Paul Graham nous fait entrer “à coups de pied et de larmes” dans une nouvelle ère photographique
Marqué par la photographie sociale britannique et les coloristes américains, Paul Graham a inventé son propre langage visuel pour devenir un phare de la photographie contemporaine. Les Rencontres d’Arles ont décidé de rendre hommage à ce photographe né en 1956 avec trois séries qu’il a réalisées aux États-Unis.
Par Patrick Remy.
Loin des guerres et autres conflits, comment rendre compte de la réalité, en photographie, sans tomber dans les clichés du photojournalisme? Comment capturer la réalité sociale de la Grande-Bretagne des années 80 ? des années Thatcher ? Comment photographier le chômage, le conflit irlandais, l’Europe en mouvement ? Toutes ces questions, Paul Graham se les est posées. Il a pris le temps d’y répondre avec son œuvre, novatrice et foisonnante. Marqué par la photographie sociale britannique (Bill Brandt, Chris Killip) et les coloristes américains (William Eggleston, Stephen Shore, Joel Sternfeld) il a inventé son propre langage visuel pour devenir un phare de la photographie contemporaine. Les Rencontres d’Arles ont décidé de rendre hommage à ce photographe né en 1956 à Stafford, avec trois séries qu’il a réalisées aux États-Unis, son nouveau terrain de chasse, avec ses références photographiques, loin de l’ancien monde européen.
“Mon intention était de prendre les thèmes les plus éculés du photojournalisme et de les faire entrer à coups de pied et de larmes dans une nouvelle ère photographique.”
American Night, 1998 – 2002
“Mon intention était de prendre les thèmes les plus éculés du photojournalisme et de les faire entrer à coups de pied et de larmes dans une nouvelle ère photographique.”
Paul Graham a abordé l’Amérique avec timidité. Les photos sont toutes blanches, la typographie du texte aussi, sur fond de page blanche. Les maisons de banlieues bourgeoises, elles, sont prises frontalement et en couleur. On peut les voir, les observer, comparer les voitures garées juste en face, elles alternent avec des hommes, des femmes, presqu'invisibles, qui arpentent les rues de l’Amérique à pied, perdus dans les signes de la ville. Deux mondes qui se côtoient sans se croiser, qui parfois s’observent. Avec cette blancheur, Paul Graham se défait de la tradition du photojournalisme qui veut que le noir et blanc dramatise encore plus les situations d’urgence. Ici, la couleur ne présente que la réalité que l’on veut voir, le reste est caché sous un voile blanc, il faut faire un effort pour découvrir ce que l’on ne veut pas voir !
A Shimmer of Possibility, 2004 – 2006
“Un chatoiement de possiblités” (quel titre !), est le deuxième volet et pivot de son travail sur l’Amérique. Comment photographier ce pays, ses minorités loin des clichés, comment représenter le monde des banlieues. C’est aussi un questionnement sur la narration photographique. Au départ ce projet est un coffret regroupant douze livres à la pagination variées avec parfois une seule et unique image et jusqu’à une soixantaine. Un homme rase une pelouse, un autre fume une cigarette à l’ombre, une femme traverse un parking son enfant dans les bras, un camion Coca Cola passe devant un magasin King’s Meat Market, une femme déjeune à l‘ombre d’un mur ensoleillé, un autre à coté d’une poubelle, des gamins jouent au basket, un chat prend l’ombre sous un pont …
“Quelqu’un a dit un jour ‘d’une certaine manière une photo isolée est une déclaration, et deux photographies deviennent une question’, la deuxième proposition m’interesse davantage”.
Les délaissés du rêve américain et ceux qui sont en plein dedans se côtoient dans ces parkings, centre commerciaux, autoroutes… sans se croiser. Il ne se passe rien, qu’importe ! Paul Graham, qui est peu bavard et qui se passe en général de texte dans ses livres, décrit ces séquences photographiques comme des “haïkus filmiques”, brefs poèmes japonais visant à célébrer l’évanescence des choses, et cite les nouvelles de Tchekhov où il ne se passe pas grand-chose, mais où l’expérience vécue est plus importante que ce qui s’y déroule. Le temps serait-il le personnage principal ? Au spectateur de se raconter sa propre histoire…
The Present, 2009 – 2011
“Quelqu’un a dit un jour ‘d’une certaine manière une photo isolée est une déclaration, et deux photographies deviennent une question’, la deuxième proposition m’interesse davantage”. Avec ce dernier volet de la trilogie américaine, il rend hommage plus particulier à la street photographie, quand les photographes tels que Harry Callaghan, Joel Meyerowitz (à ses débuts), Gary Winogrand, Helen Levitt ou Lee Friedlander sont descendus dans les rues, principalement celle de New York, où Graham est installé depuis 2002, afin de capturer ce flot incessant de personnes… Mais Paul Graham prend deux images, une scène et son double immédiat à quelques secondes d’intervalles, l’instant décisif devient double, l’action se dissèque, de multiples détails se révèlent, la photographie étire le temps, elle est encore photo mais pas cinéma. The Present fonctionne sur la surprise, à l’image d’une promenade en ville où tourner au coin d’une rue engendre de nouvelles découvertes.