30 avr 2020

Roe Ethridge : le photographe star met les sens en émoi chez Gagosian

Au centre d’une récente exposition personnelle à la galerie Gagosian de New York, le photographe Roe Ethridge fait désormais l’objet de son programme digital “Artist Spotlight”, mettant chaque semaine en avant l’un de ses artistes à travers leurs propres propos et une sélection de leurs œuvres. L’occasion de parcourir les images ambiguës de ce maestro de la mise en scène.

Inaugurée le 26 février dernier, Old Fruit, sa première exposition personnelle dans l’espace new-yorkais de la galerie Gagosian, balayait vingt ans de pratique photographique et replongeait dans ses plus anciens travaux, datés du début des années 2000. On y retrouvait notamment plusieurs paysages et de nombreuses natures mortes capturées dans les intérieurs chaleureux de différents foyers, qui témoignent de l’attention de l’artiste aux couleurs et à la composition. Si l’exposition a dû fermer ses portes seulement quelque jours après son ouverture, Roe Ethridge est à nouveau mis à l’honneur par la galerie américaine : cette semaine, celle-ci en fait l’objet de son “Artist Spotlight”, un programme digital hebdomadaire mettant en avant l’un de ses artistes à travers leurs propres mots et des contenus exclusifs inédits. 

 

Pour chaque artiste mis en avant par son programme digital, Gagosian concentre son attention sur une œuvre en particulier, disponible en ligne à la vente pendant 48 heures. Dans le cas de Roe Ethridge, la galerie choisit l’un de ses premiers portraits, celui du chanteur et musicien Andrew W.K. photographié en 2000. Avec ses longs cheveux mouillés, les yeux fixant l’objectif, l’artiste apparaît le visage à moitié ensanglanté par une coulée écarlate qui semble dégouliner de ses narines jusqu’à maculer le blanc de son débardeur. Dans une confrontation aussi directe à la violence, le spectateur n’a d’autre choix que d’affronter son regard et ressentir par procuration la douleur supposément provoquée par cette apparente blessure. Mais où s’arrête alors le vrai pour commencer le faux? Où réside la limite entre le naturel et l’artificiel, entre le pris sur le vif et la mise en scène? Sur l’approche de ses sujets, Roe Ethridge écrit en ces termes : “Il s’agit plus d’harmonie ou de disharmonie que de fabriquer du sens ou illustrer une thèse. C’est une synesthésie. Une sensation. Un son. Une vibration”. Ainsi présentés par la galerie, les clichés de Roe Ethridge se donnent à relire à l’aune de nos regards nourris, ces vingt dernières années durant, par un flot visuel incessant. Et une nouvelle fois ceux-ci s’offrent à nous, spectateurs aguerris, dans leur plus palpable vibration.

 

Revivez l’exposition de Roe Ethridge à la galerie Gagosian de New York ici. Accédez à son œuvre Andrew WK (2000) ici.

Au beau milieu d’un carrefour, une camionnette d’ambulance au pare-brise défoncé trône, presque triomphante, encerclée par des files de voitures à l’arrêt et des piétons stupéfaits. Avec son cadrage parfait et sa composition particulièrement équilibrée, cette photographie réalisée en 2000 intrigue et questionne : nous trouvons-nous face au témoignage d’un accident réel, ou sommes-nous en passe d’être piégés par un effet de mise en scène? Depuis une vingtaine d’années, l’artiste américain Roe Ethridge a fait de cette ambiguïté délibérée sa spécialité. Du portrait de mode à la scènette quotidienne en passant par la nature morte et la macrophotographie, ses sujets sont multiples. Tous gravitent toutefois dans cette capsule ténue entre le réel et la fiction, une capsule dont la photographie se fait un vecteur idéal et particulièrement efficace.

 

Des images qui peuplent notre culture visuelle contemporaine, Roe Ethridge en est autant le spectateur attentif que le producteur acharné. Parallèlement à son approche artistique de la photographie, l’Américain en développe depuis des années une pratique plus commerciale dont il reprend volontiers les codes, auxquels il injecte sa propre force de subversion. Par la suite, ses images sont présentées indifféremment, que celles-ci proviennent de commandes ou de projets personnels, traduisant une abolition manifeste des genres et des hiérarchies.“J’aime penser aux images de manière plus musicale. Il y a des accords majeurs, mineurs, des styles, des intonations, des mouvements, des durées… Une chose peut en affecter une autre”, confiait l’artiste il y a sept ans à Numéro, pour lequel il réalisait alors plusieurs autoportraits exclusifs. Quels que soient leurs formes et leurs sujets, toutes ses prises de vue traduisent à leur manière ce pas de côté, cette distance opérée par son regard imbibée d’un certain cynisme.