La galerie Perrotin et ses artistes offrent 23 œuvres exceptionnelles au Centre Pompidou
Ce dimanche 13 octobre, le galeriste Emmanuel Perrotin officialisait la donation de 23 œuvres exceptionnelles au musée national d’Art moderne au Centre Pompidou. Choisies avec la complicité des 17 artistes concernés, de JR à Takashi Murakami en passant par Sophie Calle, puis sélectionnées par l’équipe du musée, celles-ci sont désormais à découvrir au milieu des collections permanentes de l’institution parisienne.
Photo par Nathan Merchadier.
Texte par Matthieu Jacquet.
La donation exceptionnelle d’Emmanuel Perrotin au Centre Pompidou
“C’est un moment très émouvant, historique !”, s’exclame Emmanuel Perrotin. Ce dimanche 13 octobre, entre les salles du musée national d’Art moderne au Centre Pompidou, le galeriste parisien voit s’exaucer un de ses rêves de longue date : faire entrer les œuvres de ses artistes dans les collections permanentes de la prestigieuse institution. C’est justement au niveau 4 du bâtiment que le marchand découvre, en même temps que le public du vernissage, comment ces pièces qui furent jadis en sa possession ont été installées. À l’entrée de l’étage, un triptyque photographique de JR et un mystérieux rideau de Genesis Belanger, d’où émergent des paires de pieds, nous accueillent. Puis, plusieurs œuvres jalonneront discrètement le parcours, qui se clôt avec un accrochage réunissant aussi bien une sculpture hyperréaliste de Maurizio Cattelan, à l’effigie d’un sans-abri, qu’une roue parsemée de plumes de paon signée Paola Pivi.
Au total, la donation se compose de 23 œuvres de 17 artistes de la galerie (sur les 77 qu’elle représente), de générations diverses. On retrouve parmi eux des figures historiques de la maison tels que Sophie Calle ou Jean-Michel Othoniel, mais aussi des plus jeunes arrivants comme Tavares Strachan et Emma Webster. La plupart d’entre eux étaient d’ailleurs présente sur place, hier, afin de célébrer ce grand moment pour la galerie fondée en 1990.
Si le projet s’est concrétisé ces dernières années avec le concours de Laurent Le Bon, président du Centre Pompidou, et Xavier Rey, directeur du Musée national d’art moderne, Emmanuel Perrotin caresse cet espoir depuis bien plus longtemps. “Il y a une trentaine d’années, j’avais été marqué par le cartel d’une œuvre de Joseph Beuys des collections du musée, où on lisait ‘grâce à la générosité d’Anthony d’Offay’. Alors que j’étais encore jeune assistant de galerie, j’ai été très inspiré de voir qu’un marchand pouvait rentrer dans les collections muséales à travers un tel acte de générosité.” Après avoir consulté ses artistes pour savoir lesquels souhaiteraient participer à la donation, le galeriste a mis au point avec chacun d’entre eux une liste de cinq à vingt pièces à proposer à l’équipe du musée. Cette dernière a fait son choix en tenant compte aussi bien de la pertinence historique des œuvres que des lacunes dans la collection qu’elles pourraient contribuer à combler.
Takashi Murakami, Elmgreen & Dragset : des artistes convoités
L’un des grands avantages d’un tel projet est évidemment financier. Avec une enveloppe annuelle d’1,8 millions d’euros pour ses acquisitions, le musée national d’Art moderne se voit inévitablement limité par les prix des œuvres de nombreux artistes contemporains majeurs. On pense notamment à l’artiste star Takashi Murakami, qui livre ici une peinture ponctuée de ses fameux et une sculpture dorée à son effigie, mais aussi au duo scandinave Elmgreen & Dragset. Composée de grandes plaques noires en polystyrène et de fragments de métal, afin d’imiter une place en bitume ravagée par un séisme, l’installation monumentale Broken Square est en effet bien plus coûteuse à collectionner que leurs petits personnages à hauteur d’homme. Comme eux, plusieurs artistes internationaux rentrent ainsi dans les collections pour la première fois, de Tavares Strachan à Genesis Belanger.
23 œuvres historiques et emblématiques
Johan Creten et Lionel Estève, dont des œuvres ont déjà été présentées dans des expositions collectives au Centre Pompidou, voient cette entrée comme un accomplissement. “Lorsque j’étais très jeune, je venais souvent en stop à Paris depuis la Belgique et la première chose que je faisais c’était d’aller au Centre Pompidou, confie le premier. Puis, pendant mes études aux Beaux-arts de Paris, j’ai été gardien du musée le soir. C’est assez incroyable de se retrouver de l’autre côté aujourd’hui.” L’entrée d’une somptueuse sculpture en céramique de l’artiste flamand au musée témoigne également de l’intérêt croissant pour une technique longtemps négligée par le monde de l’art, qui participe de son institutionnalisation. On la découvre d’ailleurs en face de cinq petits animaux en terre sculptés par Klara Kristalova, comme pour donner au médium ses lettres de noblesse.
Plusieurs œuvres revêtent une importance toute particulière à l’échelle de la carrière des artistes. C’est le cas de la peinture de Lionel Estève, où des gouttes d’acrylique en couleurs pastel viennent subtilement colorer une plaque en verre : “Cette œuvre de 2015 est une œuvre charnière, qui clôt un chapitre et présage celui qui va suivre dans ma pratique, commente l’artiste français. Alors que mes pièces se caractérisaient jusqu’alors par leurs formes abstraites et géométriques, soudain, un paysage apparaît dans un ensemble plus atmosphérique. C’est l’un de mes premiers pas vers le figuratif.”
Cinq ans après la rétrospective consacrée à Bernard Frize au Centre Pompidou, l’équipe du musée a retenu une de ses peintures de 1980, représentative de ses débuts : “Nous avons déjà un certain nombre d’œuvres de l’artiste dans notre collection, mais cette toile était un maillon essentiel qui manquait à la représentativité d’une longue carrière comme la sienne”, justifie Xavier Rey. Le jeune sculpture Jean-Marie Appriou a quant à lui choisi de produire une œuvre spécifiquement pour les collections du musée :deux enfants en fonte coiffés de casque en verre coloré.
Une soirée au Georges avec une performance de Zaho de Sagazan
Souhaitant s’inscrire dans la lignée de ses homologues Louise Leiris et Liliane et Michel Durand-Dessert, Emmanuel Perrotin insiste également sur la chance de pouvoir faire cette donation à ce stade de sa carrière et de celles des artistes. “Souvent, les artistes et marchands font don de leurs œuvres en fin de vie. C’est très touchant, ce soir, de voir autant d’artistes vivants en pleine force de l’âge, qui ne font pas ces dons parce qu’ils ont peur de ne plus exister demain !”
À un an de la fermeture du Centre Pompidou pour travaux, une telle donation tombe à pic – d’ailleurs, certaines œuvres sont déjà réservées pour des prêts, confie Xavier Rey. Hier soir, la galerie et le musée profitaient de ce moment pour organiser une grande soirée au Georges, marquée par une performance de Zaho de Sagazan, et les mots enthousiastes de Laurent Le Bon pour introduire la fête : “Vive Emmanuel Perrotin ! Vive le Centre Pompidou, et vive la générosité !”