24 juil 2024

hall.haus, le jeune collectif qui secoue le monde du design

Révélé en 2021 par son fauteuil Curry Mango, le jeune collectif hall.haus s’est imposé avec brio dans le monde du design. Depuis son studio de création situé en banlieue parisienne, il concilie innovation, arts décoratifs et problématiques sociales et populaires dans des projets holistiques partant de l’objet pour s’étendre à l’architecture. Le quatuor participait récemment à la 15e Biennale de l’art africain contemporain à Dakar.

Portraits par Fabien Montique.

Stylisme par Rudy Gpapa & Daniel Manene Mavakala.

Texte par Olivier Zeitoun.

De gauche à droite, Abdoulaye Niang : doudoune et bermuda, Moncler. Pull, Anthony Calydon. Sammy Bernoussi : veste, Vuarnet. Pull, Moncler. Jupe, Y-3. Teddy Sanches : vêtements, Prada. Zakari Boukhari : vêtements, Y-3. Photo par Fabien Montique pour Numéro art. Coiffure et maquillage : Alison Fetouaki. Assistant photographe : Philip Skoczkowski. Production : Jonas Farro.

hall.haus : une place singulière dans la scène du design français

Designers inventifs et singuliers de la scène française, les membres du collectif hall.haus déjouent avec intelligence les attendus du design et en explorent ses formes d’actualisation. Les parcours individuels d’Abdoulaye Niang, Sammy Bernoussi, Teddy Sanches, diplômés de l’ENSCI, et de Zakari Boukhari, ingénieur formé à l’Ensam, se retrouvent dans une pratique commune nourrie des champs de la performance, de la musique ou de l’installation artistique.

À travers la notion d’environnement, leurs projets multisensoriels reconnectent le design aux émotions en puisant dans des sources transversales aux géographies et aux disciplines. De l’espace privé aux lieux collectifs, de l’objet unique au mobilier urbain, les créations du quatuor s’affirment comme expériences et attitudes inscrites dans les réalités multiples et discontinues de la ville. Elles participent à une réflexion profonde sur les sociabilités contemporaines, dans ce qu’elles ont d’héritages pluriels.

Les créations de hall.haus, de l’objet à l’expérience

Le design est stratégie. En 1972, le maire communiste et critique d’art italien Giulio Carlo Argan s’intéressait déjà aux “éléments essentiels” d’un design ne résidant pas dans la construction mécanique “mais dans l’analyse de toutes les possibles relations – visuelle, tactile et psychologique – qui entrent en jeu quand on se sert de l’objet”. La démarche de hall.haus s’inscrit dans la conception d’objets industriels que le collectif décline dans une dimension narrative. 

L’objet se fait signe pour se connecter à son environnement et s’affirmer en premier lieu comme interaction : “On essaie de créer des objets ‘complets’, qu’on peut décliner en expériences, en ateliers, en espaces, en architectures, etc., explique Sammy Bernoussi. On a cette approche créative, mais qui passe par une identité reconnaissable dans toutes ses formes.”

Sammy Bernoussi avec le fauteuil Curry Mango. Pull, Roa. Short, Y-3. Photo par Fabien Montique pour Numéro art. Coiffure et maquillage : Alison Fetouaki. Assistant photographe : Philip Skoczkowski. Production : Jonas Farro.

Le siège Curry Mango : un meuble manifeste devenu iconique

En 2021, le collectif se fait connaître avec le siège Curry Mango, œuvre-manifeste qui s’inscrit dans la fusion inattendue de deux objets emblématiques : le siège de camping pliant Quechua, objet nomade et “outil de réappropriation de l’espace urbain”, et le fauteuil Wassily, ou B3, objet phare de l’école du Bauhaus, conçu en 1925 par Marcel Breuer. Ici, tout renvoie à une maîtrise des techniques et des savoir-faire, à l’image du “Bauhaus qui, en son temps, s’emparait des standards disponibles”

Avec le siège Curry Mango, le métal tubulaire est devenu chêne travaillé à la fraiseuse, les lanières de cuir grainé sont issues d’un atelier de maroquinerie de Bagnolet, l’un des derniers de la région parisienne ; l’ensemble est maintenu par des bagues en acier inoxydable découpées au laser.

Il s’agit de découvrir ce siège de camping sous un nouveau jour, objet invisible, mais essentiel pour tant de gens qui en ont multiplié les usages, comme l’explique Sammy Bernoussi : “Cet objet est présent dans la culture et les clips de rap, et dans les quartiers ; nous-mêmes, nous l’utilisions pour nous réunir pendant le Covid, parce que nous n’avions pas de bureau !”

Abdoulaye Niang avec un plateau en vannerie gainée de cuir. Polo, Prada. Photo par Fabien Montique pour Numéro art. Coiffure et maquillage : Alison Fetouaki. Assistant photographe : Philip Skoczkowski. Production : Jonas Farro.

hall.haus, deux termes qui visent à concilier une dualité : le hall des immeubles collectifs des grands ensembles, et le haus domestique, clin d’œil à la maison fonctionnelle et moderniste du Bauhaus. Entre les deux termes, un point qui agit comme une interpolation dans ce qui lie ces héritages, comme dans ce qui les sépare. hall.haus s’adresse aussi bien aux connaisseurs du design qu’à celles et ceux qui n’en soupçonnent pas le rôle, jouant pour tous·tes sur les codes de l’affection, de la réminiscence ou de la nostalgie. 

En 2022, le collectif est invité à concevoir une exposition à l’Union de la jeunesse internationale, centre éphémère créé par Youssouf Fofana dans l’ancien bâtiment qu’occupaient les magasins Tati de Barbès, à Paris. L’exposition “Pour ceux”, dont le titre est emprunté au collectif de hip-hop Mafia K’1 Fry, rend visible, à travers des confrontations visuelles, les sources d’inspiration de leurs objets. hall.haus croise “références pointues et accessibles” et “temporalités diverses” pour mettre en avant leurs possibles synergies.

Ainsi, la table basse Udo Udo (2022), en verre et bois massif, évoque aussi bien l’iconique table de l’artiste et designer Isamu Noguchi, que le “S cool” que dessinent mécaniquement les adolescents, dont les designers ont adouci les lignes pour donner forme au pied de l’objet.

Zakari Boukhari avec le vase Deux frères. Veste, Abela. Bijoux, Antoine Labourel. Photo par Fabien Montique pour Numéro art. Coiffure et maquillage : Alison Fetouaki. Assistant photographe : Philip Skoczkowski. Production : Jonas Farro.

Un regard affûté sur la ville et le mobilier urbain

Les designers de hall.haus gardent un souvenir critique des paysages urbains dans lesquels ils ont grandi : “Lorsque la Ville de Paris a annoncé qu’elle accueillerait les JO, nous avons voulu voir de quelle manière nous pourrions nous y impliquer, sachant que nous sommes les premiers à être touchés par la façon dont Paris et la banlieue évoluent, sans être impliqués dans ces changements.” Avec Olympic Bench, hall.haus élabore un banc destiné à tous·tes, pour contrecarrer un mobilier urbain hostile et inaccueillant qui a perdu de sa portée collective. 

Une large surface métallique constitue une forme continue en ruban, qui s’alterne sur deux rangs. Perforée de cercles évoquant les anneaux olympiques, elle forme une délicate trame superposée en quinconce révélée par ombres portées. Deux solides pieds en béton renvoient à l’univers urbain, dans un clin d’œil au travail de l’architecte japonais Tadao Ando, mentionné par Abdoulaye Niang.

Teddy Sanches avec le vase Blob. Pull, Vuarnet. Bijoux, Antoine Labourel. Photo par Fabien Montique pour Numéro art. Coiffure et maquillage : Alison Fetouaki. Assistant photographe : Philip Skoczkowski. Production : Jonas Farro.

hall.haus développe désormais des collaborations internationales, explorant de nouvelles géographies et histoires transfrontalières. En 2023, le collectif crée DKR, une réinterprétation de la chaise à palabre, objet transgénérationnel et commun à de nombreuses cultures d’Afrique de l’Ouest, la “Marcel Breuer de l’Afrique”, selon Niang. Il ajoute : “Notre design met en valeur le profil et la position d’assise de la chaise à palabre, retravaillée en acier découpé et plié. On voulait poursuivre une gamme reconnaissable à travers un objet solide, monomatière, pouvant être produit partout.” 

Pour la Biennale de Dakar de cette année, les designers vont travailler avec les techniques de vannerie en fibre enroulée de la région de Ngaye Mékhé, au Sénégal, qu’ils transposeront sur du cuir pour décliner une bibliothèque et une assise.

De la Biennale de Dakar à Al-‘Ula, un collectif qui a le vent en poupe

Cette année, lors de leur résidence à Al-’Ula, en Arabie saoudite, les designers ont créé un objet massif aux accents futuristes inspiré du design pop et avant-gardiste de Pierre Paulin. Le collectif en conserve la même teneur colorée, la modularité et la présence très proche du sol, qu’il adapte au contexte désertique de la péninsule Arabique, à la manière d’une installation artistique monumentale. 

Haus Dari s’étend sur 36 m2 , à travers seize modules, et peut être placé à l’intérieur comme à l’extérieur, à l’image des majlis, ces assises traditionnelles que les populations locales sortent dans les espaces publics. Topographique, inspiré du paysage qui l’environne, Haus Dari s’accompagne d’une dimension sonore qui se veut “continuité de l’objet” : une boucle mêle le son d’une respiration et une mélodie d’Alpha Wann déjà travaillée pour Pour ceux, ici recomposée par le producteur 3010.

Agissant par télescopage, à travers le prisme de confrontations inattendues, les pratiques collaboratives de hall.haus formulent des relectures amicales d’une histoire du design et proposent l’intégration d’éléments qui, jusqu’alors, en étaient exclus. Des espaces collectifs à l’environnement domestique, les composantes duales du quatuor cherchent à lier les discontinuités de l’intime et de la ville, et à communiquer l’épaisseur des expériences qui jalonnent les aventures collectives et les histoires affectives.

hall.haus participait récemment à la 15e Biennale de l’art africain contemporain à Dakar, Sénégal.