7 mai 2021

Who is Kandis Williams, the artist who devised the scenography for Virgil Abloh’s runway show

Dans ses collages et ses performances, cette artiste afro-américaine convoque les symboles de la pop culture, la mythologie, et interroge les codes et les rapports de pouvoir dans notre société. Elle a notamment été invitée à collaborer avec Virgil Abloh sur le récent défilé masculin de Louis Vuitton.

Propos recueillis par Nicolas Trembley.

L’écriture, le poids des mots sont au centre de la pratique artistique de Kandis Williams, qui a fondé la maison d’édition Cassandra Press, une plateforme éducative et activiste gérée par des artistes. La mythologie l’intéresse et elle en utilise l’imagerie dans ses nombreux collages anthropologiques. Née au milieu des années 80 à Baltimore, aux États-Unis, Kandis Williams est passée par l’Europe avant de récemment s’établir entre Los Angeles et Trinidad. Transdisciplinaire – elle réalise aussi bien des films que des installations –, Kandis Williams se concentre sur le corps comme lieu d’expérience. Dans ses performances ou ses chorégraphies, elle explore le mélange des interactions sociales, qu’elles soient forcées ou désirées, conscientes ou pas, comme par exemple “être une jeune femme artiste noire aujourd’hui”, et fait dialoguer ces concepts avec des images de la culture pop dominante. Elle a récemment mis en œuvre la dramaturgie et la scénographie du défilé homme automne- hiver 2021-2022 de Louis Vuitton par Virgil Abloh, et, avec sa maison d’édition, va bientôt réaliser un projet à Luma Westbau. Mais c’est à Paris que nous la verrons bientôt, puisqu’elle vient d’intégrer la liste d’artistes de la nouvelle galerie Fitzpatrick. Pour Numéro, elle a décidé de répondre à nos questions en se servant de citations d’autres artistes ou de personnalités politiques. Une façon pour elle d’aborder la réflexion conceptuelle qu’est l’interview en produisant un collage de citations qui fait écho à sa propre pratique.

 

 

Numéro : Quel a été votre parcours ?
Joan Didion [écrivaine et romancière américaine née en 1934] : “L’éducation nous inculque le principe moral selon lequel les autres, n’importe quel autre, tous les autres, sont par définition plus intéressants que nous le sommes. On nous apprend à manquer d’assurance, à basculer imperceptiblement sur ce versant-là de l’auto-effacement. (‘Vous êtes la personne la moins importante dans cette pièce, tâchez de ne pas l’oublier’, voilà ce que la gouvernante de Jessica Mitford lui sifflait à l’oreille en préambule à tout événement social ; j’ai recopié cette phrase dans mon carnet, parce que ce n’est que récemment que j’ai moi-même été capable d’entrer dans une pièce sans entendre une petite voix intérieure me glisser au creux de l’oreille un message du même ordre.)”

Kandis Williams, “The Oratory Command: X Carmichael King Hampton” (2016). 251,5 x 180 cm. Courtesy of the artist and Night Gallery

Comment avez-vous su que vous vouliez devenir artiste ?
Henri Matisse [1869-1954] : “À partir du moment où j’ai eu cette boîte de couleurs entre les mains, j’ai senti que c’était là qu’était ma vie. Comme une bête qui va à ce qu’elle aime, je me suis plongé là-dedans.”

 

David Hammons [artiste américain né en 1943] : “Je suis né comme ça. C’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas appris à l’école. Toutes les écoles d’art m’ont viré, d’ailleurs, en m’orientant vers l’enseignement professionnel. Un jour, je me suis dit : ‘Bon, je commence à être trop vieux pour continuer à fuir comme ça devant ce don que je possède’, et j’ai décidé d’avancer, de faire avec. Si j’ai toujours eu cette rage de l’art, c’est aussi parce qu’il n’a jamais eu trop d’importance pour moi. À l’époque, on insultait les gens – ceux qui achetaient nos œuvres, les marchands d’art… Parce que cet aspect-là du statut d’artiste, pour nous, c’était du vent. […] Mais comme quelqu’un me l’a dit un jour : ‘L’art est une affaire de vieux briscards, pas un métier de jeune homme.’ La plupart des gens tolèrent très mal toute la solitude que ça implique. Et en même temps, c’est ce qui me plaisait en Californie. Ces mecs qui avaient la soixantaine, qui n’avaient pas eu une seule expo depuis vingt ans, qui ne voulaient pas d’expo, mais qui peignaient tous les jours, avec une énergie incroyable. Des sortes de poètes, détestant tout ce qui bouge – des fous, des teigneux, qui ne parlaient pas aux gens sous prétexte que leurs têtes ne leur revenaient pas. Outrageusement impolis, quel que soit l’interlocuteur, et se foutant royalement de savoir combien d’argent quelqu’un pouvait avoir. Voilà le genre de personnes qui m’ont influencé quand j’ai débuté en tant qu’artiste. Des types comme Noah Purifoy ou Roland Welton. En débarquant à New York, je n’ai rien retrouvé de tout ça. Tout le monde était prêt à ramper, à se prostituer – prêt à tout pour se trouver dans la même pièce que quelqu’un qui avait du fric. Il n’y avait pas de bad guys. C’est là que je me suis dit : ‘D’accord, ce sera moi, le bad guy’, celui qui traîne dans les quartiers louches, et on verra bien.

 

 

D’où proviennent vos images ?
W. E. B. Du Bois [écrivain, sociologue et militant ghanéen d’origine américaine, 1868-1963] : “L’art, ce ne sont pas seulement les œuvres d’art ; c’est aussi l’esprit qui connaît la Beauté, qui a la musique au creux de son être et les couleurs d’un coucher de soleil dans son mouchoir ; l’esprit qui peut danser sur un monde en flammes, et en même temps faire danser le monde.”

Kandis Williams, “Iconic Face of Death Mask II” (2018). Impression vinyle sur Plexiglas, 76,2 x 138,4 cm. Courtesy of the artist and Night Gallery

Vous avez développé la plateforme d’édition Cassandra Press, gérée par des artistes. Pouvez-vous nous expliquer ce projet ?
Kandis Williams : Cassandra Press est une plateforme d’édition à dimension éducative et à but non lucratif, directement gérée par des artistes. Elle produit des contenus pédagogiques, des projets, des livres d’artiste et des expositions. Notre but est de faire circuler les idées, de diffuser un nouveau langage et de promouvoir un dialogue centré sur l’éthique, l’esthétique et l’activisme conjugué au féminin, mais aussi des bourses à destination de la communauté noire.

 

 

Comment installez-vous vos œuvres ?
Marva Collins [éducatrice et pédagogue américaine, 1936-2015] : “Faites-vous confiance. Pensez par vous-même. Agissez pour vous-même. Parlez pour vous-même. Soyez vous-même. L’imitation, c’est le suicide.”

 

 

Vous sentez-vous proche d’un mouvement artistique ou d’une communauté ?
Tschabalala Self [artiste américaine née en 1990, dans un entretien avec Noor Brara pour le New York Times, en 2020] : “Je reste très dubitative face à la fétichisation des artistes noirs qui s’est emparée de notre époque. Je suis extrêmement mal à l’aise, par exemple, lorsqu’on me propose de mettre mon travail aux enchères. Je trouve parfaitement inapproprié et sans objet de vendre des œuvres aux enchères, en particulier les miennes : je suis une artiste afro-américaine et je peins des corps noirs. Dans ce pays, je suis descendante d’esclaves, et il me paraît absolument inconcevable que des gens viennent me voir, tout guillerets, pour me demander si je serais heureuse de voir mes œuvres – qui représentent des corps noirs – vendues à l’encan ! Cela prouve bien que les gens ont une très mauvaise compréhension de ce qu’est l’histoire des Noirs américains, qu’ils ne comprennent pas qui je suis, et ignorent les spécificités de mes origines ethniques, en tant que personne noire aux États-Unis. Il faut croire que ça les dépasse.”

 

 

De quoi aimeriez faire prendre conscience à travers votre travail, notamment dans l’époque si particulière que nous traversons ?
Renee Cox [artiste jamaïcaine et américaine née en 1960, dans un entretien avec Tiana Reid pour le New York Times, en 2020] : “Je m’efforce de créer ma propre propagande de mise en valeur des Noirs. Je me concentre sur les gens qui me ressemblent. C’est pourquoi j’ai choisi d’inverser le regard, pour montrer à mes semblables qu’ils n’ont pas la moindre raison d’avoir cette mentalité servile d’esclaves. L’inversion du regard est pour moi quelque chose de naturel, mais elle est aussi foncièrement radicale. Beaucoup d’artistes refusent de parler de ça, parce qu’ils ont peur. Certains sont plus à l’aise que d’autres avec l’argent et les honneurs. De mon point de vue, ceux-là ne font rien pour la communauté noire. Et ils nous disent : ‘Après tout, rien ne m’y oblige. Je suis juste un artiste. Pas un artiste noir, juste un artiste. Je ne suis pas une artiste femme et noire, juste une artiste.’ Mais de quoi ces gens-là parlent-ils ? Quand je pénètre dans une pièce, on voit entrer une femme artiste, une femme noire. Quand on regarde mon travail, on se doute bien que ce n’est pas l’œuvre d’une WASP de Nouvelle-Angleterre prénommée Muffy. Pourquoi fuyons-nous face à notre propre identité ? Au bénéfice de qui ? Je suis noire et je suis fière, et, en tant que femme, je suis toute-puissante. Je suis celle qui donne la vie. Mettez donc mon cul sur un piédestal.”