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L’artiste Xie Lei remporte le prix Marcel-Duchamp 2025
Ce jeudi 23 octobre, en pleine semaine de l’art à Paris, le prix Marcel-Duchamp vient d’annoncer au musée d’Art moderne le lauréat de sa 25e éditon : le peintre Xie Lei, dont les toiles oniriques et ambiguës incarnent dans des êtres évanescents le flottement de notre époque. Son installation est à découvrir dans l’institution parisienne jusqu’au 22 février prochain, aux côtés des trois autres finalistes Bianca Bondi, Eva Nielsen et Lionel Sabatté.
Par Matthieu Jacquet.

Xie Lei, 25e lauréat du prix Marcel-Duchamp
Depuis quelques semaines, sept peintures d’un vert aqueux et profond nimbent de mystère l’une des salles du musée d’Art moderne de Paris. Sur ces grandes toiles au format identique, alignées sur les cimaises blanches, se décline un même motif : une silhouette, ou parfois deux, irradiant de lumière, en train de tomber dans le vide. Dans cette série, conçue pour l’exposition des finalistes du prix Marcel-Duchamp 2025, Xie Lei souhaitait représenter une sensation aussi physique que mentale : la chute libre.
Une image angoissante que toutefois, le peintre nuance, amenant notamment par son travail de l’huile et du gesso sur la toile l’ambiguïté symbolique qui caractérise sa peinture. Plutôt que la chute, ces corps flottants, inidentifiables et agenres, avec leur éclat presque surnaturel, ne pourraient-ils pas tout aussi bien incarner l’élévation spirituelle, le devenir spectral ou divin, ou encore, figer un processus de métamorphose ? Quelles qu’en soient les lectures, ce projet pictural rapporté par la commissaire Julia Marchand a valu à l’artiste chinois, installé à Paris depuis vingt ans, de remporter ce jeudi 23 octobre la prestigieuse distinction. Il devient ainsi le vingt-cinquième lauréat du prix créé par l’ADIAF en 2000 pour récompenser des artistes français, succédant, entre autres, à Clément Cogitore, Mimosa Echard ou encore Gaëlle Choisne.


De la Chine à Paris, la peinture comme obsession
Né à Huainan en 1983, et formé très tôt aux arts graphiques dans son pays natal, Xie Lei n’a cessé de suivre sa passion pour la peinture figurative, jusqu’aux bancs de l’école des Beaux-arts de Paris, où il commence à étudier en 2006. Passionné par l’histoire du médium et ses grands maîtres en Occident, de Delacroix à Goya, l’artiste emprunte toutefois sa propre voie, enchaînant des représentations allégoriques, mystérieuses et oniriques de notions ou d’actions qu’il souhaite les plus universelles possibles, de l’étreinte à la respiration.
La plupart du temps, ses personnages sont peints dans des couleurs non naturelles – bleus, jaunes orangés, verts d’eau –, réduits à leurs traits les plus essentiels, voire à des contours flous et évanescents, et possèdent rarement des visages complets, afin de laisser le plus grand monde s’y reconnaître. C’est sans doute cette démarche d’ouverture, couplée à une manière singulière de peindre le doute et le flottement depuis maintenant vingt ans de pratique picturale, auront séduit le jury. Directeur du musée d’Art moderne, Fabrice Hergott dit justement voir dans son œuvre “une expression particulièrement aboutie de ce qu’est ce début de XXIe siècle, [où] l’absence de repères et le vertige sont devenues les sensations les plus communément ressenties”.

Une édition historique, exposée au musée d’Art moderne de Paris
Portée par son lauréat et ses trois autres finalistes, Bianca Bondi, Eva Nielsen et Lionel Sabatté, l’édition 2025 du prix Marcel-Duchamp est à double titre historique. Au-delà de l’anniversaire des 25 ans du prix, la traditionnelle exposition des quatre finalistes se tient pour la première fois au musée d’Art moderne de Paris après des années au Centre Pompidou. Si la fermeture récente de la célèbre institution pour cinq années de travaux est à l’origine de ce déménagement, ce dernier apporte au format de l’exposition un vent de nouveauté bienvenu. Pour la première fois, les œuvres des quatre artistes dialoguent ensemble dans une première salle, pensée comme un préambule à leurs quatre espaces dédiés que l’on découvrira ensuite.

De Bianca Bondi à Eva Nielsen, des œuvres comme portail vers un notre monde
Cette nouvelle exposition nous le rappelle : chaque quatuor de finalistes apporte une couleur particulière à l’histoire du prix. Si ceux de 2023 se croisaient dans leur intérêt pour les migrations et les territoires, là où ceux de l’an passé livraient plutôt leurs propres réflexions plastiques et visuelles sur le paysage contemporain, les pratiques du cru 2025 semblent toutes, à leur manière, former des portails vers un autre monde – onirique, sombre, voire magique. Outre la proposition de Xie Lei, l’installation impressionnante et poétique de la plasticienne Bianca Bondi met littéralement une maison sens dessus dessous, entre lits fixés au mur, objets domestiques et plantes érodés par le cuivre et le sel, inspirée par les rituels wicca.
Passionné par la sédimentation de l’image et de la matière, la photographe et plasticienne Eva Nielsen invite en face dans un labyrinthe de transparence où ses images de natures et de textures, imprimées sur toile, se fondent dans d’autres imprimées quant à elles sur de grands voiles en soie, mettant en abyme son inépuisable exploration du paysage. Enfin, l’univers plus ténébreux de Lionel Sabatté s’incarne dans des créatures menaçantes aux airs d’oiseaux géants, sculptés dans une roche volcanique, ou encore dans ses “dessins de poussière,” faisant par l’agrégation de moutons et cheveux émerger de la surface vierge une galerie de portraits énigmatiques.
L’installation de Xie Lei et des trois autres finalistes sont à découvrir dans l’exposition du prix Marcel-Duchamp 2025, jusqu’au 22 février 2026 au musée d’Art moderne de Paris, Paris 16e.
