Que réserve l’exposition “Pop Forever” à la Fondation Louis Vuitton ?
Avec son exposition-blockbuster, “Pop Forever, Tom Wesselmann &…”, la Fondation Louis Vuitton frappe fort en réunissant notamment 150 œuvres de Tom Wesselmann, artiste mythique du pop art américain. Si ses pièces entrent en dialogue avec des aînés comme Marcel Duchamp et des artistes contemporains comme Lauren Halsey, l’événement qui ouvrira ses portes ce jeudi 17 octobre retrace plus globalement l’histoire de ce mouvement phare du 20e siècle, à travers ses figures de proue comme Andy Warhol et Jasper Johns, et ses héritiers comme Jeff Koons ou Mickalene Tomas.
Texte par Anaël Pigeat.
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Le pop art à l’honneur à la Fondation Louis Vuitton
Une bouche aux lèvres rouges sur lesquelles on voudrait lire, et si brillante que l’on y voit quelques éclats de lumière. Elle révèle des dents blanches, à peine recouvertes par quelques mèches de cheveux blonds ondulés. Une bouche comme un objet volant pas tout à fait identifié, étrange et séduisant, fétichisé et stéréotypé, érotique et abstrait. La bouche de Marilyn Monroe s’est détachée de son corps : Mouth #14 (Marilyn), de 1967, est une œuvre de Tom Wesselmann (1931-2004), l’un des artistes mythiques du pop art américain, et le héros de l’exposition de rentrée de la Fondation Louis Vuitton, “Pop Forever, Tom Wesselmann &…”
Sa présence dans les programmes s’inscrit dans ce que Suzanne Pagé définit comme “la ligne popiste” de la Fondation depuis sa création, depuis l’exposition “Basquiat x Warhol, à quatre mains”, jusqu’à celle à venir en 2025 consacrée à David Hockney. L’ambition de ce propos est de démontrer que le pop art est toujours puissant, pour ce qu’il porte de critique sociale et politique à travers les géographies et les générations.
150 œuvres de Tom Wesselmann exposées à Paris
Pourquoi le choix de Tom Wesselmann plutôt que de Roy Lichtenstein ou Claes Oldenburg? Nous avons rencontré les deux commissaires, Dieter Buchhart et Anna Karina Hofbauer alors qu’ils étaient en pleins préparatifs, à quelques semaines de l’ouverture de l’exposition. Pour eux, c’est l’actualité contemporaine de Wesselmann qui fait son intérêt : “Pour cette exposition sur le pop art, nous avons mené des recherches pendant huit ans. Les thèmes abordés vont des débuts du pop art, à la fin des années 50 en Angleterre, à son arrivée aux États-Unis et dans le reste de l’Europe. Nous avons remarqué l’intérêt des jeunes artistes pour l’œuvre de Tom Wesselmann, une véritable adoption de son travail et de sa pratique”, explique Dieter Buchhart.
L’exposition présente un corpus de 150 œuvres de Wesselmann, parmi lesquelles ses premiers collages qui remontent à 1959 – une technique qui, pour lui, demeurera fondamentale dans ses façons de composer les images. D’abord intéressé par les recherches des peintres abstraits américains, il s’engage sur la voie du pop en maniant avec aisance des images issues d’un quotidien typiquement américain, de la publicité, de la bande dessinée et du cinéma, tout en jouant avec les genres de la peinture, le nu, la nature morte et le paysage, sans jamais s’éloigner d’une réflexion sur l’histoire de l’art, notamment sur l’œuvre de Matisse.
“Le caractère disruptif de l’œuvre de Wesselmann est très inspirant pour les jeunes générations”
Anna Karina Hofbauer
Dans l’exposition, 70 œuvres de 35 autres artistes sont mêlées à celles de Wesselmann : Marcel Duchamp parmi ses aînés, certains de sa génération comme Evelyne Axell ou Tadanori Yokoo, artiste japonais qu’il a connu à New York et avec qui il a échangé des œuvres, mais aussi de jeunes artistes internationaux comme Njideka Akunyili Crosby et Lauren Halsey – exposée dans le programme Open Space de la Fondation en 2019.
Evelyne Axell, Lauren Halsey : l’héritage de Tom Wesselmann chez les artistes
Et Anna Karina Hofbauer d’ajouter : “Le caractère disruptif de l’œuvre de Wesselmann est très inspirant pour les jeunes générations. Les frontières entre la vie et l’art sont éliminées. Vers 1962, il a par exemple été le premier à placer une radio, puis une télévision allumée, à l’intérieur d’une de ses œuvres, comme un second état de réalité. Il représentait aussi la réalité en utilisant des panneaux publicitaires : sa stratégie consistait à conduire pendant des heures et à regarder les panneaux publicitaires afin de choisir ceux qu’il trouvait justes et parfaits.
Les nombreuses techniques qu’il a utilisées sont aussi notables. Derrick Adams s’intéresse à ses aplats de couleur et à ses teintes intenses, Mickalene Thomas à son usage des images de magazine, Tomokazu Matsuyama à ses châssis découpés. Aujourd’hui, Wesselmann aurait probablement travaillé avec une imprimante 3D.”
Des figures du pop art réunies, d’Andy Warhol à Jasper Johns
L’exposition s’étend à tous les étages de la Fondation, dans un parcours chronologique et thématique. Elle commence par une évocation du pop art des années 50 et 60, qui puise ses racines dans le mouvement Dada. Images de femmes à la fois réifiées et libérées, dans les années 60, les Great American Nudes de Wesselmann instaurent avec le spectateur des jeux de cadrage et d’échelle déstabilisants, surréels et souvent pleins d’humour. Les corps de femme sont fragmentés, parfois fétichisés par des gros plans sur des doigts de pied, une tête coupée, la pointe d’un sein qui affleure au bord du châssis, presque abstractisé…
Ces peintures voisinent avec un ensemble d’œuvres consacrées à des icônes de ses contemporains comme Andy Warhol. L’exposition se poursuit par l’évocation du drapeau américain avec, notamment, Jasper Johns, et du drapeau africain-américain de David Hammons, devenu une référence essentielle. Ce sont des natures mortes, de Wesselmann en particulier, qui achèvent cette première partie : intitulées Standing Still Lifes, elles sont si monumentales qu’elles en deviennent presque des installations.
“Ensuite, nous avons voulu rappeler l’atmosphère domestique d’une maison : l’entrée, le salon, la chambre à coucher, mais aussi la salle de bains”, souligne Buchhart. Les peintures de Wesselmann côtoient celle du Sud-Coréen Do Ho Suh et de la Nigériane Njideka Akunyili Crosby, ainsi qu’une carcasse de voiture compressée de Sylvie Fleury, repeinte dans la couleur d’un vernis à ongles rose, Skin Crime 3 (Givenchy 318), de 1997. Les Great American Nudes de Wesselmann dialoguent avec des œuvres de Derrick Adams.
Viennent enfin les années 80 et 90, avec les figures d’un pop mondialisé incarnées par Jeff Koons, Ai Weiwei ou encore Kaws, avec qui les commissaires ont eu l’occasion de s’entretenir, et qui constituent un lien entre Wesselmann et la jeune génération. La visite s’achève avec ses grandes peintures consacrées à des bouches, parfois en train de fumer, ainsi que d’autres natures mortes monumentales, d’étonnantes peintures abstraites, découpées ou peintes sur du métal, qu’il réalise dans les années 90, et ses Sunset Nudes (2004) à travers lesquels il cite Matisse et Picasso.
« Pop Forever, Tom Wesselmann &…“, du 17 octobre 2024 au 24 février 2025 à la Fondation Louis Vuitton, Paris 16e.