7 fév 2017

Guido Mocafico et Numéro : l’alchimie parfaite

À l’occasion du lancement du livre “Mocafico Numéro” ce jeudi au Studio des Acacias, le maître incontesté de la nature morte Guido Mocafico revient sur ce beau livre célébrant sa collaboration magistrale avec Numéro.

Le photographe Guido Mocafico prête son oeil et son talent à Numéro depuis la naissance même du magazine. Un beau livre publié aux éditions Steidl célèbre aujourd'hui cette collaboration mythique. 

 

Numéro : Comment résume-t-on dix-huit ans de collaboration dans un livre ? Parlez-nous de cet objet que vous avez conçu avec les éditions Steidl.

Guido Mocafico : Lorsque le projet est né, je suis parti du principe que je ne sélectionnais rien. Au total, je disposais de 150 séries, chacune de six à huit pages. Et j’ai décidé de les montrer dans leur intégralité. En additionnant le tout, on aboutissait à 1 200 photos et 1 350 pages, ce qui est beaucoup trop pour un seul livre ! D’autre part, je voulais éviter de sacraliser ces images qui ont été pensées pour un magazine, et qui n’étaient pas destinées à être exposées ou collectionnées. Le format du coffee table book me semblait donc, pour cette raison, trop prétentieux, peu adapté. L’idée m’est alors venue de reconstituer le format du magazine Numéro : le livre est devenu une boîte regroupant six numé- ros virtuels de Numéro, qui ne contiennent que mes images. Un objet d’un certain poids… entre sept et huit kilos [rires].

 

Qu’est-ce qui vous a frappé en revoyant ces images ?

Ce qui est intéressant, c’est qu’on ne sait pas quand elles ont été faites. Ces photographies sont intemporelles, impossibles à dater. Il y a là des séries de photos de montres, de parfums, de bijoux, et d’autres de voyages, consacrées à des icebergs ou à des volcans. À chaque fois, l’idée était de trouver une nouvelle approche, un nouveau concept irrévérencieux.

 

Une collaboration de dix-huit ans est un fait plutôt exceptionnel dans le paysage actuel de la presse magazine, comment expliquez-vous la longévité de cette relation ?

C’est exceptionnel, oui. Nous sommes dans un monde où la fidélité n’existe plus, où le leadership est renouvelé toutes les trois minutes. Ce qui a rendu cette collaboration possible, c’est que Babeth Djian, fondatrice et directrice de la rédaction de Numéro, et moi partageons toujours la même attitude depuis notre rencontre il y a une vingtaine d’années au Festival de la photo de mode de Monaco. À l’époque, nous voulions innover, repousser les limites de l’image de mode, tout en proposant de belles photos. Nous étions comme des chiens fous [rires]. Et cela n’a pas changé. Nous avons toujours l’attitude de personnes qui font un fanzine dans une cave à Londres, alors que Numéro est aujourd’hui un magazine très établi. Dans chaque série d’images que je propose, nous sommes sur le fil du rasoir. Les concepts doivent être irrévérencieux sans tomber dans le mauvais goût facile. Il s’agit juste de trouver le bon degré de cynisme ou de perversion. Nous sommes prescripteurs, de nombreuses campagnes ont été inspirées par ces séries pour Numéro. Cette collaboration est un laboratoire d’idées.

 

 

Guido Mocafico, Lampropeltis pyromelana et Lampropeltis triangulum sinaloae, publié dans le hors-série Numéro Homme n°4, automne-hiver 2003.

Quelles sont, à vos yeux, vos séries les plus audacieuses ? 

Je me souviens notamment de bijoux shootés dans des sacs d’aspirateur éventrés. Pour cette série que vous mentionnez, le directeur de création de l’époque, Thomas Lenthal, et moi avions imaginé qu’une femme de ménage avait aspiré des bijoux qu’il fallait ensuite aller chercher dans le sac de l’aspirateur. A priori, cela paraît franchement sale ! Mais le résultat plastique est très beau. Car je ne cherche pas à provoquer le dégoût du lecteur, mais à subvertir intelligemment le monde de la mode et le mode de vie privilégié qu’il symbolise. La transgression doit rester subtile, c’est un impératif. Par exemple, j’ai shooté une série de montres à la chambre, comme à mon habitude – produisant donc des images de très haute qualité, avec un excellent piqué –, que nous avons ensuite volontairement pixellisées. On ne peut donc plus lire le nom de la marque. Cette série date d’une quinzaine d’années, et je l’ai redécouverte en préparant le livre. 

 

Quelle différence faites-vous entre votre travail personnel et vos commandes ? 

La différence ne se situe pas sur le plan de la beauté : certaines publicités que j’ai réalisées, malgré toutes les contraintes imposées, pourraient tout à fait être accrochées à un mur. Dans mon travail artistique, je ne rends de comptes à personne, pas même à ma galerie. Mais l’approche, notamment formelle, reste la même. La brutalité du cadrage, le côté direct des images, restent les mêmes. Il s’agit toujours de mon langage photographique. 

 

Livre “MOCAFICO NUMÉRO”, aux Éditions Steidl,à paraître courant janvier 2017. Lancement du livre, en février, au Studio des Acacias, 30, rue des acacias, Paris XVIIe.

 

Exposition “MOCAFICO NUMÉRO”, visite sur rendez-vous du 10 au 18 février au Studio des Acacias, 30, rue des acacias, Paris XVIIe.

Guido Mocafico, Lampropeltis pyromelana et Lampropeltis triangulum sinaloae, publié dans le hors-série Numéro Homme n°4, automne-hiver 2003.

A master of still-life photography, Guido Mocafico has lent his eye and talent to Numéro right from the magazine’s founding. A monograph published by Steidl and an exhibition in Paris will celebrate this exceptional partnership. 

 

Numéro: How do you distil an 18-year partnership into a book?

Guido Mocafico: When the book project was launched, I worked on the principle that I would select absolutely nothing. In all I had 150 series, each six to eight pages long. And I decided to show them whole and unedited. When you added all that up, you had 1,200 photos and 1,350 pages, which is way too much for one single volume! On the other hand, I wanted to avoid sanctifying images that had been conceived for a magazine, and which weren’t meant to be exhibited or collected. Because of that the coffee-table format seemed inappropriate and overly pretentious. That’s when I had the idea of reconstituting the format of the magazine: the book became a box set containing six fictitious issues of Numéro that only contain my images. The resulting object is of a certain weight you might say – between 7 and 8 kilos! [Laughs.]

 

You hadn’t looked at many of these images for a very long time. What was your reaction on seeing them again?

 

What was interesting was that you couldn’t tell when they’d been done. These photos are timeless, impossible to date. There are series showcasing watches, perfumes, jewellery, as well as some travel series showing icebergs or volcanoes. Each time, the idea was to find a new approach, a new and irreverent concept.

 

A partnership of 18 years is rather exceptional in the world of print glossies. How do you account for the longevity of your relationship with Numéro?

 

It is exceptional, yes. We live in a world where there’s no loyalty anymore, where leadership changes every three minutes. What made this partnership possible is that Babeth Djian – the founder and editorial director of Numéro – and I have always shared the same attitude since we first met around 20 years ago at the International Festival of Fashion Photography in Monaco. At the time, we wanted to innovate and push back the boundaries of fashion photography, while still offering beauty. We were total fanatics! [Laughs.] And that hasn’t changed. We’ve always had the attitude of people making a fanzine in a London basement, whereas today Numéro is a very established title. In every one of my image series we were on the razor’s edge. The concepts have to be irreverent without slipping into facile bad taste. It’s a question of finding just the right degree of cynicism or perversion. We’re trend setters – many ad campaigns have been inspired by our series in Numéro. This collaboration is a laboratory of ideas. 

 

Guido Mocafico, Lampropeltis pyromelana et Lampropeltis triangulum sinaloae, publié dans le hors-série Numéro Homme n°4, automne-hiver 2003.

In your opinion, which were your most audacious series for Numéro?

 

I particularly remember one that featured jewellery in ripped-open vacuum-cleaner bags. For that series, the creative director at the time, Thomas Lenthal, and I had imagined that a cleaning lady had vacuumed up the jewels and that we had to go looking for them in the vacuum-cleaner bag. It sounds filthy, but the plastic qualities of the result were very beautiful. You see, I don’t set out to disgust the reader, but rather to subvert intelligently the world of fashion and the privileged lifestyle that it symbolizes. The transgression must be subtle, that’s an absolute imperative. For example, I shot a series of watches using a large-format camera, as I usually do, which produces very high-quality images with an excellent acutance. But afterwards we deliberately pixelated them, so you can no longer decipher the brand name. That was a series we did around 15 years ago, which I rediscovered while working on the book.

 

Would you say that there’s a difference between your personal projects and your commissioned work?

 

The difference certainly isn’t one of beauty: some ad campaigns that I did, despite all the restrictions that were imposed on me for the shoots, could quite happily be hung as artworks on a wall. I guess that the difference is that, in my artistic work, I’m accountable to no one, not even to my gallery. But the approach, particularly the formal approach, is nonetheless the same. The brutality of the framing, the directness of the images, are the same. It’s still my photographic language.

 

Mocafico Numéro, Steidl.

Exhibition Mocafico Numéro to be held at Studio Des Acacias.

Visit on appointment from February 10th to 18th, 2017

 

 

Guido Mocafico, Lampropeltis pyromelana et Lampropeltis triangulum sinaloae, publié dans le hors-série Numéro Homme n°4, automne-hiver 2003.