4 mai 2020

5 films d’Éric Rohmer, le mal-aimé de la Nouvelle Vague

Aîné des réalisateurs de la Nouvelle Vague, Éric Rohmer est longtemps resté incompris et méjugé, en raison de ses films exigeants et très littéraires. Derrière des dialogues théâtraux, ses films nous parlent de nos expériences les plus intimes : de l’amour, de la peur de passer à côté de ses désirs ou de l’émancipation face à l’être aimé. Jusqu’au 12 octobre, Arte propose en libre accès trois films du réalisateur, l’occasion de découvrir ces films qui ont fait d’Éric Rohmer un cinéaste à part.

Ma nuit chez Maud (1969) © Les Films du Losange

Lorsqu’on tombe pour la première fois sur un film d’Éric Rohmer, on pourrait croire à un téléfilm prétentieux aux dialogues alambiqués sonnant légèrement faux. Une fois passée cette première impression d’étrangeté, le spectateur découvre un cinéma à part, dont la beauté réside précisément dans ces dialogues littéraires et ces plans capturés comme dans un film amateur, qui sont pourtant savamment construits. Surnommé “Le grand Momo” par ses compagnons de la Nouvelle Vague, François Truffaut, Jean-Luc Godard ou encore Claude Chabrol qu’il côtoie dans le Quartier latin, Éric Rohmer n’aura jamais baissé les bras malgré ses premiers échecs commerciaux : son premier succès arrive tard, alors qu’il a déjà 47 ans. Dans l’horizon du cinéma français, il aura été le cinéaste des mots mais aussi le cinéaste d’une certaine morale, prônant la fidélité comme valeur supérieure : éprouvés par la tentation, c’est finalement auprès de l’être aimé que les personnages rohmériens trouvent leur félicité. Retour sur cinq films qui ont fait d’Éric Rohmer un cinéaste à part.

1. La Collectionneuse (1967) : l’assurance troublante d’une jeune femme libérée

 

Premier cinéaste à penser ses films en séries, Éric Rohmer rencontre son premier grand succès avec La Collectionneuse, troisième volet des Six contes moraux. Interdit lors de sa diffusion aux moins de 18 ans, ce film dévoile le badinage de trois jeunes gens, Adrien, Daniel et Haydée, excités par un marivaudage pas si léger. Haydée, surnommée “la collectionneuse”, s’épanouit sans timidité dans une liberté sexuelle assumée, condamnée par Adrien qui préfère critiquer cette attitude qu’il ne peut ni contrôler ni comprendre. Éternel recalé de l’agrégation, de l’École Normale Supérieure, et des Cahiers du Cinéma – dont il a été écarté –, Éric Rohmer atteint enfin la renommée grâce à ce film libertin aux dialogues consciencieusement ciselés qui obtient l’Ours d’argent au Festival de Berlin. Ce long-métrage signe aussi le début d’une longue collaboration avec son chef opérateur Néstor Almendros, plus tard oscarisé pour sa photographie dans Les Moissons du Ciel de Terrence Malick.

2. Les Nuits de la pleine lune (1984) : “Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison

 

Malgré une réputation d’intellectuel rigide, Eric Rohmer exalte à travers ses films une profonde liberté, qu’on sent surtout à travers les personnages féminins particulièrement émancipés. Dans Les Nuits de la pleine lune, quatrième volet de la série Comédies et Proverbes, Rohmer dépeint l’indécision d’une jeune femme qui se croit amoureuse mais refuse pour autant d’abandonner son train de vie parisien exaltant pour aller vivre une existence qu’elle juge morne à Marne-la-Vallée, illustrant le proverbe introductif “Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison”. Tourné simplement en extérieur et dans des appartements parisiens, le film fait preuve d’une grande économie de moyens, comme toute l’oeuvre de Rohmer. Pour une plus grande liberté, l’équipe ainsi que tout le matériel de tournage était réduit au strict minimum, à l’image des costumes, souvent sélectionnés par le cinéaste parmi les vêtements personnels des acteurs. Alors qu’il considérait ses films comme des créations intimes, le réalisateur tournait d’ailleurs en 16 mm, dans des conditions proches de l’amateurisme.

3. Ma nuit chez Maud (1969) : l’indécision d’un homme entre deux femmes

 

Comme chacun des Six Contes Moraux (1962-1972), le synopsis est le même : un homme, tenté par une femme libre et profondément séductrice, est tiraillé entre un désir interdit et fugace et un amour durable, plus serein. Fait rare dans la filmographie rohmérienne, Ma nuit chez Maud réunit deux acteurs reconnus, Jean-Louis Trintignant et Françoise Fabian. En septembre 1998, dans un entretien aux Inrockuptibles, le cinéaste confiait à ce sujet “Je ne trouve plus d'acteurs qui aient à la fois une grande prestance et un grand charme auprès d'un grand public, comme pouvaient en avoir Trintignant ou Brialy, et qui soient capables d'imposer leur personnalité à des personnages sans les détruire et sans les assimiler à eux-mêmes.” Écrit deux ans plus tôt, ce film est le premier réalisé par Rohmer à être tourné en son direct. Alors que sa projection à Cannes est une catastrophe selon son acteur principal, il devient un succès en salles six mois après sa sortie, et prend définitivement sa revanche lors de sa nomination pour l’Oscar du meilleur scénario original.

4. Le Rayon vert (1986) : le film presque entièrement improvisé

 

En plein été, Delphine est abandonnée à la dernière minute par son amie qu’elle devait rejoindre en vacances. Soudain confrontée à l’angoisse du vide et de la solitude, la jeune femme court d’amis en amis, ne trouvant jamais le réconfort apaisant. Alors que le cinéaste tire la plupart de ses films de récits consignés des carnets de jeunesse, ce chapitre de la série Comédies et Proverbes (1981-1987) est presque entièrement improvisé par l’actrice principale, Marie Rivière. Certains y verront un scénario ténu, sans autre argument que ceux d’une jeune femme éplorée. Mais si l’on prête un peu plus attention à ces dialogues d’une justesse rare, on observe une allégorie de la solitude, drapée dans sa timidité et profondément touchante. C’est ainsi tout le talent d’Éric Rohmer, qui offre à voir des scènes de la vie quotidienne magnifiées malgré leur apparente simplicité.

5. Conte d’hiver (1992) : une actrice révélée autour d’une tasse de thé

 

Derrière les scénarios littéraires de Rohmer se cachent en réalité d’intenses discussions menées autour d’un thé. Pour choisir ses acteurs, le cinéaste n’organisait aucun casting, mais sélectionnait un comédien, souvent méconnu, qu’il invitait ensuite à venir prendre le thé dans son petit bureau du VIIIe arrondissement de Paris. De ces conversations, qu’il enregistrait au magnétoscope, le réalisateur tissait le fil des dialogues de son prochain film, l’adaptant à la prosodie des acteurs pour que ces paroles soient construites au plus près de leur locuteur. Mais si ces dialogues peuvent sonner faux à certaines oreilles peu convaincues, c’est aussi parce que les personnages ne cessent de se mentir à eux-mêmes, à l’image de Félicie, héroïne de Conte d’hiver, prise dans un triangle amoureux, entre mari et amant. Malgré cette double vie, elle ne songe qu’à son amour de jeunesse, qui lui a donné sa fille, mais dont elle a perdu la trace.