13 nov 2025

Comment Nicolas Lebeau pirate l’image pour raconter la violence de notre époque

En jouant avec la matérialité de l’image et les glitchs de l’impression, le jeune photographe Nicolas Lebeau fait saillir dans ses œuvres composites les stigmates de la violence d’État, tout comme il dévoile les coulisses des soulèvements populaires, entre les métropoles brésiliennes qu’il parcourt avec son appareil et les groupes parapolitiques qu’il infiltre sur Telegram.

  • Par Matthieu Jacquet.

  • Nicolas Lebeau, jeune hacker de l’image

    La prise de vue est prédatrice. Des caméras de surveillance à celles de nos smartphones, sa menace règne aujourd’hui partout. Mais dans l’œuvre de Nicolas Lebeau, son pouvoir éprouve ses limites. Les corps photographiés, flous ou plongés dans la pénombre, et les visages, vus de dos ou inclinés, se dérobent à l’identification. Tout comme leur environnement, dont on ne discerne que le caractère urbain (murs délabrés, sols bétonnés, graffitis, trottoirs). Dans l’implicite de cette production visuelle se lisent les affres d’une société angoissée, fracturée et violente, de laquelle, néanmoins, la caméra ne peut pas tout savoir, ni tout montrer.

    Un photographe autodidacte passionné par l’impression

    C’est en autodidacte que le jeune Franco-Brésilien commence à produire ses images. Gravitant dans le monde du skateboard, il dépeint son environnement à l’aide d’un vieil argentique, dont il développe les pellicules dans sa salle de bains. De là, l’artiste réfléchit à exploiter la matérialité de l’image, en “piratant” sa production. Via les réglages de son appareil, il transforme l’existant en jouant avec les contrastes, les lumières et le grain.

    En endommageant son imprimante, il génère des photographies hachurées, qu’il scanne puis réimprime, épuisant l’image jusqu’à la fondre dans la trame. Dans ces clichés sombres et énigmatiques, le rouge émerge souvent : celui du feu, de la révolte, de la douleur aussi. Ses œuvres parlent de ce déracinement, mais aussi de marginalité, parcourant les angles morts de la métropole et immortalisant ses figures dissidentes, jusqu’à s’imprimer sur des feuilles de plomb ou des tessons de bouteille. 

    Telegram, une source majeure pour témoigner des conflits

    Depuis cinq ans, le jeune diplômé des beaux-arts de Cergy repéré par la Galerie Mennour recueille un flot d’images sur la messagerie cryptée Telegram, où il infiltre des groupes parapolitiques et paramilitaires, du Mexique à l’Ukraine en passant par l’Iran. De ces témoignages de soulèvements populaires, affrontements avec les forces de l’ordre, corps et quartiers détruits, Nicolas Lebeau fait émerger des compositions, qu’il déploie en grand format. Tels des rideaux, ses images “piratées” s’étalent en longs rectangles verticaux, suspendus sur des tringles circulaires et lestés de morceaux de plomb.

    La bande devient un motif qui strie le champ de vision et, inévitablement, décompose le regard. Par ce glitch matériel, l’image se donne à voir sous forme éminemment fragmentaire, évoquant, selon l’artiste, la pluie d’information continue qui défile sur nos écrans, tandis que la violence d’État s’y lit en filigrane. Et nous rappelle que l’outil d’oppression peut, aussi, être celui du contre-pouvoir et de l’émancipation.