3 sep 2024

La bassiste star Meshell Ndegeocello célèbre le romancier James Baldwin dans son nouvel album

Collaboratrice de Madonna, de Robert Glasper et des Rolling Stones, la bassiste et rappeuse américaine Meshell Ndegeocello défend l’album No More Water: The Gospel of James Baldwin, une odyssée musicale inspirée par le célèbre écrivain et activiste américain né il y a exactement 100 ans.

Love (2024) de Meshell Ndegeocello, extrait de l’album No More Water: The Gospel of James Baldwin.

Meshell Ndegeocello, une bassiste star à l’origine du genre néo-soul

Sans elle, il n’y aurait peut-être pas eu de Jill Scott. Il n’y aurait sans doute pas eu d’Erykah Badu non plus. Longtemps courtisée par Prince, via son label Paisley Park Records – créé en 1985 –, Meshell Ndegeocello sera finalement la première artiste féminine à rejoindre Maverick Records dans les années 90, l’écurie fondée par Guy Oseary, Frederick DeMann, Ronnie Dashev et une certaine Madonna… C’est d’ailleurs avec eux que la bassiste et compositrice sortira son tout premier album studio, Plantation Lullabies (1993), à l’âge de 25 ans.

Entre funk rétro, acid jazz, soul et hip-hop glam, ce disque à l’inventivité folle préfigure sans le savoir le genre nu-soul des années 90. Un opus désormais historique qui convoque les jeunes ténors du jazz de l’époque tels que le saxophoniste Joshua Redman ou la pianiste Geri Allen ainsi qu’une figure du rap new-yorkais, DJ Premier, l’un des meilleurs producteurs de tous les temps selon une liste du magazine The Source parue en 2008. Plantation Lullabies a bel et bien été imaginé par Meshell Ndegeocello, une artiste androgyne et résolument queer, à contre-courant des stars du R’n’B de l’époque et de leur esthétique précieuse et policée. 

On the Mountain de Meshell Ndegeocello, extrait de l’album No More Water: The Gospel of James Baldwin.

Une artiste star qui rend hommage à l’écrivain provocateur James Baldwin

Voilà maintenant 30 ans que cette bassiste géniale aborde les mêmes thèmes : la religion, l’amour, la race et la sexualité. Nommée 12 fois aux Grammy Awards elle sera victorieuse à deux reprises – “meilleure chanson de R’n’B” pour Better Than I Imagined avec Robert Glasper et H.E.R” en 2022 puis “meilleur album de jazz alternatif” pour The Omnichord Real Book en 2024.

Meshell Ndegeocello a aussi eu le temps, au cours de sa carrière, de signer quinze disques, de participer à l’album Bedtime Stories (1994) de Madonna, de composer le thème musical de la vénéneuse Poison Ivy pour la BO du Batman & Robin de Joel Schumacher (malheureusement un vrai nanar) et de participer au Bridges to Babylon (1997) des Rolling Stones.

Un an après la sortie de The Omnichord Real Book, son premier album pour le label Blue Note qui lui a justement valu le premier Grammy Award du meilleur album de jazz alternatif, Meshell Ndegeocello défend cette année No More Water: The Gospel of James Baldwin. Une oeuvre immersive, pénétrante et introspective conçue sur une période de près de dix ans. L’histoire de cet album débute en 2016, à l’occasion d’une performance à la Harlem Stage Gatehouse, où l’on célèbre chaque année l’œuvre de l’activiste américain. L’année précédente, la musicienne s’était immergée dans le travail de James Baldwin et notamment dans son essai fondamental The Fire Next Time (La prochaine fois, le feu) dont elle considère qu’il lui a “changé la vie” et qu’elle transporte avec elle comme “un texte spirituel”.

Meshell Ndegeocello: Tiny Desk Concert (2024)

The Fire Next Time, l’incroyable brûlot de James Baldwin

En 2018, le cinéaste américain Barry Jenkins (Moonlight) rendait hommage au romancier James Baldwin (1924-1987) en adaptant son ouvrage If Beale Street Could Talk (1974). L’une des figures littéraires les plus brillantes et provocatrices de l’après-guerre était quelque temps après célébrée chez la maison d’édition Taschen qui publiait le percutant La prochaine fois, le feu (The Fire Next Time), illustré par une centaine de clichés du photographe new-yorkais Steve Schapiro.

Armé d’une ironie cinglante, James Baldwin plonge ici au cœur du “problème noir” de l’Amérique des sixties. Paru en 1963, cet ouvrage est considéré comme l’une des plus puissantes explorations des relations inter-communautaires des années 1960, amour, famille et foi s’y s’entrelacent et affrontent l’hypocrisie de “la terre des hommes libres”.

Ce livre fut une révélation pour moi et a adouci mon coeur de bien des manières, précise Meshell Ndegeocello, la découverte de l’œuvre de Greg Tate avait ouvert la voie mais rien ne m’a touché autant que The Fire Next Time. C’est comme s’il y était question de ma famille, particulièrement le premier chapitre : j’ai grandi entourée d’hommes noirs qui ne voulaient pas être vus comme doux et c’est ce dont il parle dans la lettre à son neveu”.

James Baldwin. Steve Schapiro. The Fire Next Time.

Dans les entrailles du mouvement des droits civiques

Le récit sans fard de l’expérience noire par James Baldwin compose ainsi un témoignage poétique et puissant en revenant sur l’une des luttes les plus importantes et acharnée de l’histoire américaine. Parti sur les routes du Sud américain au côté du romancier pour le magazine Life, le photojournaliste Steve Shapiro s’est ensuite immiscé dans les entrailles du mouvement des droits civiques.

Martin Luther King Jr., Rosa Parks, Fred Shuttlesworth ou encore Jerome Smith… la plupart des leaders et des événements de cette lutte historique – de la marche de Washington à celle de Selma – ont été immortalisés dans leur essence la plus pure. “Je crois que mon père est devenu alcoolique quand il a compris qu’il ne dépasserait pas un certain rang social, se souvient la bassiste. Ma mère était une domestique qui n’est pas allée plus loin que l’école primaire. Je les ai vus essayer d’élever des enfants, faire durer leur mariage et tâcher d’être des individus dans une société raciste, sectaire et classiste.

No More Water: The Gospel of James Baldwin de Meshell Ndegeocello, disponible.