Une sculpture en forme de vulve fait polémique au Brésil
Inaugurée le 2 janvier dernier dans un champ de l’Etat de Pernambouc, au Brésil, la sculpture monumentale “Diva” signée par l’artiste Juliana Notari suscite depuis quatre jours des réactions et critiques en rafale dans un pays déjà déchiré socialement et politiquement. En cause : sa représentation jugée explicite et indécente d’un sexe féminin, mais aussi les coulisses de sa réalisation…
Par Matthieu Jacquet.
Ces derniers mois, une immense flaque rouge a fait petit à petit son apparition sur le vert d’un pré brésilien. Au centre, une fente s’enfonce dans la profondeur du sol et tout autour, des vagues rouges s’étendent telles des coulures sanguines. L’image est aussi forte qu’ambiguë : si l’œuvre représente une entaille à vif dans la peau aux contours ensanglantés, difficile de ne pas y reconnaître la forme du sexe féminin. Comme pour appuyer cette allégorie féminine, son auteure Juliana Notari la baptise d’ailleurs d’un nom explicite : Diva. C’est au terme de 11 mois de travail et d’une résidence artistique en collaboration avec le musée d’art moderne Aloisio Magalhães et l’Usina de Arte de Recife — un projet de réhabilitation d’une ancienne usine à sucre à des fins artistiques – que l’artiste brésilienne a terminé cette sculpture monumentale, inaugurée officiellement le 2 janvier. Son idée directrice : “questionner la relation entre nature et culture dans notre société occidentale phallocentrique et anthropocentrique”, comme elle l’écrit sur sa page Facebook, et donc aborder les problématiques liées au genre en adoptant une perspective féminine… et féministe.
Connue au Brésil pour ses installations, vidéos et performances mettant en scène le corps humain mais aussi le verre, le bois ou encore le feu, Juliana Notari n’en est pas à sa première œuvre engagée. En 2006, elle se montrait déjà en train de percer au marteau un trou dans un mur, qu’elle élargissait ensuite à l’aide un écarteur en métal et éclaboussait de jets de peinture écarlate. 15 ans plus tard, Diva devient sans doute le projet le plus monumental à ce jour de cette artiste originaire de Recife. En effet, l’œuvre en béton armé recouvert de résine rouge vif s’étend sur 33 mètres en longueur, 16 mètres en largeur et 6 mètres en profondeur. Propriété de l’Usina de Arte, son terrain est désormais destiné à l’accueillir de façon permanente. Mais portée par une démarche engagée dans un contexte politique extrêmement tendu au Brésil, l’œuvre ne cesse de susciter les critiques depuis son inauguration.
De la part de l’extrême-droite, d’abord : bien que le président de l’Etat brésilien Jair Bolsonaro, connu pour son rejet assumé des idées féministes et de la défense des populations LGBTQ+, ne se soit pas exprimé à son sujet, bon nombre de ses sympathisants n’ont pas attendu pour manifester leur désapprobation. Car la croisade de Bolsonaro contre le progressisme social et culturel n’est pas un secret, et sa condamnation récente de l’avortement à l’occasion de sa légalisation en Argentine ajoute à la dimension politique de la sculpture. “L’avortement ne sera jamais approuvé sur notre sol, avait-il déclaré à cette occasion. Nous nous battrons toujours pour protéger la vie des innocents!” Pendant que certains dénoncent ainsi l’apparence indécente, laide ou ridicule de l’œuvre, l’essayiste et idéologue Olavo de Carvalho, proche soutien du président brésilien, a même suggéré dans un tweet délibérément provocateur qu’on lui oppose une sculpture phallique. Mais les détracteurs de Diva ne se trouvent pas seulement dans cette frange de la société. L’œuvre a également provoqué l’indignation de plusieurs personnes sensibles aux questions liées à la transidentité et l’antiracisme. Sur Facebook et Twitter, plusieurs internautes ont en effet reproché à Juliana Notari que l’œuvre, installée sur d’anciennes terres de culture de la canne à sucre, ait été construite par une main d’œuvre exclusivement masculine et noire d’après les clichés publiés sur les réseaux sociaux.
Inscrite dans une séries d’œuvres de l’artiste consacrées aux blessures, la sculpture de Juliana Notari vise pourtant avant tout à matérialiser une plaie ouverte ainsi qu’un hommage à la terre mère et nourricière. “Cette blessure est, toutefois, infiniment minime comparée aux traumatisme liés à l’esclavage, au travail illégal, à l’écocide et aux traumatismes violents qui ont eu lieu dans cette usine comme dans d’autres propriétés coloniales”, a précisé la quadragénaire à CNN. Un message par ailleurs compris et salué par de nombreux internautes, comme le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho qui lui a exprimé son soutien : “Les réactions à votre travail sont un miroir de notre société. C’est un succès”, a-t-il réagi sur Twitter. Si la polémique donne à l’œuvre une visibilité inédite dans un pays de plus en plus divisé sur le plan des idées, elle n’est pas sans rappeler les controverses régulièrement causées par des sculptures monumentales d’artistes contemporains. On pense bien sûr à la fameuse sculpture en acier rouillé présentée par Anish Kapoor dans le jardin de Versailles en 2015, recouverte à plusieurs reprises de tags antisémites et surnommée par l’artiste “Le Vagin de la Reine”, au fameux plug anal vert érigé par Paul McCarthy sur la Place Vendôme en 2014, vandalisé pour son caractère obscène. Plus récemment, c’était le Domestikator de Joep van Lieshout, construction anthromorphe en métal où se distinguaient deux silhouettes en plein coït, qui fut rejetée par le Louvre pour sa “vision trop brutale” avant d’être exposée sur le parvis du Centre Pompidou en 2017. Autant d’exemples de la dernière décennie qui prouvent comment représentation de la sexualité et art contemporain dans l’espace public font encore, auprès de l’opinion, rarement bon ménage.