2 juin 2017

Lost in translation : l’aventure de trois artistes à Shanghai

Pendant plusieurs mois, Cédric Van Parys, Virginie Litzler et Rodan Kane Hart sont partis en immersion dans la mythique mégalopole chinoise. Ils dévoilent à la Biennale de Venise le fruit de cette résidence artistique au Swatch Art Peace Hotel de Shanghai : des œuvres nourries de leur dialogue avec une ville et une culture étrangères.

Photographes, architectes ou artistes, ils ont passé plusieurs mois en résidence au Swatch Art Peace Hotel de Shanghai à l’invitation de la célèbre marque de montres. Inspirés par cette expérience très Lost in Translation, Cédric Van Parys, Virginie Litzler et Rodan Kane Hart ont réalisé un projet artistique original, présenté par Swatch à la Biennale de Venise jusqu’au 26 novembre. Numéro les a rencontrés à l’occasion du vernissage. 

 

 

LES MONUMENTS MYSTÉRIEUX DE CÉDRIC VAN PARYS

 

Ce sont d’étranges monuments installés sur les toits des gratte-ciel de Shanghai qui ont fasciné l’architecte belge Cédric Van Parys. Si certains ressemblent à des temples asiatiques et font référence à la tradition chinoise, d’autres évoquent des bâtiments occidentaux et la colonisation de la ville (anglaise, française ou américaine). Que représentent-ils ? Cédric Van Parys a mené l’enquête pendant plusieurs mois…

 

Numéro : Que représentent ces monuments que vous avez reproduits sous forme de maquettes ?

Cédric Van Parys : Après des recherches poussées à la Bibliothèque de Shanghai, j’ai découvert que ces monuments installés sur le toit des gratte-ciel n’avaient en réalité pas de fonctions précises. Ils sont issus d’une tradition qui remonte à l’Empire, quand les sculptures sur le toit des maisons étaient une manière, pour les grandes familles, d’affirmer leur statut social. Aujourd’hui, on les retrouve même sur des immeubles modernes. Leur forme est autant inspirée de l’architecture chinoise classique qu’occidentale, en raison de l’influence de la colonisation. Certains monuments me font aussi penser à des temples grecs, ou à des bâtiments fascistes des années 30.

 

Pourquoi les avoir représentés au sein d’un paysage imaginaire ?

En tant qu’architecte, mon travail consiste à penser un bâtiment en fonction de son environnement. Ici, je voulais inverser la démarche. J’ai imaginé mes paysages en fonction de chaque monument : chaque lieu devait s’adapter au monument pour lui permettre de s’exprimer pleinement. Chaque paysage devait amplifier son architecture.

LES MASQUES FASCINANTS DE RODAN KANE HART

 

Au cours de ces pérégrinations, l’artiste sud-africain Rodan Kane Hart a découvert des copies de statues antiques romaines vendues en boutique à l’intention des étudiants en art. Des “œuvres” qui témoignent de la fascination de la Chine pour la tradition occidentale. L’artiste s’en est servi comme matière première pour créer son impressionnante installation regroupant 40 masques, tels des visages déformés.

 

Numéro : Pourquoi avoir choisi des répliques de statues antiques pour élaborer vos masques ?

Rodan Kane Hart : J’ai trouvé très intéressant que les étudiants chinois aient comme “modèle” un art antique issu d’une autre culture. Comme s’il perpétuait et célébrait aujourd’hui encore une idée très occidentale de la beauté. En les déformant et en les retravaillant, j’ai voulu montrer que l’on pouvait peut-être questionner cette idée du beau. Je voulais perturber les canons de beauté occidentaux.

LES CORPS EN MOUVEMENT DE VIRGINIE LITZLER

 

La photographe française Virginie Litzler a observé pendant de nombreuses semaines les rues de Shanghai. Ses clichés se sont attachés à capturer les attitudes et les mouvements des passants au sein des artères de la ville. Que nous disent ces chorégraphies des corps du rapport des habitants à leur ville ? La réponse se cache dans ses images.

 

Numéro : Quelle influence peut avoir une ville sur la démarche et les attitudes de ses habitants ?

Virginie Litzler : On ne marche pas de la même manière selon l’architecture des lieux, la largeur d’un trottoir ou d’une rue, la matière du sol (le bois, le béton) mais aussi l’affluence. Ce qui m’a tout de suite fascinée à Shanghai, c’est l’absence de permanence. Une rue peut changer du tout au tout d’une semaine à l’autre. Dans un même quartier, vous pouvez traverser une artère en étant collé aux autres passants, au point de sentir les parfums et les odeurs corporelles (ce qui est souvent le cas à Shanghai), puis, l’instant d’après, vous retrouver seul. Vous devez vous réinventer tout le temps, vos repères disparaissent sans cesse.

Le Swatch Art Peace Hotel est une initiative du célèbre label de montres suisse. Inauguré en 2011 au cœur du Bund, artère mythique de Shanghai, la bâtiment accueille chaque année des artistes internationaux en résidence. Partenaire principal de la Biennale de Venise, Swatch présente cette année le travail de quatre de ces artistes (le Swatch Art Peace Hotel en a déjà accueilli plus de 240) à l’Arsenale jusqu’à la fin novembre. Cédric Van Parys, Virginie Litzler et Rodan Kane Hart, mais aussi le Chinois Yuan Jinhua sont les quatre ”Swatch Faces 2017“.