Rencontre avec Daniel Sannwald, photographe surréaliste de l’ère digitale
Il a fait de ses images mêlant hyperréalisme et science-fiction une signature ultra reconnaissable, que se disputent les magazines de mode les plus pointus, les marques, et le monde de la musique. À l’âge de 38 ans, le photographe allemand Daniel Sannwald, aujourd’hui basé à Londres, publie aux éditions Hatje Cantz le livre “Spektrum”, qui rassemble ses plus belles productions. Interview.
Par Delphine Roche.
Numéro : Quand avez-vous commencé la photographie ?
Daniel Sannwald : J’ai commencé lors de mes études à la Royal Academy d’Anvers, dans un cours d’arts visuels basé sur la photo artistique. Comme vous le savez, l’école est surtout renommée pour son enseignement de mode, donc depuis le tout premier jour de ma pratique, j’ai eu envie d’explorer la photo de mode en collaborant avec les étudiants de cette section. Dès ma deuxième année, Nicola Formichetti m’a contacté pour une contribution au magazine Dazed and Confused, dont il était le directeur créatif. J’ai donc fait une première série de mode masculine avec lui. Le modèle n’était pas un mannequin, car je souhaitais un street casting, mais un artiste londonien. Nicola m’a laissé une liberté artistique totale, et nous avons shooté chez lui. C’était une très belle première expérience professionnelle.
“Je ne me contente pas de capturer le réel, je me vois plutôt comme un faiseur d'images.”
Vous êtes connu pour shooter aussi bien avec un appareil analogique qu’avec un iPhone, en utilisant toujours la post-production de façon extrêmement créative. Quand avez-vous élaboré cette méthode de travail ?
Dès mes débuts, je procédais de cette manière. Par exemple, je shootais sur film, puis je passais le tirage à l’eau de javel, je le scannais, et je travaillais sur ordinateur pour manipuler et distordre l’image.
Vous considérez-vous plutôt comme un photographe ou un “faiseur d’images” ?
Je me vois plutôt comme un “faiseur d’images”, car je n’ai jamais envisagé de me contenter de capturer les gens avec un appareil photo. J’ai toujours été curieux d’explorer d’autres techniques, notamment la vidéo, et je suis ravi que ce médium constitue une part importante de mes activités depuis trois ans.
Avez-vous été influencé par des artistes tels que Nick Knight, qui excelle à créer des images fantasmagoriques en utilisant toutes les potentialités des technologies contemporaines ?
Absolument, Nick Knight faisait partie des artistes dont je suivais assidûment le travail, car il a été pionnier dans cette façon d’utiliser la post-production de façon vraiment créative. Son travail est un peu plus lisse que le mien : quand j’ai commencé, j’étais plus punk, brut et low-fi. J’étais curieux d’explorer les glitches et les erreurs techniques. Erwin Blumenfeld, le photographe de mode des années 40 et 50, m’a aussi influencé, dans sa façon d’utiliser les collages.
Avez-vous toujours considéré que documenter la réalité n’était pas suffisant?
Oui. Je crois que c’est d’ailleurs Nick Knight qui a dit : “Si c’est la réalité qui vous intéresse, vous n’avez qu’à regarder par la fenêtre.” Aujourd’hui, de nombreux photographes savent admirablement jouer avec la lumière du jour et capter le réel. J’ai toujours voulu explorer le territoire du rêve, les paysages fantasmagoriques.
Cette approche vous connecte très fortement à l’univers de la musique, qui vous a beaucoup sollicité depuis vos débuts.
Absolument, et je suis très heureux que mon univers rencontre si parfaitement le monde de la musique. Je crois que tout est parti d’un artwork pour Woodkid, qui m’a ensuite proposé de réaliser un clip vidéo pour John Legend. Depuis, j’ai été sollicité par MIA, Kelela et Arca, pour ne citer qu’eux.
“J’aimerais pousser mon travail dans une direction plus cinématographique.”
Vous travaillez pour des clients aux esthétiques très variées, depuis les maisons de luxe, jusqu’à des marques aux sensibilités urbaines telles que Foot Locker ou Nike. Prenez-vous le même plaisir dans ces différentes collaborations ?
Je reviens justement de Rome où j’ai travaillé pour Fendi. J’ai adoré collaborer avec une si belle maison, mais j’aime également appliquer mon univers à des marques telles que Nike. De même qu’il est excitant pour moi d’explorer de nouvelles techniques, j’aime aussi rencontrer de nouvelles marques, et voir comment je peux m’adapter à leur ADN.
Comment est né ce projet de livre avec les éditions Hatje Cantz ?
J’avais publié un premier livre à la sortie de la Royal Academy, mais il est resté assez confidentiel. Je travaille aujourd’hui depuis dix ans, et Hatje Cantz, qui est l’un de mes éditeurs préférés, m’a contacté pour me proposer un projet de livre. Je me sentais prêt à le faire, à condition de garder un format modeste, avec une couverture souple, comme un magazine.
Avez-vous des projets dont vous rêvez, que vous n’auriez pas encore pu réaliser ?
J’aimerais beaucoup réaliser un court-métrage, appliquer mon univers à un récit. Certains de mes amis sont des réalisateurs, et je suis fasciné lorsqu’ils me parlent de leur processus de création. Je suis un grand fan de cinéma. De nos jours, de nombreux photographes s’essayant à la vidéo travaillent comme à partir d’images fixes qui s’animent et prennent vie. Je n’ai rien contre cette approche essentiellement visuelle, mais j’aimerais pousser mon travail dans une direction plus cinématographique.
Daniel Sannwald, Spektrum, ed. Hatje Cantz. www.hatjecantz.de