Jean-Vincent Simonet, le photographe qui peint ses images exposé chez Reiffers Art Initiatives
À la manière d’un peintre, le photographe Jean-Vincent Simonet retravaille ses clichés directement avec les doigts, faisant baver l’encre sur la surface du papier photo encore humide. Ses œuvres fascinantes sont présentées jusqu’au 10 mai dans “1000 milliards d’images”, l’exposition du Prix Reiffers Art Initiatives, à Paris.
Portrait par Jonathan Llense,
Propos recueillis par Thibaut Wychowanok.
L’interview de l’artiste Jean-Vincent Simonet, exposé chez Reiffers Art Initiatives
Numéro art : Comment as-tu élaboré les images présentées dans l’exposition “1000 milliards d’images” chez Reiffers Art Initiatives ? On ne saurait dire si elles sont générées par ordinateur ou bien si tu les as photographiées toi-même. Elles évoquent également des peintures.
Jean-Vincent Simonet : Leur origine première, c’est la photographie digitale, qui a toujours été mon médium de prédilection. Mais j’envisage toujours les photographies que je prends non pas comme une finalité, mais comme une matière première que je vais ensuite transformer. Dans le cadre de cette exposition, les photographies d’origine sont des clichés de machines liées, de près ou de loin, à l’industrie de l’imprimerie. J’ai un rapport particulier à cet environnement, puisque je viens moi-même d’une famille d’imprimeurs.
Ma pratique, mais aussi mon histoire personnelle, sont liées à cette imprimerie située entre Lyon et Grenoble. J’avais déjà travaillé autour de ce lieu lors de projets précédents, et j’avais envie, pour cette exposition, de sauter le cap, de complexifier un petit peu ma pratique, de ne pas forcément m’inspirer uniquement du réel, mais de mêler ces images qui viennent de lieux existants à du collage numérique, à des influences visuelles issues du jeu vidéo, de l’animation, du dessin ou de la peinture. J’ai ainsi transformé ces photographies initiales, je les ai saturées, j’ai multiplié les objets au sein de l’image, j’ai modifié les textures.
Dans un premier temps, tu travailles donc les images numériquement. Puis tu les imprimes pour à nouveau les transformer, à la main cette fois-ci. Un peu comme un peintre avec sa toile.
C’est là que se situe le cœur de ma pratique. Depuis huit ans, j’ai développé une technique spéciale : j’utilise des matériaux synthétiques industriels qui, originellement, ne sont pas faits pour l’impression jet d’encre. Je les passe dans les machines et, à la sortie, la surface photographique va déjà être transformée. Elle va être liquide. Au lieu d’être fixée, elle va couler. Elle aura une certaine malléabilité, une certaine porosité.
“La tension entre réel et digital est centrale dans mon travail.”
– Jean-Vincent Simonet.
Et c’est pour moi une manière à la fois de transformer l’image de manière digitale en amont, puis de pouvoir me la réapproprier physiquement : ne pas être uniquement tributaire des outils numériques, mais, pouvoir, un peu à la manière d’un peintre, venir ensuite avec différents outils transformer sa surface. Ça peut être parfois avec de l’eau : je vais effacer des couches avec une technique soustractive qui va faire apparaître les couches inférieures de l’image. Parfois, j’applique également en amont un enduit qui va venir agripper l’encre.
C’est à chaque fois une lutte avec la texture de l’image. Une envie également d’échapper au pixel et à la condition photographique, de devenir peinture tout en ne l’étant jamais vraiment. Dans les œuvres plus sombres, il va y avoir aussi beaucoup de craie grasse qui se mêle à l’encre encore humide du tirage et qui va créer un flou. Notre perception est ainsi perpétuellement challengée : les œuvres donnent des signaux un peu contraires. On peut avoir l’impression que l’on est devant une photographie, mais, lorsqu’on s’approche, cela devient comme une peinture à l’aérographe… puis on reconnaît des traces de doigts.
Je n’ai pas vraiment de formation de peintre. Tout est assez instinctif et spontané chez moi. J’ai cette envie de contact, de toucher la surface. Une fois que le résultat me plaît, je vais la vernir une première fois pour fixer cette image, ce qui ne m’empêche pas de la retravailler ensuite et de revernir. C’est une lutte sans fin avec cette surface. Tout comme ces images luttent elles-mêmes pour sortir de leur condition de photographies et de collages digitaux. La tension entre réel et digital est centrale dans mon travail.
Les œuvres de Jean-Vincent Simonet sont à voir jusqu’au 10 mai 2025 dans l’exposition “1000 milliards d’images” chez Reiffers Art Initiatives, Paris 17e.