9 juil 2019

6 héritiers subversifs de Mapplethorpe embrasent le Guggenheim

Pour marquer les trente ans de la mort de Robert Mapplethorpe, le musée Guggenheim de New York met à l’honneur,toute l’année 2019, le sulfureux photographe. Le deuxième volet de l’exposition Implicit Tensions: Mapplethorpe Now présente six artistes influencés par son travail.

Robert Mapplethorpe, “Self Portrait”, 1985. Courtesy of the Robert Mapplethorpe Foundation and the Solomon R. Guggenheim Museum, New York. © Robert Mapplethorpe Foundation

Emporté par le sida en 1989 à l’âge de 42 ans, Robert Mapplethorpe a marqué l’histoire de la photographie. Ses portraits en noir et blanc, ses photographies de fleurs, et surtout ses nus masculins sont des incontournables du paysage artistique américain. Formé au dessin, à la peinture et à la sculpture à l'institut Pratt de Brooklyn (New York), il s'intéresse à la photographie relativement tard, dans les années 70. Compagnon de Patti Smith, bisexuel et polygame, il a photographié amants et amantes dans des photos qui ont fait scandale aux États-Unis.

 

Pour le trentenaire de sa disparition, durant toute l’année 2019, le musée Solomon R. Guggenheim de New York rend hommage à l’artiste. Puisant dans le fonds photographique du musée, l’exposition Implicit Tensions: Mapplethorpe Now a d’abord présenté, du 25 janvier au 10 juillet, les créations de Mapplethorpe sur divers supports, collages, Polaroïd, photographies… Le nouveau volet de l’exposition, dévoilé à partir du 24 juillet, met en relation les œuvres de Mapplethorpe avec celles de six artistes qu’il a inspirés.

La comète Rotimi Fani-Kayode

 

Rotimi Fani-Kayode, photographe britannique d’origine nigériane, a eu une carrière courte mais flamboyante. Décédé, lui aussi, des suites du sida en 1989, à l’âge de 34 ans, il n’a pratiqué son art que pendant 7 ans. À partir de 1982, il prend des portraits et explore les thèmes de la sexualité, de l’ethnie et de la culture. Ses photographies sont marquées par une identité hybride, entre son Nigeria natal qu’il a dû fuir (à cause de la guerre civile de 1967) et son Royaume-Uni d’accueil, où il est de nouveau victime de rejet, en raison de sa couleur de peau et de son homosexualité. Dans ses photos, il glisse les symboles de son héritage yoruba (ethnie du Nigeria), célèbre l’homo-érotisme et l’homme noir. Rotimi Fani-Kayodi a rencontré Robert Mapplethorpe, et admis avoir été inspiré par ses premières photographies, très marquées par l’homo-érotisme et la présence du corps noir. Plus influencée par le baroque que par le classicisme de Mapplethorpe, son œuvre se démarque par son questionnement du colonialisme, du racisme et de l’héritage yoruba.

Lyle Ashton Harris, “Americas”, 1987-88 (imprimé en 2007). Courtesy of the Solomon R. Guggenheim Museum, New York. © Lyle Ashton Harris

Lyle Ashton Harris, l’artiste multisupports

 

L’œuvre de Lyle Ashton Harris est constituée de photos, vidéos, collages ou encore installations. Artiste afro-américain, il utilise la technique du clair-obscur, des voiles, et met en scène des sujets blancs et afro-américains pour explorer les thèmes de l’identité, de l’appartenance et de l’autopréservation. Il cite Robert Mapplethorpe, Jean-Michel Basquiat ou encore Le Caravage parmi ses influences. Le noir et blanc de ses photos et le flou de certains visages rappellent très fortement Robert Mapplethorpe, en particulier dans la série Americas de 1987-88. En 2018, Lyle Ashton Harris continue à photographier les corps noirs, comme dans la série Flash of the Spirit.

Glenn Ligon, “Notes on the Margin of the Black Book”, 1991-93. Courtesy of Glenn Ligon Studio, and the Solomon R. Guggenheim Museum, New York. @ Glenn Ligon, Robert Mapplethorpe Foundation Vue de l’exposition “Moving Pictures”, du 28 juin 2002 au 12 janvier 2003 au Solomon R. Guggenheim Museum, New York. Photo par David Heald. © Solomon R. Guggeneheim Foundation

Glenn Ligon, l’artiste conceptuel qui revisite le Black Book

 

L’artiste afro-américain Glenn Ligon, dans ses propres œuvres, revisite et interroge celles de Robert Mapplethorpe. Le Guggenheim présente Notes On The Margin Of The Black Book (1991-93). Comme l’indique son titre, ce travail s'envisage comme une œuvre dans l’œuvre : un commentaire de Glenn Ligon sur le Black Book, une série photographique de Mapplethorpe de nus afro-américains au corps athlétique, réalisée en studio, et publiée en 1986 dans un livre intitulé Black Book. Au mur, Glenn Ligon a ainsi aligné les photos du Black Book, encadrées dans des formats tous identiques. Sur une ligne parallèle, juste en-dessous des photos de Mapplethorpe, il a aligné de la même façon, encadrés eux aussi (dans un plus petit format), ses commentaires sur chacune des photos. Commentaires sur la sexualité, la couleur de peau, le sida, l’art et la polémique suscitée par le travail de Robert Mapplethorpe. Glenn Ligon y explicite, en regard des œuvres mêmes de Mapplethorpe, les éléments qu’il trouve problématiques dans les 91 photographies érotiques du Black Book, qui ont parfois été accusées de perpétuer l’iconographie raciste du corps masculin noir.

Zanele Muholi, “Siphe, Johannesburg”, 2018, de la série “Somnyama Ngonyama”. Courtesy of Stevenson, Cape Town/Johannesburg and Yancey Richardson, New York and the Solomon R. Guggenheim Museum, New York. © Zanele Muholi

Zanele Muholi, l’artiste des communautés LGBT+ d’Afrique du Sud

 

Zanele Muholi se décrit comme une “activiste visuelle”. Elle-même sud-africaine, noire et lesbienne, Zanele Muholi utilise son art pour sensibiliser le public sur l’expérience des communautés LGBT+ en Afrique du Sud. Elle rend compte de la diversité de ces populations, de leurs espoirs et de leurs joies autant que de la stigmatisation et la violence qui les touchent encore. Née dans un township d’Afrique du Sud, elle dénonce la pratique du “viol correctionnel” pour punir les lesbiennes de leur orientation sexuelle. Zanele Muholi exprime la douleur ressentie par les familles et amis des membres de ces communautés lors de la perte de leurs proches. Dans sa série d’autoportraits en noir et blanc Somnayama Ngonyama, présentée au Guggenheim, Zanele Muholi utilise des matériaux de tous les jours pour se créer des costumes improvisés qui vont à l’encontre des stéréotypes.

Catherine Opie, “Dyke”, 1993. Courtesy of the Solomon R. Guggenheim Museum, New York. © 2019 Catherine Opie

Les communautés queer américaines vues par Catherine Opie

 

En 2019, Catherine Opie a reçu une bourse du musée Solomon R. Guggenheim, une récompense décernée tous les ans par la Fondation John-Simon-Guggenheim. Photographe et militante pour les droits des LGBT+, ses clichés illustrent la condition des communautés queer aux États-Unis. On y retrouve les notions d’identité communale, sexuelle et culturelle. Elle joue avec les genres, fait le portrait de couples lesbiens ou de personnes transgenres. En 1999, elle répond directement à l’œuvre de Robert Mapplethorpe en créant le portfolio O. Elle y met en scène la communauté BDSM américaine, ce qui avait tant choqué dans le X Portfolio (1978) de son prédécesseur.

Paul Mpagi Sepuya, “Darkroom Mirror (0X5A1531)”, 2017, de la série “Darkroom Mirror”. Courtesy of the Solomon R. Guggenheim Museum, New York. © Paul Mpagi Sepuya

Paul Mpagi Sepuya rend le contrôle aux modèles

 

Paul Mpagi Sepuya reformule les conventions et le décorum du portrait studio avec des images qui montrent son corps afro-américain, tout comme celui de ses amis et amants. À l’image de Robert Mapplethope, il utilise ses clichés afin de célébrer la communauté queer et le désir. Si Robert Mapplethorpe a parfois été critiqué de rendre ses sujets des objets de désir passifs et non des êtres humains à part entière, Paul Mpagi Sepuya est aux antipodes de cet état d’esprit. Devant son objectif, les sujets sont des collaborateurs actifs, parfois détenteurs de plus de contrôle que le photographe lui-même.

Deuxième partie de l’exposition Implicit Tensions: Mapplethorpe Now, 
du 24 juillet 2019 au 5 janvier 2020,

musée Solomon R. Guggenheim, New York.