Tout savoir sur Valentin Ranger, l’artiste qui célèbre les corps invisibles et stigmatisés
Chaque semaine, Numéro décrypte le travail d’un artiste contemporain exposé actuellement. Ici, focus sur Valentin Ranger, à la fois vidéaste 3D, peintre et sculpteur, qui présente sa première exposition personnelle à la galerie Spiaggia Libera.
Par Matthieu Jacquet.
L’artiste Valentin Ranger, chef d’orchestre des corps invisibles
Dessinateur, vidéaste, artiste 3D ou encore sculpteur, Valentin Ranger investit de nombreux médiums pour mettre en forme son imaginaire foisonnant. Passé par des études de théâtre avant d’entrer aux Beaux-arts de Paris, le jeune Français se qualifie de “conteur d’histoires“ et envisage ses pièces comme parties d’une œuvre d’art totale, d’un “immense opéra” dans lequel existeraient les personnages, décors et scènes qui constituent son autre monde. Caractérisées par leurs couleurs vives et sucrées, leur foisonnement d’éléments et leurs êtres hybrides interagissant avec sensualité et érotisme, ses créations orgiaques se situent quelque part entre l’exaltation et le danger, la jouissance et la contagion. On y croise, entre autres, arbustes-spermatozoïdes, femmes-génisses, fruits phalliques, cœurs souriants et autres hommes-papillons… Autant de créatures reflétant les corps marginalisés et stigmatisés pour leur altérité – ceux des minorités LGBTQ+, principalement, mais aussi des malades – évoluant dans des lieux clos et secrets, inspirés par les backrooms comme les salles d’hôpital.
À la galerie Spiaggia Libera, à Paris, Valentin Ranger présente actuellement sa première exposition personnelle en France, au même moment que certaines de ses pièces dans l’accrochage collectif des étudiants félicités des Beaux-arts de Paris. Récompensé par le Prix Spécial du Jury des Révélations Émerige en 2022, l’artiste a été invité à cette occasion à préparer une exposition personnelle à la galerie Mor Charpentier, qu’il inaugurera en juin.
Valentin Ranger à la galerie Spiaggia Libera : une première exposition personnelle en France
Intitulée “Infected/Disfigured” (“Infectée/Défigurée”), l’exposition de Valentin Ranger montre, à travers une série d’œuvres récentes, l’étendue et la diversité de sa pratique plastique. On y découvre aussi bien ses grands dessins colorés qu’un mur tapissé de ses ex-votos sur papier d’aluminium – quarante-neuf, pour être exact – et des sculptures de petite taille, imprimées en 3D, formes de figurines hybrides aux airs de talismans. Tous les êtres qui s’y trouvent sont issus des films de l’artiste projetés dans la salle du fond, véritables plongées dans sa fantasmagorie organique qui nous amènent quelque part entre l’intérieur des entrailles et la galaxie. Au sein de cette exposition, le plasticien dévoile également les nouveaux personnages qui peuplent son univers : les “Orgiax”, êtres dégenrés qu’il qualifie d’avatars de lui-même. Ensemble, ils forment une communauté secrète de comédiens prêts à jouer dans le grand opéra dont il est le chef d’orchestre.
L’œuvre choisie par l’artiste : une scène d’amour ambiguë entre créatures fantasmées
Une images édénique dans les tons rose et rouges s’étend sur une toile carrée d’un mètre soixante de large et de long. Au centre, trois êtres humanoïdes, debout, caressent avec tendresse leurs corps lisses et brillants : celui du milieu est affublé de discrètes cornes de diable, tandis que les deux autres, d’ailes anges. Quelques autres homologues les entourent, dotés de peaux translucides à travers lesquelles apparaît, parfois, une plante grimpante imitant un système nerveux, pendant que flottent autour d’eux cœurs espiègles et virus de tailles diverses. Réalisée par ordinateur, imprimée sur la toile, peinte aux pigments et à l’acrylique, et enfin vernie, l’œuvre provoque volontairement l’ambiguïté : sommes nous ici face à une image numérique, ou bien à une peinture réalisée à la main ?
Les mots de Valentin Ranger
“Lorsque je travaille mes imprimés, je me réfère aux peintures classiques du Quattrocento et notamment aux univers de Fra Angelico, dont j’étudie la représentation des anges et leur apparition dans des lieux clos. Je suis particulièrement marqué par l’ambiguïté apparente entre leur beauté et leur isolement dans l’espace du tableau, qui leur attribue une présence presque perverse.
Pour cette série de peintures digitales, j’ai imaginé un groupe de personnages, les “Orgiax”, qui s’inspirent aussi bien des Dionysies – histoires racontées par les groupes chassés des villes antiques pour habiter les forêts dans la Grèce antique – que des lieux dédiés à la sexualité ou aux différentes sous-cultures de l’hédonisme (sport, santé, épicurisme).
Revenus des enfers de Dante avec lumière, ces êtres agenres sont à l’aube d’une nouvelle histoire et célèbrent ensemble la naissance d’un monde. Je les perçois comme les descendants d’une société où sexualité et pureté s’accorderaient, formant la chorale des âmes disparues qui traversent l’histoire des luttes LGBTQI+
À travers ma pratique, ce monde digital devient une société autonome qui nous tend un contre-miroir de notre rapport au corps. Je veux que ces oeuvres offrent un moment de silence, et un appel à la douceur.”
“Valentin Ranger. Infected/Disfigured”, exposition jusqu’au 4 mars 2024 à la galerie Spiaggia Libera, Paris 3e.
À lire aussi sur numero.com
Tout savoir sur Ali Cherri, l’artiste-archéologue qui reconstruit l’histoire
Tout savoir sur Françoise Pétrovitch, l’artiste qui poétise l’adolescence
Tout savoir sur Alex Foxton, le peintre qui déconstruit les masculinités