19 déc 2024

Les plus beaux livres de photographie à (s)’offrir

Des clichés inédits de Yorgos Lanthimos au projet engagé de Laia Abril, en passant par le récit intime de Diana Markosian et les premières expérimentations de Joel Meyerowitz, Numéro dévoile sa sélection des beaux livres photos parus cet automne.

Les premières expérimentations de Joel Meyerowitz

Au début des années 1960, le jeune Joel Meyerowitz décide d’arpenter les rues de New York et de capturer avec sa caméra ce (et ceux) qu’il y croise. Mais une question le travaille – celle, toute simple, qu’un vendeur de pellicules photos vient de lui poser : “couleur ou noir et blanc ?” Ne tranchant pas la question, il s’équipe de deux boitiers et photographie avec les deux pellicules, avant de s’attarder sur les couleurs, qui lui permettent de traduire plus d’émotion et de réalisme.

Une période d’apprentissage et de découverte pour l’artiste, réunie aujourd’hui dans un ouvrage sobrement intitulé Question de couleur, où ses clichés colorés croisent leurs équivalents monochromes et témoignent de l’évolution de la pratique de Joel Meyerowitz. Il délaisse progressivement le noir et blanc au profit de palettes vibrantes, pour s’établir comme l’un des pionniers de la photographie en couleur. 

« Question de couleur » de Joel Meyerowitz, éditions Textuel.

Une histoire de la misogynie par Laia Abril

Suite (et volet initial) de ses précédents ouvrages On Abortion et On Rage, le nouveau livre On Mass Hysteria. Une histoire de la misogynie de Laia Abril est la première publication de l’artiste et chercheuse en France. Dans ses pages, elle déroule un récit poignant et engagé, au sein duquel se mêlent photographies, textes et témoignages pour aborder la question de l’oppression sociétale des femmes et l’utilisation du terme “hystérie collective”.

Des sorcières de Salem (15e siècle) aux réseaux sociaux, son livre questionne la conception occidentale des souffrances féminines et souligne le rôle de l’oppression politique et sociale des femmes. Un ouvrage aussi émouvant que saisissant, qui nourrira la prochaine exposition du Bal au printemps, dédiée à l’artiste espagnole.

“On Mass Hysteria, Une histoire de la misogynie” de Laia Abril, éditions delpire & co.

“On Mass Hysteria, Une histoire de la misogynie”, du 7 janvier au 18 mai 2025 au Bal, Paris 18e.

Un siècle de photos iconiques réunies par la Fnac

Des galeries d’exposition installées dans les magasins aux participations à diverses festivals de photographie, la Fnac entretient depuis le milieu des années 1960 un lien viscéral avec la photo et ses principaux acteurs, qu’elle collectionne et expose.

Une histoire construite sur plusieurs décennies, qui donne aujourd’hui naissance à un beau-livre réunissant cent ans de clichés iconiques, signés Brassaï, Martin Parr, Berenice Abbott, Robert Capa, William Klein ou encore Man Ray. Un ouvrage dense et passionnant, pour lequel Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, s’est plongé dans  les quelques 1800 photographies conservées dans le fonds de la Fnac au musée Nicéphore Niépce. 

“Regards. Un siècle de photographie, de Brassaï à Martin Parr. Chefs-d‘œuvre de la collection Fnac”, éditions Gallimard.

L’univers saturé et flou de Dolorès Marat

Inclassable, le travail de Dolorès Marat nous emporte de paysages urbains en contrées reculées, sans repères chronologiques ni spatiaux. Sur ses images aux couleurs saturées, un immense arbre domine une voiture, une femme disparaît dans les escaliers mécaniques du métro parisien, une girafe poursuit sa marche au loin…

Récompensé du Prix Robert Delpire en 2023, son nouvel ouvrage, paru cet automne, nous plonge dans son univers flou et pictural, sans mise en scène ni retouches, et dévoile l’envergure de la carrière de l’incontournable photographe française, qu’elle débute dès ses 19 ans, en 1963. 

Monographie de Dolorès Marat, Prix Delpire 2023, éditions delpire & co.

Lumière sur les pionnières et les grandes figures féminines de la photographie

Dans le sillage du succès des précédents ouvrages Les femmes qui lisent sont dangereuses (2005)ou Les femmes qui écrivent vivent dangereusement (2006), Laure Adler édite cet hiver, avec l’historienne de l’art Clara Bouveresse, Les femmes photographes sont dangereuses. Explorant un métier artistique qui, depuis longtemps et comme pour la plupart des autres professions, a laissé les femmes dans l’ombre, le livre revient sur l’implication de celles-ci dès la naissance de la photographie.

Journalisme, mode, science ou publicité : toutes les pionnières du genre sont ici mises en lumière (à l’image de Julia Margaret Cameron), de leur apport techniques aux risques pris par ces dernières pour s’émanciper des cadres établis et inventer de nouveaux motifs – les leurs. 

“Les femmes photographes sont dangereuses” de Laure Adler et Clara Bouveresse, éditions Flammarion.

Les décennies les plus glamours du 20e siècle par le magazine Life

Entre les années 1930 et les années 1970, Hollywood connaît son âge d’or : en témoignent les icônes du septième art que l’on aperçoit alors à l’écran, de Bette Davis à Elizabeth Taylor, Marlon Brando, Clark Gable, Marylin Monroe ou encore Brigitte Bardot. Une période marquante, ponctuée de fêtes extravagantes, de prestigieuses soirées de remises de Prix et de plateaux de tournage époustouflants, que le magazine Life photographiait et publiait dans ses pages.

Très populaire, l’hebdomadaire photo se fait ainsi le témoin des décennies les plus glamours du 20e siècle, réunies aujourd’hui par les éditions Taschen dans deux beaux-livres où se croisent les plus belles Unes du média (signées Gordon Parks, Margaret Bourke-White, Peter Stackpole…), entre portraits et scènes iconiques, mais aussi des résumés d’articles et des notes internes, exhumées des archives à l’occasion de cette publication. 

LIFE. Hollywood”, éditions Taschen.

Hungry Ghosts. © ph. Roger Ballen.
Hungry Ghosts. © ph. Roger Ballen.

Le mystérieux recueil de Roger Ballen et Gabriele Tinti

Énigmatique, le nouvel ouvrage du photographe américain Roger Ballen et du poète italien Grabiele Tinti explore des thématiques mystiques, de la transcendance au désir et à la peur que la mort suscite chez les Hommes.

Ici, plusieurs dizaines de poèmes répondent à autant d’images et photographies en négatif peuplées de visages caricaturaux et effrayants, inspirés du recueil bouddhiste Petavatthu, évoquant des histoires de fantômes confrontés aux mauvaises actions de leurs vies antérieures… 

“Hungry Ghosts” de Roger Ballen et Gabriele Tinti, éditions Eris Art.

Les livres-œuvres d’art de RVB Books 

Un “Tinder visuel” : voilà comment Mazaccio et Drowilal décrivent leur projet inédit avec RVB Books. Composant avec une large banque d’images amassées par leur soin au cours de ces dernières années, les artistes ont façonné leur ouvrage Iconology comme autant de rencontres esthétiques et formelles entre des clichés, faisant fi des liens chronologiques. Maîtres flamands, photographies d’icônes de la pop culture, glitchs informatiques… Sous forme de douze petites affiches épaisses sur lesquelles sont collées les images, augmentées sur les rebords de coups de peintures et de dessins, le livre (proposé à vingt exemplaires) est seulement relié par quelques sangles, se déconstruisant au gré des lectures – et permettant de transformer certaines de ses pages en petites œuvres d’art à part entière.

« Iconology » de Mazaccio et Drowilal, éditions RVB Books.

Yorgos Lanthimos, i shall sing these songs beautifully (2024).

Les clichés inédits de Yorgos Lanthimos

Si on connaît Yorgos Lanthimos surtout pour ses films plusieurs fois oscarisés, de La Favorite à Pauvres Créatures, le cinéaste dévoile aujourd’hui une nouvelle facette : celle de photographe. Dans un livre édité par la maison londonienne Mack Books, il compile plusieurs dizaines de clichés inédits capturés sur le tournage de son dernier long-métrage Kinds of Kindness (2024). De la Nouvelle Orléans aux décors reconstitués, des visages et des paysages désertés se côtoient page après page, dans un camaïeu de noir et blanc rappelant l’esthétique fantasmée et onirique de ses productions. 

“i shall sing these songs beautifully” de Yorgos Lanthimos, éditions Mack Books.

Carmen Winant, The Last Safe Abortion (2024).

Le projet poignant et engagé de Carmen Winant

Sélectionnée parmi dix finalistes pour le Livre photo de l’année décerné par Paris Photo à la fin de la foire, Carmen Winant dénote pour son projet engagé et passionnant. Paru au printemps dernier, son ouvrage The Last Safe Abortion se concentre aux États-Unis sur la période de 1973 à 2022, durant laquelle l’avortement était encore un droit légal dans tous les États du continent, avant que la Cour suprême n’annule l’arrêt fédéral Roe vs Wade (qui garantissait alors ce droit sur l’ensemble du territoire). Compilant images d’archives, clichés d’actualité et photographies documentaires puisés dans des fonds personnels, institutionnels et associatifs, l’artiste dresse un portrait saisissant des femmes militant pour leurs droits à travers les décennies – d’autant plus nécessaire à l’issue des dernières élections présidentielles américaines.

The Last Safe Abortion de Carmen Winant, SPBH Editions.

Father de Diana Markosian : une émouvante quête identitaire et familiale 

Alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, Diana Markosian quitte Moscou avec sa mère et son frère pour emménager en Californie, fuyant leur père sans laisser de traces. En 2014, soit dix-huit ans plus tard, l’artiste s’engage dans un long voyage de reconstruction, à la recherche de sa figure paternelle, et parvient après un long périple à le retrouver en Arménie. Une quête intime et difficile menée sur près de dix ans, qu’elle retrace aujourd’hui au sein d’un ouvrage intitulé Father. Photographies documentaires, souvenirs écrits, lettres… Elle explore les thèmes de l’absence puis de la réconciliation, découvre peu à peu que son père les a longtemps recherchés (en attestent, dans ses pages, des extraits de journaux avec des avis de recherche), et tente, au gré de ce projet, de retrouver sa propre identité. 

Father, Diana Markosian, éditions Atelier EXB.

Kyoichi Tsuzuki nous plonge dans l’intimité des Tokyoïtes 

Dans les années 90, Kyoichi Tsuzuki s’infiltre dans les appartements d’inconnus à Tokyo, qui lui ouvrent généreusement les portes de leur intérieur. Armé de sa caméra, le photographe japonais capture leur intimité, vidée de présence humaine : salons en désordre, cuisine remplie de plats et de vaisselle salle, armoires remplies… ses clichés nous plongent dans le mode de vie et de consommation des Tokyoïtes de l’époque. Trente ans plus tard, les éditions Apartamento rééditent cet ouvrage, augmenté des observations de l’artiste grâce à ses notes de l’époque, façonnant un voyage dans le temps fascinant, qui contraste avec nos nouvelles habitudes domestiques.

Tokyo Style de Kyoichi Tsuzuki, éditions Apartamento, disponible au Bookshop arpartamento dans la boutique ARKET, 13 rue des archives, Paris 4e.