L’exposition Miu Miu au palais d’Iéna : quand le cinéma prend vie
Dans le cadre du programme public d’Art Basel Paris, la maison Miu Miu investit le palais d’Iéna avec l’exposition Tales&Tellers. Une déambulation interactive et poétique parmi les dizaines de courts-métrages réalisés depuis 2011 pour la maison, par des femmes cinéastes et artistes telles que Chloë Sevigny et Mati Diop. Rencontre avec Goshka Macuga et Elvira Dyangani Ose, commissaires de cet ambitieux projet.
Propos recueillis par Matthieu Jacquet.
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Numéro art : L’exposition “Tales&Tellers” réunit une trentaine de films : les courts-métrages réalisés par des femmes cinéastes pour le projet Women’s Tales depuis 2011, et ceux réalisés par des artistes pour les défilés Miu Miu depuis 2022. Comment avez-vous imaginé la présentation de ces films du palais d’Iéna?
Goshka Macuga : Montrer plusieurs dizaines de films dans une exposition peut vite devenir barbant. Tel était notre défi : comment rendre vivant le récit d’un film, et permettre de le regarder mais aussi d’y participer? J’ai donc eu l’idée d’extraire certains personnages des courts-métrages et de créer des dispositifs qui leur permettraient d’en devenir les “gardiens”, manière d’étendre leur rôle à une performance en direct dans l’exposition.
Dans la salle hypostyle du palais d’Iéna, plus de trente performeurs vont se prêter au jeu : ils porteront les vêtements des personnages des films, réinterprèteront des parties de leur texte et interagiront avec le public. Simultanément, dans l’hémicycle du bâtiment, nous projetterons tous les courts-métrages, ce qui permettra aux visiteurs qui le souhaitent de les voir en entier.
Elvira Dyangani Ose : C’est là toute la beauté et la complexité du projet. L’exposition est une plateforme vivante : il y a bien sûr une structure, mais l’expérience sur place ne va jamais se répéter. Aucun visiteur n’y vivra la même chose.
Ce sont ici plus de dix ans de films et de projets que vous avez dû décortiquer et mettre en scène. Bien que tous aient été réalisés par des artistes et des cinéastes différentes, issues de pays et de générations divers, avez-vous pu tisser des liens entre eux?
E.D.O. : Le principal point commun, c’est que tous ces films sont une forme d’enquête sur la féminité, mais aucun ne montre un chemin direct sur la manière de devenir une femme. Chaque récit dégage un sentiment de résistance, d’activisme, de poésie. Mati Diop a, par exemple, été très marquée par la redécouverte d’enregistrements sonores de sa grand-mère décédée, qui sont devenus le point de départ son film. Dans Eye Two Times Mouth de la réalisatrice mexicaine Lila Avilés, on voit comment l’opéra peut être relié aux cinq sens. Tandis que le film d’Agnès Varda, l’un de mes préférés, contient de multiples intrigues qui partent d’une même robe, devenue une grotte aux multiples tunnels. Avec Goshka, nos premières discussions portaient sur l’éveil dont Platon parle dans l’allégorie de la caverne. Toutes les histoires de ces films contiennent une mise en garde, mais aussi des clés pour aider les femmes et montrer que l’empowerment est possible.
G.M. : Tels des documents historiques, ces courtsmétrages témoignent des changements survenus ces dix dernières années, pas uniquement dans le féminisme mais dans la société au sens large. Ensemble, ils forment une sorte de chronique de la décennie.
Certains films vous ont-ils particulièrement émues ou marquées?
G.M. : J’apprécie beaucoup Nightwalk de Małgorzata Szumowska. Cela doit venir du fait que la réalisatrice est polonaise, comme moi, et que je connais celui qui a inspiré le personnage principal du film, Filip Rutkowski. C’est un film sur le genre, sujet très important dans le contexte politique polonais car, jusqu’à récemment, notre gouvernement était très opposé aux personnes et aux droits LGBTQI+. J’aime aussi beaucoup le film Stane d’Antoneta Alamat Kusijanovic, l’histoire d’une femme forte qui doit assumer en même temps les rôles de mère, d’épouse et de travailleuse sur un chantier. Là aussi, le film me touche personnellement, car il se passe en Europe de l’Est et évoque la manière dont les femmes étaient traitées sous l’ère communiste.
E.D.O. : J’insiste sur le film Les Trois Boutons d’Agnès Varda, parce que son personnage, Mlle Jasmine, est vraiment fantastique! J’aime l’idée que toutes les possibilités de cette jeune fille partent des boutons de sa robe, et qu’elle se compose sa propre destinée… Outre les Women’s Tales, j’ai été très marquée par les films pour les défilés Miu Miu, particulièrement celui de Cécile B. Evans. L’artiste nous invite dans un lieu familier, un hémicycle qui ressemble à celui du palais d’Iéna, et nous montre à quoi pourrait servir cet espace symbolique dans dix ans, voire encore plus loin dans le temps.
Comment vos destins se sont-ils croisés dans la réalisation de cette exposition ?
E.D.O. : Cela fait cinq ans que je travaille avec la Fondation Prada. Lorsque son équipe a fait appel à moi pour cette exposition, Goshka Macuga m’a semblé la meilleure artiste pour assurer avec moi le commissariat de ce projet. D’abord grâce à son œuvre et à son regard incroyable sur l’histoire, la technologie et la science, mais aussi à sa capacité à travailler en collectif et à croiser de multiples approches artistiques, narratives et esthétiques.
G.M. : En parallèle, j’ai été invitée à travailler sur le défilé Miu Miu qui était présenté au palais d’Iéna quelques jours avant l’ouverture de Tales&Tellers, et ce que j’ai proposé s’étend très naturellement à l’exposition. Même si nous sommes nombreux sur ce projet, la personne derrière tout cela reste bien sûr Mme Prada. Une fois que l’on partage sa vision, que l’on est sur la même longueur d’onde, on peut avancer ensemble sur tous les plans.
“Miu Miu : Tales&Tellers”, exposition présentée dans le cadre du programme public d’Art Basel Paris, du 16 au 20 octobre au palais d’Iéna, Paris 16e. Entrée libre.