20 juin 2025

Marisa Chearavanont, la collectionneuse qui replace la Thaïlande sur la carte de l’art

Collectionneuse respectée, Marisa Chearavanont inaugure cette année en Thaïlande deux espaces d’exposition : une Kunsthalle implantée au cœur du quartier chinois et populaire de Bangkok, et un impressionnant parc de sculptures et d’installations situé en pleine forêt. Désireuse de placer la Thaïlande sur la carte mondiale de l’art contemporain, elle s’est adjoint les services d’un ancien de la méga galerie Hauser & Wirth. Ces deux projets témoignent d’un rapport à l’art inhabituel chez une collectionneuse : le besoin de ne plus posséder les œuvres qu’elle expose.

  • Par Thibaut Wychowanok.

  • Marisa Chearavanont, une collectionneuse qui s’impose en Thaïlande

    On connaissait les collectionneurs très soucieux de garder les œuvres secrètes. Et ceux, au contraire, qui souhaitent les partager avec le plus grand nombre. Marisa Chearavanont fait partie d’une espèce beaucoup plus rare : celle des collectionneurs qui revendiquent ne plus vouloir collectionner pour leur seul bénéfice. Et qui préfèrent mettre leur énergie (et soyons clair, leur fortune) au service des artistes, et du public. La Kunsthalle qu’elle vient d’inaugurer à Bangkok en témoigne : nulle œuvre de sa collection n’y est exposée. Les artistes invités à produire des œuvres pour l’espace – ou à y exposer temporairement leur travail – repartiront avec leurs pièces sous le bras.

    Le programme pointu, imaginé avec Stefano Rabolli Pansera, directeur de ce double projet Khao Yai Art (avec le parc d’art en forêt) et ancienne figure de la galerie Hauser&Wirth, réussit avec un certain brio à placer la Kunsthalle au niveau des institutions privées internationales les plus exigeantes. Le sculpteur minimaliste américain Richard Nonas s’est ainsi vu offrir l’espace principal pour agencer ses œuvres nourries d’anthropologie sociale. Alors qu’une pièce de Yoko Ono, Mend Piece, était réactivée autour d’une table invitant le public à réparer des céramiques brisées.

    Une Kunsthalle et un parc de sculptures à Bangkok

    Mais le lieu a offert également une place de premier choix aux artistes thaïlandais avec une très belle présentation des calligraphies abstraites de la légende sino-thaï Tang Chang (dont une œuvre monumentale est d’ailleurs restaurée devant le public à l’étage). Figure plus jeune mais déjà internationale, Korakrit Arunanondchai (dont on se rappelle l’exposition explosive au Palais de Tokyo) présentait Nostagia for unity, à la fois installation, peinture, film et scène imaginés autour de la figure (absente) du phénix.

    À cela, on doit ajouter l’excellente programmation de films élaborée par la curatrice Rosalia Namsai Engchuan donnant à voir des vidéos de stars comme Doug Aitken, du Sino-Malaisien Lawrence Lek et d’une figure thaïlandaise essentielle, Surapong Pinijkhar. Si la Kunsthalle a pris ses quartiers dans un double immeuble incendié (judicieusement laissé en l’état), le parc d’exposition s’étend quant à lui en pleine forêt, à quelques heures de la capitale.

    Khao Yai Art : un projet artistique autant qu’écologique

    Projet artistique autant qu’écologique, Khao Yai a pour vocation de renouveler et régénérer cet ensemble naturel abîmé, et de présenter un ensemble d’œuvres commandées à de grandes personnalités internationales. La plus impressionnante était sans conteste l’installation imaginée par la Japonaise Fujiko Nakaya plongeant une plaine verdoyante dans un brouillard enveloppant et magique, telle une sculpture éthérée et immatérielle. Le parcours invite par ailleurs le public à découvrir les réalisations de Richarg Long, Elmgreen&Dragset ou encore une gigantesque araignée de Louise Bourgeois (dont on apprendra qu’il s’agit de la seule œuvre prêtée).

    Contre toute attente, l’aventure Khao Yai semble trouver son origine en Suisse. Stefano Rabolli Pansera y travaille alors pour la galerie Hauser&Wirth et cherche un acquéreur pour la collection de Giuseppe Panza di Biumo, éminent collectionneur de la seconde moitié du 20e siècle.

    Préférer la production à la possession

    La rencontre avec Marisa Chearavanont portera ses fruits et nourrira la création du projet Khao Yai Art : “Khao Yai Art est né d’une prise de conscience, confie sa fondatrice. Les collectionneurs sont des gardiens de l’art, ils le protègent, mais le gardent le plus souvent pour eux. Je ne veux plus acquérir d’œuvres aujourd’hui, je préfère les partager et faciliter leur création, sans nécessité qu’elles m’appartiennent.

    Née en Corée du Sud, dans un pays encore meurtri par la guerre et en pleine reconstruction, Marisa Chearavanont connaît une éducation traditionnelle qui laisse peu de place à l’art et à la création. Elle doit sa première rencontre avec la peinture à l’école, où elle tombe amoureuse d’une reproduction de Renoir puis de Botticelli. Ce n’est que lorsqu’elle découvre New York, où elle se rend afin de poursuivre ses études, que son amour de l’art s’épanouira pleinement. Elle acquerra alors sa première œuvre, au début des années 80.

    Un mariage plus tard, la voici en Chine, puis en Thaïlande dont elle a désormais pris la nationalité. Immense fortune, femme de pouvoir discrète, elle semble vouloir rendre aujourd’hui au pays qui l’a adoptée une partie de ce qu’elle lui doit.

    Khao Yai Art Museum, 599 Pantachit Alley, Pom Prap, Bangkok.