20 nov 2024

Dans l’atelier de Jean-Marie Appriou, sculpteur d’un monde en fusion

Figure désormais établie de la scène française, Jean-Marie Appriou nous convie à travers ses sculptures dans un monde onirique, peuplé de personnages et d’animaux tout droit sortis des mythes et des légendes. À l’occasion de son exposition à la galerie Perrotin, et en attendant son solo show au MO.CO. Panacée en juin 2025, Numéro art s’offre une plongée inédite dans les mystères de son atelier.

Entretien avec Jean de Loisy.

Photos par Florent Tanet.

Vue de l’atelier de Jean-Marie Appriou par Florent Tanet pour Numéro art.

Rencontre avec Jean-Marie Appriou, sculpteur d’un monde en fusion

Jean de Loisy  : Les sculptures de Jean-Marie Appriou apparaissent comme des fragments de mythes ou de fables dont on a perdu la continuité, mais qui sont exactement suffisants pour que l’imagination s’en empare et poursuive par elle-même la rêverie. Il fallait trouver le point d’arrêt, la césure dans la description pour que l’esprit s’allume de lui-même sans être rassasié par les détails. L’œuvre apparaît comme un rocher qui se découvre progressivement à marée basse et dont l’enfant guette avec curiosité le dévoilement.

Jean-Marie Appriou : La sculpture, c’est quand la mer descend, et que peu à peu on voit des formes qui émergent. Michel‑Ange disait qu’il fallait faire descendre la matière et que, quand il sculptait, il faisait reculer la pierre, alors un coude ou des parties de corps apparaissaient. Ainsi, plus je travaille, plus je retire, plus je sens l’œuvre advenir comme lorsque les rochers à marée basse se révèlent.

JdL : Si la matière dont se constitue l’œuvre est un morceau de monde, les processus qu’elle va subir pour devenir céramique ou fonte, bronze ou verre, en font beaucoup plus qu’un matériau, plutôt une porte pour une compréhension plus vaste du cosmos qui le fascine. Le feu, la coulée, la dissolution, les cendres, le four, tous ces moments primordiaux font se rejoindre la technique, le symbolique et le mythe, et cette conjonction impacte profondément le travail de l’artiste.
Ses œuvres portent en elles, dans les émaillages écarlates ou blêmes des céramiques ou dans les opacités des ailes de papillon, dans les accidents de surface de l’aluminium, les traces d’une lutte, d’une rude modification, d’un arrachage d’une condition ancienne pour devenir autre chose qui charge la sculpture d’un passé auquel elle échappe par effraction. Ainsi, les œuvres si contemporaines auxquelles il parvient sont plus anciennes que ne le prétend la date de leur apparition.

J-MA : J’essaie d’aller au-delà de l’apparence des choses, c’est une impulsion qui me permet de rêver. Je ne suis pas scientifique, ma compréhension est plutôt poétique, mais, par exemple, à l’atelier on écoute Dernières nouvelles des étoiles, une émission sur l’actualité spatiale, et, alors que nous avons le nez dans nos sculptures, on se met à rêver à ces robots qui, sur Mars, cherchent, au fond comme nous, des minéraux. Et il me semble que dans nos activités les plus courantes de sculpteur, il y a toujours un fond d’extraordinaire. Le cosmique est là, l’eau, que je représente souvent, m’évoque la soupe primitive ou encore ces fumeurs noirs des abysses où serait née la vie.

“La sculpture, c’est quand la mer descend, et que peu à peu on voit des formes qui émergent.”

Jean-Marie Appriou

Mes sculptures sont le fruit de l’association du minéral, du gaz et de l’eau, et de leurs échanges mystérieux qui se produisent dans le four. La transformation de la silice en verre, le métal qui se liquéfie grâce à la chaleur, et le gaz qui est l’énergie. Le four, le creuset, c’est le soleil dans l’atelier. On ne peut pas être insensible à l’extraordinaire qu’est, sensitivement, l’ouverture de la porte d’un four, à cette bouffée de chaleur hors norme qui te relie aux plus anciens, aux néolithiques. Il y a une humilité dans la poterie, qui n’est pas celle de la fonderie, plus industrielle. La fonderie te relie aux Grecs à l’âge du bronze, à l’âge du fer. Et on comprend les choses, le poids du bronze, l’agilité du fer, les drames du 20e siècle et l’effet de l’industrialisation sur la guerre. 

Vue de l’atelier de Jean-Marie Appriou par Florent Tanet pour Numéro art.

“Mes sculptures sont le fruit de l’association du minéral, du gaz et de l’eau, et de leurs échanges mystérieux qui se produisent dans le four.”

Jean-Marie Appriou
Vue de l’atelier de Jean-Marie Appriou par Florent Tanet pour Numéro art.

J-MA : Avec mon père, qui a pratiqué la poterie, à un moment nous avons remis le four en marche, vers 2012. C’était une sorte de laboratoire où je faisais des expériences. J’y ai moulé et fondu beaucoup de choses, des algues, des fleurs, des lingots ou des robinets. Je voulais les transformer en liquide, puis donner à ce liquide une forme grâce au moule. Ce fut une étape essentielle d’intériorisation des possibilités de la matière. Il fallait que je comprenne ce qu’est le passage du cru au cuit, ou du solide au liquide, du vide au plein, pour devenir autonome.

“Le fait que nous soyons sur une grosse boule de fer en fusion dont le granit n’est que le manteau m’impressionne.”

Jean-Marie Appriou

C’était important pour moi, mais aujourd’hui je m’en suis détaché en étant devenu libre d’aller voir un fondeur, de lui montrer ce que je fais et ainsi de ne pas avoir un rapport d’autorité mais de compréhension réciproque. J’ai obtenu cette liberté de vouloir, par exemple, un cheval de cinq mètres à réaliser en cinq semaines, et de savoir que c’est possible, faisable. Mais revenons à l’essentiel, c’est-à-dire à la matière du monde, qui me passionne parce qu’elle m’apprend à la fois une physique, une géophysique et une métaphysique. Que le noyau terrestre soit de fer, le fait que nous soyons sur une grosse boule de fer en fusion dont le granit n’est que le manteau m’impressionne, et quand je coule de la fonte, et que j’imagine que c’est la même chose, je n’en reviens pas.

“Mes sculptures sont comme des instantanés pris sur une scène, une histoire interrompue dont on perçoit un éclat.”

Jean-Marie Appriou
Vue de l’atelier de Jean-Marie Appriou par Florent Tanet pour Numéro art.

JdL : Les figures qui apparaissent dans les œuvres de Jean-Marie Appriou construisent rarement une histoire, mais en énoncent plutôt la possibilité. Figures, végétaux, dragons, insectes se proposent à l’interprétation du regardeur, mais le récit lui appartient. C’est une particularité de Jean-Marie Appriou, dans la sculpture figurative, d’élaborer des figures pensives, symboliques certes, mais leurs personnalités restent disponibles, ouvertes aux hypothèses.

J-MA : Mes sculptures sont comme des instantanés pris sur une scène, une histoire interrompue dont on perçoit un éclat. J’étais sensible, enfant, au théâtre. Mon père réalisait des décors et j’aimais interagir avec eux et mettre des costumes. Comme tout le monde, j’aime les histoires, je regardais les vitraux dans les églises bretonnes comme on lirait un story-board ou une bande dessinée, ce qui a failli m’orienter vers le cinéma d’animation. Mais la première fois que j’ai eu la sensation de rencontrer ce qu’est une œuvre d’art, où il s’est passé quelque chose de magique, c’était grâce aux calvaires et à leur complexité en matière de narration, de figuration et d’échelle. Ça ne m’a jamais quitté et c’est encore très présent en moi et dans mon travail aujourd’hui.

Quand je vois des visiteurs au milieu de mes propres personnages, j’attends qu’ils racontent, qu’ils imaginent un scénario pour l’Apiculteur, l’Astronaute et la Baigneuse. Ces figures incarnent des situations psychiques, je leur ai donné un rôle et une apparence comme dans une pièce de théâtre… L’enfant astronaute est un explorateur de régions difficiles, je l’imagine étonné et curieux, sans doute inquiet d’un futur incertain.

Jean-Marie Appriou est représenté par la galerie Perrotin.
Jean-Marie Appriou sera à l’affiche d’une exposition personnelle de juin à septembre 2025 au MO.CO. Panacée, Montpellier.