Ugo Rondinone enfante des hommes-totems chez Kamel Mennour
Pour sa première exposition personnelle chez Kamel Mennour, l’artiste suisse Ugo Rondinone prend possession des trois adresses parisiennes du galeriste. Une large sélection de sculptures, célébrant la vie et sa dimension sacrée.
Par Matthieu Jacquet.
Passer de l’autre côté du décor
A wall. Seven windows. Four people. Three trees. Some clouds. One sun. Le titre le l’exposition annonce clairement le programme. À peine entré dans l’espace de l’avenue Matignon, on tombe ainsi sur un mur peint de fines briques rose. Il faut le dépasser pour découvrir la suite, littéralement derrière le décor explicite du théâtre de Rondinone. En bas, sept fenêtres en aluminium réalisées à partir de moulages de fenêtres réelles développent une réflexion sur le regard et la perception qui renvoie à l’histoire de la peinture. Si Alberti qualifiait cette dernière de fenêtre ouverte sur le monde, ces parois opaques, accrochées telles des toiles, matérialisent ici une ouverture sur soi, puisque chacun pourra y discerner sa propre silhouette par effet de miroir.
Le magicien des éléments
Rue Saint-André des Arts, trois arbres sombres en résine recouverts d’une mousse rocailleuse esquissent les premières lignes d’un conte. “La nature est ma religion et les arbres sont mes amis”, a déclaré l’artiste suisse. Inspiré par les oliviers de la région de ses parents dans les Pouilles, il les sublime dans cette installation, puis poursuit cette célébration des éléments avec des sculptures de graviers accrochées au mur. Évoquant des nuages par leur aspect flottant, celles-ci figent dans l’espace un paysage où le céleste se mêle au tellurique. Les formes suivent la matière et la matière suit les formes. Derrière elles, un cerceau composé de branches de vigne en bronze doré dessine un cercle lumineux, suspendu au plafond. En transformant l’arbre en auréole, symbole sacré s'il en est, Ugo Rondinone convoque le mystique et fait briller le soleil de son art.
Un archaïsme contemporain
Bien que l’arte povera et l’art minimal émergent en toile de fond, il serait bien réducteur d’y enfermer l’œuvre d’Ugo Rondinone, qui, pour exprimer sa vision, ne se limite jamais aux médiums, aux techniques ni aux formes. Au-dessus de l’École des beaux-arts de Paris, l’artiste affiche, aux couleurs de l’arc-en-ciel, la phrase We are poems, comme un hommage à la force sensible du vivant tourné vers le ciel. Pour clore ce vaste éventail de son œuvre, on retrouve enfin chez Kamel Mennour ses fameuses sculptures anthropomorphes réalisées dans une pierre bleue italienne – un matériau qui, à l’état brut, porte en lui les marques de son histoire. Tels des menhirs en majesté, ces deux “personnages” hiératiques érigés sur une plaque d’acier composent une œuvre emplie d’une forte charge sacrée à la forme archaïque.
L’esprit du compagnon d'Ugo Rondinone, l'Américain John Giorno, qui s’est éteint à l’âge de 82 ans trois jours avant le vernissage de l'exposition, semble également planer dans cette œuvre à ses côtés. On se souvient en effet de l'émouvant hommage qu’Ugo Rondinone avait rendu fin 2015 au Palais de Tokyo à ce grand poète, proche d’Andy Warhol et de la Beat Generation. Ici, si la galerie Kamel Mennour est un temple sacré, l'installation monumentale de l'artiste suisse forme un totem appelant au culte et à la cérémonie. : sculptés dans la pierre, les deux amants se font alors l’incarnation de l’homme universel, ancré dans l’infini.
Ugo Rondinone, A wall. Seven windows. Four people. Three trees. Some clouds. One sun. In memory of John Giorno, the love of my life. Ugo,
Du 14 octobre au 23 novembre, à la galerie Kamel Mennour,
47 rue Saint-André des Arts, 6 rue du Pont de Lodi, 28 avenue Matignon, Paris 6e et 8e.