18 mai 2021

Voyage sur la Lune ou retour dans le temps : la réalité virtuelle s’invite à la Gaîté Lyrique

Qui n’a jamais rêvé de tout quitter, d’apprivoiser des créatures en papier ou de voyager dans l’espace ? Du 22 mai au 18 juillet, la Gaîté Lyrique accueille dix œuvres d’art ultra-immersives à l’occasion du festival Les Ailleurs, qui honore les possibilités artistiques offertes par la réalité virtuelle. Avant qu’un jury de professionnels ne décerne son grand prix à l’un des dix artistes présentés ce vendredi 21 mai, Numéro revient sur trois œuvres de ce corpus interactif.

Affiche du festival « Les Ailleurs », du 22 mai au 18 juillet 2021 à la Gaîté Lyrique.

Pour sa réouverture, la Gaîté Lyrique a métamorphosé ses intérieurs. Dans son bâtiment niché au détour du boulevard Sébastopol (Paris 3e), l’institution artistique a aménagé un espace dédié au festival “Les Ailleurs”, un rendez-vous culturel immersif célébrant la création artistique à l’aune des nouvelles technologies. Au milieu d’un océan de béton, des casques de réalité virtuelle sommeillent, accrochés à leur socle et bercés par ronronnement des ordinateurs. Mais cet espace sombre – dénué de fenêtres – et froid, qui rappelle davantage la salle informatique d’un collège qu’un musée, sera pourtant le théâtre d’une expérience artistique inédite. Muée en centre d’expérimentation futuriste, la Gaîté Lyrique y accueillera dix œuvres de réalité virtuelle : si la technique simulant des environnements immersifs et interactifs a d’abord conquis le monde du jeu vidéo – et du cinéma, dans une moindre mesure –, le monde de l’art s’en empare progressivement. Sur rendez-vous, il sera possible de revêtir l’un des vingt casques disponibles afin d’arpenter les méandres des dix films interactifs présentés par les artistes sélectionnés. Réalisé en partenariat avec Les Rencontres d’Arles et Fisheye Magazine, le festival “Les Ailleurs” regroupe ces œuvres en trois parcours sensoriels puissants. Ainsi, “Voyages Sauvages” permettra d’abord d’évoluer au sein de décors organiques s’inspirant du vivant, “Transports Intimes” comprendra une série de récits dramatiques et très humains et “Dimensions Parallèles” dévoilera un recueil de poèmes numériques abstraits, explorant tous à leur manière une partie des infinies possibilités artistiques offertes par la réalité virtuelle. Quelques jours avant le coup d’envoi du festival, ce vendredi 21 mai, Numéro s’est arrêté sur trois de ces œuvres qui nous transportent aux confins de l’univers et de nous-mêmes… 

« To the moon » (2019) de Laurie Anderson et Hsin-Chien Huang, 15 minutes.

1. Débarquez sur une Lune surprenante avec To The Moon

 

 

La réalité virtuelle est un moyen de faire les voyages dont on a toujours rêvé. Quelle meilleure évasion alors que de quitter la planète Terre ? Dans To The Moon, un projet commandé par le Louisiana Museum au Danemark pour l’exposition “The Moon : From Inner Worlds to Outer” en 2018, la musicienne expérimentale Laurie Anderson – qui en signe notamment la bande originale – et l’artiste numérique Hsin-Chien Huang ont croisé leurs univers respectifs en créant un paysage lunaire. Alors que l’on déambule à la surface de l’astéroïde, plusieurs scènes s’offrent au voyageur, qui vole doucement à la rencontre d’une rose géante posée en plein cosmos, ou voit s’abattre lentement une pluie de diamants étincelants. Puis, apparaît enfin la figure bleutée de la planète Terre, pendant que retentissent les mots “You know the reason I really love the stars ? It’s that we cannot hurt them” (“Tu sais pourquoi j’aime vraiment les étoiles ? Parce qu’on ne peut pas les blesser.”) Soulevant davantage de questions qu’elle n’y répond, notamment sur l’origine du monde et le rôle de l’être humain sur Terre, l’œuvre de Laurie Anderson et Hein-Chien Huang fait office d’entrée en matière contemplative dans le(s) monde(s) merveilleux de la réalité virtuelle.

« Paper Beasts » (2020) de Eric Chahi, 20 minutes.

2. Explorez l’oasis colorée de Paper Beasts

 

 

Au cœur d’un désert de sable rose, des falaises de roche bleue déchirent le sol. Au loin, apparaissent des créatures aussi étranges qu’attachantes, prenant tour à tour la silhouette d’un dromadaire, d’un scorpion ou d’un éléphant… Dans l’extrait de quinze minutes de Paper Beasts, un jeu vidéo d’une dizaine d’heures créé par Eric Chahi, on remarque la patte du gamer : téléportation et interactions précises avec les animaux de papiers – dont chaque espèce a une intention différente – se mêlent à l’esthétique époustouflante d’un univers chatoyant. Dès les balbutiements du jeu vidéo dans les années 1980, le Français se passionne pour le graphisme avant de créer le jeu futuriste Another World en 1991, qui sera sélectionné en 2014 pour intégrer la première collection de jeux vidéos du MoMA. Passionné par les phénomènes naturels, il passe quatre ans à étudier les volcans et la géologie et fonde le studio Pixel Reed en 2016. Mêlant ses deux passions, il imagine alors Paper Beasts, dévoilé en 2020, un jeu en forme d’oasis merveilleux conçu pour en admirer l’écosystème ultra coloré.

« The Book of distance » (2020) de Randall Okita, 27 minutes.

3. Vivez une épopée familiale bouleversante dans The Book of Distance

 

 

Si la programmation informatique permet de créer des univers futuristes de toutes pièces, elle permet aussi de revivre le passé avec une précision saisissante. En s’affranchissant des contraintes d’espace et de temps, le réalisateur japonais Randall Okita a créé The Book of Distance, une œuvre en réalité virtuelle retraçant le destin de son grand-père, Yonezo Okita, de son départ de sa ville natale d’Hiroshima jusqu’à sa mort. Les personnages, dont les visages sans yeux n’enlèvent rien de leur puissance émotive, y évoluent à travers des mises en scène théâtrales, alors qu’un unique projecteur éclaire un dîner, un jardin ou wagon bondé… Porté par un sens de la dramaturgie remarquable, le film interactif nous emmène, à hauteur d’homme, aux côtés de Yonezo Okita alors qu’il salue sa famille pour la dernière fois, cramponné au bastingage du paquebot qui l’emmène au Canada – puis lorsqu’il est envoyé en camp de concentration, durant la Seconde Guerre Mondiale. Bouleversant, le film de 27 minutes, sélectionné au festival du film de Venise et au festival de Sundance, raconte avec dignité les batailles d’une génération d’immigrés, alliant la prouesse artistique à un travail de mémoire poignant.

 

 

Festival « Les Ailleurs », du 22 mai au 18 juillet à la Gaîté Lyrique, Paris 3e.

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