Annie Leibovitz arrête le temps à la galerie Hauser & Wirth
Ce vendredi 19 juin, la galerie Hauser & Wirth inaugure une nouvelle exposition en ligne, consacrée cette fois-ci à la photographe américaine Annie Leibovitz. Célèbre pour ses portraits cultes de figures majeures de notre époque, cette dernière présente ici un volet plus inattendu de son œuvre : des natures mortes, objets et moments où l'humain passe au second plan, dissimulé derrière le silence du souvenir ou de l'absence.
Par Matthieu Jacquet.
Leonardo di Caprio à son jeune âge, portant un cygne dont le cou lui encercle le visage, Meryl Streep fardée, s’étirant la peau du visage, John Lennon complètement nu, recroquevillé sur Yoko Ono allongée au sol, ou encore Salma Hayek grimée en Frida Kahlo… La liste des célébrités photographiées par Annie Leibovitz est longue, et nombreux sont ses portraits à être devenus cultes. Depuis les années 70, cette photographe américaine a capturé les plus grandes figures de notre époque dans des mises en scène mémorables souvent rassemblées lors d’expositions et publications. Pourtant, la pratique de la photographe ne saurait se réduire à son talent de portraitiste. Un volet moins connu de son œuvre se concentre en effet sur des paysages, objets ou autres détails d’un réel silencieux, désincarné mais non moins habité. Au sein d’une exposition en ligne inaugurée aujourd’hui, la galerie Hauser & Wirth expose quelques unes de ces images d’où l’humain est absent, mais où apparaît la trace de son passage en filigrane.
Car partout dans les “still lives” (natures mortes) d’Annie Leibovitz se lisent les marques du temps. Une table en bois abîmée par les gravures, taches d’encre et autres traces de gras, qui s’avère avoir appartenu à l’écrivaine Virginia Woolf. Des fleurs séchées soigneusement répertoriées dans un herbier que la poétesse Emily Dickinson a complété pendant son enfance. Un oiseau empaillé sur le dos, la tête enroulée sous ses plumes, provenant d’une collection d’espèces conservées par le biologiste Charles Darwin pour ses recherches. Le squelette d’un serpent à sonnette, découvert dans la demeure de la peintre Georgia O’Keeffe au Nouveau Mexique, la même qui s’inspirait dans ses toiles des paysages arides et des collines écarlates de cette région des Etats-Unis, dont on retrouve un exemple dans un autre cliché d’Annie Leibovitz. Tels des témoignages, des reliques emplies d’histoire qui composeraient un cabinet de curiosités visuel, les éléments savamment choisis par la photographe sont avant tout les morceaux choisis d’un voyage solitaire et “très personnel”, selon ses mots, réalisé par l’artiste en 2010. Un parcours sur les traces de ces figures qui l’inspirent et l’intéressent qui fut uniquement dicté par sa propre sensibilité. Les sujets immortalisés par la photographe deviennent alors un moyen délibéré d’évoquer ces personnes sans les montrer, mais en présentant seulement des fragments mystérieux de leur existence révolue.
Aux côtés de ce travail réalisé il y a maintenant dix ans, Annie Leibovitz présente également à la galerie Hauser & Wirth une série inédite, réaction photographique presque immédiate à la période si particulière que nous avons traversé. Baptisée Upstate en référence à la localisation de son propre domicile, dans la partie nord de l’état de New York, celle-ci regroupe en une seule composition neuf clichés pris autour de chez elle ces derniers mois, lors du confinement. Des vues des maisons et forêts environnantes, d’une nature silencieuse et dépeuplée par l’humain désormais contraint à l’enfermement, des bouts d'intérieurs figés par leur décoration… Dans ce montage photographique – dont 100% de la somme des ventes seront reversés au fonds de solidarité Covid-19 de l’OMS, Black Lives Matter et Equal Justice Initiative – planent la mélancolie et la lassitude d’une période qui semble ne jamais s’arrêter. Un moment qui, inévitablement, nous a conduit à chérir ce qui nous était de plus familier pendant que le temps, lui, s’étirait vers l’infini.