Coquillages et quarantaine : l’artiste Johan Creten replonge dans ses souvenirs émus
Célèbre pour ses sculptures allégoriques en céramique et en bronze, Johan Creten poursuit depuis les années 90 ses représentations d'un monde empreint de poésie, de lyrisme et de mystères. Confiné à Paris ces deux derniers mois, l'artiste belge en a profité pour replonger dans l'un de ses souvenirs : celui de sa première exposition à Sète en 1991, inspirée par la Méditerranée mais aussi par la mise quarantaine des marins menacés par la peste et le choléra. Un écho tout particulier à l'époque actuelle, qu'il choisit de raconter en vidéo.
Par Matthieu Jacquet.
En 1991, alors à l’orée de sa carrière, l’artiste belge Johan Creten s’installe à Sète afin d’effectuer une résidence à la Villa Saint-Clair, une école aménagée pendant tout l’été pour accueillir plasticiens, écrivains ou encore curateurs. Durant ses deux mois passés dans la ville méditerranéenne, le jeune homme réalise ses premiers Odore di Femmina, des bustes féminins formés par des dizaines de boutons de rose en argile cuite directement inspirés par la mer Méditerranée, sa flore et ses allégories. Chargées en émotion, en poésie et en mystère, ces œuvres semblent toutefois pour l’artiste ne pas se prêter à un cadre d’exposition sobre et aseptisé. C’est alors que Johan Creten découvre sur la baie de Sète un brise-lames, muraille construite pour protéger la ville des vents violents et permettre aux marins d'accoster. Accessible uniquement en bateau, cet endroit brut et dépeuplé accueillera ainsi pendant quelques semaines ses roses et autres crânes en céramique sculptés par l’artiste, dont les formes courbes ne sont pas sans évoquer les coquillages, récifs coralliens et autres roulements des vagues.
Mais ce fameux brise-lames, détaché de la terre ferme et de la population sétoise, occupait aussi jadis une autre fonction : celle d’isoler en quarantaine les marins touchés par les pandémies de peste ou de choléra au XIXe et début du XXe siècle. Touché par l’histoire du lieu, Johan Creten y voit un écho flagrant à la crise du sida qui, au début des années 90, menace le monde entier et décime une partie de la population. Un parallèle qui s’avère à ce jour d’autant plus pertinent face à l’époque que nous traversons – comme si d’une génération à l’autre, l’histoire se répétait et prouvait à l’être humain combien son existence se doit d'être chérie.
29 ans plus tard, confiné à Paris à cause de la pandémie de Covid-19, Johan Creten décide de faire revivre ce souvenir en vidéo. Derrière une superposition d’images d’archives, de photographies de la villa, de vues de Sète et de ses œuvres, l’artiste raconte en voix-off cette étape majeure dans sa vie et sa carrière, qui fut également l’expression et le symptôme de ce moment de vulnérabilité collective. Car, malgré la gravité du sujet, le petit film poétique de Johan Creten ne cache pas son message optimiste : “Avant que nous fassions notre propre traversée, il doit y avoir de l’espoir. Donc je vous en prie, restez forts. Restez en sécurité”, y conclut-il avec bienveillance.