Photo : les paysages exotiques de Benoit Jeannet sèment le trouble
Plages paradisiaques, îles tropicales, déserts tourbillonnants… les photographies de Benoît Jeannet subliment les paysages exotiques ancrés dans l’imaginaire collectif. Au-delà de la carte postale, le Suisse invite à une réflexion sur la réalité de ces lieux.
Par Thibaut Wychowanok.
Repéré au Foam, le célèbre musée de la photographie d’Amsterdam, le projet Escape From Paradise de Benoît Jeannet se joue de l’exotisme de cartes postales, sublime et pourtant déroutant. “Des paradis synonymes de vacances que je n’hésite pas à mettre en tension”, explique-t-il. Des posters de palmiers rephotographiés par le Suisse sont installés sur des structures à roulettes, comme des produits de consommations sur un portant. Des fleurs issues de chemises hawaïennes sont réinterprétées telles de magistrales natures mortes. Elles se dédoublent de façon fantomatique, formant un nuage qui fait référence aux essais atomiques réalisés par la France dans le Pacifique. “Dans cette série, je ne cesse de jouer avec les icônes populaires liées à l’exotisme que je travaille en relation avec l’histoire de ces lieux : la colonisation, la guerre nippo-américaine… L’ananas, fruit exotique par excellence, est en réalité semé et commercialisé par des entreprises américaines.” Les admirables couchers de soleil sont rephotographiés par Benoît Jeannet jusqu’à ce que le paysage apparaisse comme brûlé par un souffle atomique, ou usé par notre regard et l’usage abusif de ce cliché visuel. D’une efficacité saisissante, ses installations et photographies ont déjà été présentées aux Rencontres d’Arles et au Lieu unique à Nantes.
Diplômé de l’ÉCAL, la prestigieuse école d’art de Lausanne, Benoît Jeannet est très tôt fasciné par l’école de Düsseldorf, c’est-à-dire une photographie documentaire, très cadrée, frontale. Ses modèles se nomment alors Thomas Ruff, Andreas Gursky et Candida Höfer. Le Suisse s’éloigne rapidement du réalisme de ses aînés pour s’intéresser à la manière dont un paysage se construit. Ce projet donnera lieu à un livre : A Geological Index of the Landscape. Jeannet pose son appareil de nuit face à un “spot” touristique : les chutes du Rhin, au nord de la Suisse. L’image créée est fascinante : la pointe d’une montagne semble sortir d’un nuage éthéré. “Il n’y a aucune manipulation en studio ou avec Photoshop, précise l’artiste. Je savais qu’un temps de pose très long me permettrait de capturer les mouvements du fleuve, qui apparaîtrait alors tel un nuage. Grâce à la photographie de nuit, j’aurais l’assurance que le fond naturel ne serait plus visible. Si manipulation il y a, elle n’existe que lors de la prise de vue par l’appareil et le jeu d’échelle.” Inspiré par les écrits de la philosophe française Anne Cauquelin, auteure de L’Invention du paysage, le Suisse démontre avec force à quel point tout paysage n’est qu’une représentation, l’invention d’un regard. “Le paysage n’existe pas sans l’homme. Ce n’est qu’un cadre, et au sein de ce cadre, je peux m’amuser à distinguer et à isoler des éléments plastiques : un ciel, un nuage, du sable… A Geological Index of the Landscape est une manière d’indexer tous ces éléments, de les réagencer à ma guise pour composer ensuite tous les paysages possibles.” Le photographe-démiurge a ainsi reconstitué une tempête de sable au sein de son studio grâce à un dispositif mêlant sèche- cheveux, lumière et sable fin. Le cliché est saisissant de réalisme. Il aurait pu être pris en plein désert. L’exotisme est encore et toujours une construction.