Les images crues et provocantes de la photojournaliste Mary Ellen Mark
Le C/O Berlin consacre, jusqu’au 18 janvier 2024, une rétrospective à la photojournaliste américaine Mary Ellen Mark qui travailla longtemps pour la prestigieuse agence Magnum, sondant les recoins les plus secrets de la société, des chambres des prostituées de Bombay aux réunions de Ku Klux Klan…
Par Alexis Thibault.
1. À la poursuite des toxicomanes et de la tendresse du Ku Klux Klan…
D’aucuns diront que Mary Ellen Mark est la digne héritière de la photographe américaine Dorothea Lange. À cette différence près que la native de Philadelphie n’a jamais versé dans la photographie de guerre, préférant s’écarter des bombes pour documenter une réalité tout aussi sombre.
Ainsi, elle suit les toxicomanes qui abreuvent les rues américaines, participe aux terribles réunions du Ku Klux Klan où elle capte la tendresse paradoxale de certains membres, et partage le quotidien harassant des prostituées de Bombay qu’elle ira jusqu’à immortaliser parfois en plein coït…
Situé à Amerika Haus Berlin près de la station Zoologischer Garten, le C/O Berlin, un espace d’exposition privé pour la photographie et les médias visuels, consacre une retrospective à la photojournaliste américaine, jusqu’au 18 janvier 2024. Les visiteurs pourront y découvrir cinq de ses projets emblématiques créés entre les années 70 et 80.
2. Des plateaux de tournage hollywoodiens aux hôpitaux psychiatriques
Née en 1940 à Philadelphie, Mary Ellen Mark profite d’une bourse au sortir de ses études d’art et de photographie à l’université de Pennsylvanie, puis parcourt le monde avant de poser ses valises à New York. L’image, elle a ça dans le sang. Elle avait neuf ans lorsqu’elle a pris sa première photo…
En 1977, elle intègre la célèbre agence Magnum et sera couronnée au fil de sa vie de nombreuses distinctions, dont l’Infinity Award du photojournalisme en 1997. Passionnée de cinéma, cette femme aux airs de hippie arpente souvent les lieux de tournages, invitée par François Truffaut, Federico Fellini ou Francis Ford Coppola : elle signe notamment un somptueux portrait de Marlon Brandon en Walter E. Kurtz, colonel sanguinaire du film Apocalypse Now [1979].
En 1976, pour les besoins d’un reportage, Mary Ellen Mark s’installe pendant deux mois dans l’hôpital psychiatrique de Salem, dans l’Oregon. Elle rejoint le quartier sécurisé et immortalise l’angoisse des femmes pensionnaires, notamment le visage de Laurie, à la surface de son bain de mousse. Plus tard, la photographe réunira tous ses clichés dans l’ouvrage Ward 81 [1979]. Et si les cinéphiles reconnaissent les lieux, c’est parce qu’un an auparavant, l’hôpital a servi de décor au long-métrage de Miloš Forman: Vol au-dessus d’un nid de coucou [1975].
3. La terrible série “Streetwise”, dans l’enfer de Seattle
À découvrir également lors de cette exposition, sa série Streetwise (1983), histoire d’une rencontre avec Erin Blackwell, fillette prostituée dont l’enfance dérobée fut offert très tôt aux rues de Seattle. Pendant trente ans, la New-Yorkaise suivra celle que l’on surnomme Tiny et dont le regard ne reflétera finalement jamais l’âge véritable : “Je m’intéresse à la réalité, je m’intéresse à la survie, expliquait-elle alors. Je m’intéresse à ceux qui n’ont pas eu de chance et je raconte leur histoire.”
Mary Ellen Mark. Encounters. Jusqu’au 18 janvier 2024. C/O Berlin.