, Aïssa Maïga se dévoile sur ses nouveaux rôles, ses engagements et son discours lors de la cérémonie des César.

Aïssa Maïga à l’affiche du film Neneh Superstar aux côtés de Maïwenn

 

Numéro : Quelles ont été vos réactions quand Ramzi Ben Sliman vous a proposé ce rôle de la mère de Neneh, une petite fille noire de 12 ans qui vient d’intégrer l’école de ballet de l’Opéra de Paris ?

Aïssa Maïga : La qualité de l’histoire m’a touchée autant que la manière dont le récit est amené. En règle générale, je lis un scénario comme une spectatrice qui découvre un film au cinéma. Je suis attentive aux émotions que ça me procure. Est-ce que cela me touche ? Est-ce que je me projette en tant qu’actrice ? Je trouve le personnage de la petite Neneh intéressant car il reflète le portrait d’une génération qui aspire à déployer son potentiel pour décrocher des opportunités mais, qui encore aujourd’hui, se retrouve reléguée en seconde zone du fait d’une différence. En l’occurence, pour elle, sa différence est sa couleur de peau. Au-delà de la cause, j’ai aimais la façon dont l’histoire est racontée car on peut très vite dévier, avec ce genre de sujets, vers un récit très lourd et négatif.

 

Comment avez-vous appréhendé le rôle ?

Cette femme est dépassée par le tempérament de feu de sa fille mais aussi par sa vision de l’avenir. C’est très différent de la manière dont j’ai élevé mes enfants. C’est assez marrant car autour de moi, je connais beaucoup de parents qui sont impressionnés par les institutions scolaires et administratives. Les personnages démunis me touchent car on les voit se débattre et beaucoup s’interroger aussi. La mère de Neneh ne veut qu’une chose : protéger sa fille. C’est une dimension humaine universelle.

 

“J’avais honte de dire que je voulais prétendre au métier d’actrice.” Aïssa Maïga

 

Quels sont vos points communs et vos différences avec le personnage de Neneh, qui veut être danseuse classique tout en venant d’une cité ?

Vivre dans une cité n’a pas été ma réalité. Il y a des choses que je n’ai pas expérimentées. Je viens d’une classe moyenne. J’ai eu la chance d’avoir une famille qui ne m’a jamais dit que je ne pouvais pas accéder à certains métiers. J’ai été envisagée comme une enfant qui devait faire des études, décrocher un diplôme, trouver un travail… C’est important d’avoir des parents qui placent l’enfant dans un imaginaire positif, dans lequel il peut se projeter. En revanche, j’avais honte de dire que je voulais prétendre au métier d’actrice. Ce n’était pas monnaie courante dans mon milieu. J’avais peur d’être perçue comme la fille qui veut seulement être en haut de l’affiche. Je ne me sentais pas légitime mais on ne m’a pas pour autant dit : “Tu ne feras pas ça”. Cela a provoqué quelques craintes mais aujourd’hui, je le comprends complètement. Avoir un enfant qui veut devenir artiste peut faire peur.

 

Dans le film, on entend la phrase “Il faut être courageux dans la souffrance”…

Je ne fais pas l’éloge de la souffrance car ce n’est pas un chemin obligatoire. La vie n’a pas besoin d’être dure. Il faut surtout être capable de traverser les épreuves avec le maximum de grâce sans être dans la haine, ni le découragement. Il faut plutôt essayer de comprendre qu’elles sont nos limites et ressortir grandi des épreuves de la vie.

Oumy Bruni Garrel, Aïssa Maïga et Steve Tientcheu dans le film Neneh Superstar réalisé par Ramzi Ben Sliman

“À partir d’un certain âge, toutes les actrices disparaissent.” Aïssa Maïga

 

Quels conseils auriez-vous aimé entendre plus jeune ?

J’ai eu la chance d’être entourée de personnes bienveillantes avec lesquelles je pouvais parler. On m’a donné énormément de conseils de vie, notamment par rapport à l’honnêteté, la valeur du travail, de l’effort et à la notion de l’amour pur est sincère. Je remercie tous les adultes qui après la mort de mon père se sont relayés pour m’éduquer.

 

Quelle est la scène que vous avez apprécié tourner ?

J’ai aimé tourner les scènes avec les adolescentes dans la cuisine car on sent que cette mère est à côté de la plaque. Elle n’est pas vraiment une as en termes de nutrition. Avoir une fille qui se lance dans une carrière de danseuse classique est pour elle un vrai challenge. Plus simplement, j’ai adoré tourner avec Neneh, et les deux autres jeunes filles parce qu’elles respirent la vitalité. Il y avait une alchimie entre nous toutes. J’ai trouvé Oumy Bruni Garrel (la fille de Valéria Bruni-Tedeschi et de Louis Garrel qui joue Neneh, ndlr) très mûre dans son rapport au travail. Elle a beaucoup de grâce dans sa manière de s’adresser aux gens. Elle prend sur elle, car sur un tournage, la fatigue est toujours présente.

 

Est-ce que le milieu de la danse ressemble à celui du cinéma ?

Je n’ai pas l’impression que ces deux milieux soit les mêmes. Il y a un rapport au corps qui est vraiment incontournable dans la danse. Il faut se conformer à un physique défini pour tenir le choc. Au cinéma, il y a une pression sur les corps, une pression sociale. Un corps doit avoir certaines mensurations pour essayer d’avoir une carrière. Mais dans le monde du 7e art, les carrières ne sont pas forcément aussi courtes que celle d’une danseuse. Je suis obligé de parler de la pression des femmes dans le cinéma et du tunnel des cinquante ans. À partir d’un certains âge, toutes les actrices disparaissent. Seulement un petit groupe réapparaît dans des rôles de grand-mères à partir de 65 ans. J’ai remarqué très jeune, lorsque je passais des castings, que l’on n’est pas en compétition avec les autres acteurs. C’est un travail sur soi. La compétition est avec soi-même.

 

Est-ce important pour vous de jouer des rôles engagés ?

C’est important pour moi de jouer des rôles qui ont du sens. Même si le scénario est assez léger, il faut qu’il raconte une histoire. En ce moment, je joue dans une série anglophone qui se nomme King Shaka, sur le chef de l’empire zoulou en Afrique. En France, j’ai vu des films qui traitaient du sujet de la royauté mais jamais d’un royaume africain. Or, j’ai lu beaucoup d’œuvres sur les différents royaumes africains et il y a énormément de récits à mettre en lumière.

https://youtu.be/cWdpeQCae3E

« Le combat contre le racisme doit être au même niveau que la question de la parité dans le cinéma. » Aïssa Maïga

 

Ce rôle est-il un moyen pour vous de renforcer votre combat pour l’inclusion ?

Je ne vois pas forcément mes rôles comme un soutien au combat. Quand je choisis de tourner dans Neneh Superstar, il y a avant tout la dimension artistique qui compte. Il doit y avoir une alchimie entre le réalisateur et moi. La rencontre avec Ramzi Ben Sliman était magique car c’est quelqu’un de passionnant. C’était très fluide. On s’est rencontrés quelques mois avant le tournage. J’étais d’abord réticente car on me proposait encore le rôle d’une maman. Mais, je trouvais qu’il y avait une originalité.

 

Est ce que vous pensez que la situation des femmes noires dans le cinéma a évolué depuis la sortie de votre documentaire Regard noir, en 2021 ?

Il faut du temps pour qu’il y ait de véritables changements. J’ai l’impression qu’il y a des progrès dans le cinéma (notamment dans les comédies) notamment grâce à des personnes comme le réalisateur français Jean-Pascal Zadi, qui a sa vision. Son film Tout simplement Noir (2020) n’était pas un film attendu. Mais en dehors des comédies, je ne pense pas qu’il y ait de changement et de place pour les acteurs non-blancs en France. Il y a un vrai plafond de verre, à part quelques exceptions… Mais je ne souhaite pas que cette situation repose sur des exceptions. J’ai envie de me dire que chacun aa sa chance malgré sa différence.

 

Votre discours à la cérémonie des César en 2020 a vivement fait réagir…

Mon discours ne reposait pas uniquement sur des impressions personnelles mais sur des études épluchées avec la coréalisatrice de Regard Noir, Isabelle Simeoni. Les choses ne peuvent pas changer d’elles-même. Je pense qu’on est dans un pays qui peut tout mettre en œuvre pour obtenir des changements concrets. Le combat contre le racisme doit être au même niveau que la question de la parité dans le cinéma.

 

Neneh Superstar (2023) de Ramzi Ben Sliman avec Aïssa Maïga, actuellement au cinéma.