Chronique du monde impitoyable de l’art contemporain [épisode 2]
Cet hiver, notre chroniqueur infiltré rend hommage à l'artiste tristement disparu John Baldessari, revient sur les menaces de Donald Trump envers les sites culturels d'Iran et voyage du côté de la Suisse et de Singapour. Découvrez le deuxième épisode de notre chronique du monde impitoyable de l’art contemporain.
Par Nicolas Trembley.
Triste début d’année suite à l’annonce de la disparition d’un artiste qui a façonné l’art conceptuel avec intelligence et humour : John Baldessari. Longs cheveux et barbe blanche, ce professeur influent et inspirant de Los Angeles restera à jamais comme celui qui écrivait au début des années 70 : I Will Not Make Any More Boring Art (et aussi comme l’artiste qui a remplacé les visages des personnes figurant dans ses images par des ronds de différentes couleurs).
Quand on passe d’une décennie à l’autre, on ne peut éviter les classements hiérarchiques du type : “Les meilleures expositions des dix années passées”, “les plus jeunes talents des dix années à venir”, etc., mais on trouve aussi parfois (souvent sans véritables arguments) “les pires flops de la décennie”. Il y en a un qui est intéressant et qui marque l’évolution de nos pratiques : en 2011, la VIP Art Fair s’annonçait comme la première foire d’art exclusivement en ligne (malgré un titre ridicule). Bien que tous les grands acteurs du marché y participaient, elle n’a jamais vraiment ouvert, le trafic sur son site étant quasi impossible le jour de son lancement. Pourtant, dix ans plus tard, cet échec donne une assez bonne idée de ce que pourrait être le futur du marché. À moins que les produits de luxe en général ne deviennent les nouveaux objets à conquérir, car plus attractifs et moins compliqués que l’art contemporain.
En tout cas, ce que l’on n’imaginait pas pour la prochaine décennie, c’est que la destruction de sites culturels ne soit pas seulement l’apanage de l’État islamique ou des talibans – on se souvient avec tristesse de la destruction de Palmyre en Syrie ou encore de l’explosion des bouddhas monumentaux de Bamiyan en Afghanistan –, mais du président des États-Unis en 2020. En janvier, Trump a en effet menacé l’Iran de détruire 52 de ses sites culturels nationaux en représailles des 52 otages américains emprisonnés par la République islamique il y a des années de cela. Une guerre des symboles qui a le mérite d’avoir fait réagir les directeurs des plus prestigieux musées du monde, qui, d’habitude, ne se mêlent pas de ce type de conflits et qui concluent ensemble : “L’Iran abrite 24 sites du Patrimoine mondial de l’Unesco d’une grande importance culturelle et naturelle, non seulement pour les Iraniens, mais pour l’humanité et sa mémoire collective.”
C’est la saison hivernale, donc le retour des think tanks alpins avec l’une des premières foires de la saison, Artgenève, qui a lieu à côté de l’aéroport qui voit défiler les visiteurs en partance soit pour Gstaad, où Hauser & Wirth organise une exposition et des projections géantes de truismes parfois ironiques de Jenny Holzer, du genre “Money creates taste”, sur la façade de l’hôtel Palace ; soit pour le Verbier Art Summit, dirigé cette année par Jessica Morgan (directrice de la DIA Art Foundation de New York), qui aborde la question du paysage culturel et de son impact écologique sous le titre Resource Hungry, avec, parmi les invités, Joan Jonas ou Dominique Gonzalez-Foerster, etc. ; soit pour Zuoz (à côté de Saint-Moritz) où se déroule pour la 10eannée les E.A.T (Engadin Art Talks) qui, sous le thème “Silent-Listen”, confrontent des artistes comme Charles Gaines à l’explorateur Erling Kagge.
Sinon en Asie, où il fait plus chaud, Singapour sait se retourner. Après l’annonce l’année dernière de l’annulation de la foire Art Stage, une nouvelle manifestation la remplace en janvier 2020 : S.E.A Focus, qui propose des tables rondes avec des personnalités incontournables comme Hans Ulrich Obrist ou Ute Meta Bauer. La foire a lieu en même temps que la Biennale (la 6e du genre) dirigée par le Philippin Patrick Flores, qui se déploie dans toute la ville : c’est la Singapore Art Week. Pour la première fois, douze collectionneurs y présentent une partie de leurs collections dans le cadre high-tech du port franc.