Tout savoir sur Binta Diaw, l’artiste qui transforme le corps en paysage
Chaque semaine, Numéro décrypte le travail d’un artiste contemporain exposé actuellement. Ici, focus sur Binta Diaw, jeune plasticienne et photographe, qui présente jusqu’au 28 mars une exposition personnelle à la galerie Cécile Fakhoury.
Par Matthieu Jacquet.
L’artiste Binta Diaw : quand l’arte povera rencontre l’écoféminisme
Réalisées à base de cheveux, de terre, de jonc de mer, de cordes ou encore de craie, les œuvres de Binta Diaw composent des paysages poétiques où se lit la mémoire des corps stigmatisés et invisibilisés. Basée entre Milan et Dakar, la jeune artiste italo-sénégalaise, diplômée de l’Accademia di belle arti di Brera di Milano à Milan et de l’École d’Art et de Design de Grenoble en France, s’est révélée ces dernières années par une pratique mêlant photographie, performance et installation, qui lui a valu de remporter le prix Pujade-Lauraine en 2022 et d’être nommée au prix Reiffers Art Initiatives en 2023. À cette occasion, elle avait exposé à l’Acacias Art Center l’une de ses installations désormais emblématiques : une mangrove composée de tresses de cheveux synthétiques noirs, solidifiées et reformées pour se déployer en rhizome à l’image des racines d’un arbre trempant dans de petites flaques d’eau.
Un procédé qu’elle déploie également dans des salles entières : avec ces tresses, il lui arrive de tisser de véritables toiles au-dessus du sol, entre lesquelles elle construit de petits monticules de terre pour y placer des boutures, offrant à l’espace figé de l’exposition la perspective d’un nouveau cycle. Épine dorsale de sa pratique, la fusion entre le corps et la nature s’illustre particulièrement dans Paysage corporel, série photographique au long cours débutée en 2019 qui présente des fragments de peau noire en gros plan, où des lignes de peinture colorée forment de nouveaux décors. Une pratique qui s’inscrit directement dans la lignée de ses aînés et compatriotes de l’arte povera, eux aussi habitués à utiliser des matériaux naturels, élémentaires et vivants, à travers laquelle l’artiste explore des questions reliées à l’écoféminisme mais aussi au soin.
Binta Diaw à la galerie Cécile Fakhoury : sa première exposition personnelle à Paris
Intitulée “Da qui (à partir d’ici)”, l’exposition de Binta Diaw à la galerie Cécile Fakhoury est aussi sa première exposition personnelle à Paris. L’occasion pour l’artiste de présenter les nouveaux volets de sa recherche, notamment une série de photographies réalisées lors de précédentes performances, qui la mettaient en scène dans une forêt dans laquelle son corps semble se fondre. L’artiste actuellement en résidence à la Cité internationale des arts à Paris présente également une nouvelle sculpture capillaire : ici, les tresses partent du plafond pour se dérouler jusqu’au sol, et s’étendre comme les tentacules d’une pieuvre ou les pattes d’une araignée – qui n’est pas sans rappeler les fameuses sculptures de Louise Bourgeois. Au sol, l’artiste présente son film sur un téléviseur entouré d’une structure noire en forme d’igloo, référence explicite à Mario Merz, figure tutélaire de l’arte povera.
L’œuvre choisie par l’artiste : une ode photographique à la nature
Un rocher se dresse sous des arbres éclairés par le soleil. De ce décor minéral photographié de près, on discerne tous les détails, entre la terre et les pierres, tandis que les feuilles éclairent le haut de l’image de leur vert intense. Au centre, une cascade de longs cheveux noirs tressés semble relier ces deux espaces. Ce n’est que dans un second temps que l’on discernera le visage de leur propriétaire, discrètement allongée sur le rocher, le visage d’apparence serein. La rencontre entre le corps et la nature est ici totale.
Les mots de Binta Diaw
“Cette photo fait partie d’une série d’images de performances réalisées à Milan en 2016. Elle est très importante pour moi car elle contient en partie la genèse de ma recherche actuelle, c’était un acte spontané de placer mon corps en rapport direct avec la nature.
Les corps sont la trace vivante de nos oppressions, de nos expériences et nos actions. Étant une femme noire, je ressens le besoin de réfléchir à la façon dont la société occidentale, patriarcale et capitaliste a toujours “racialisé” les femmes et la nature au même niveau.
Dans les œuvres et notamment via la performance, j’essaie de reconstruire et de maintenir la continuité d’une relation indélébile entre les êtres humains et la nature. De nos jours, il y a une forme d’artificialité qui nous divise et nous fait oublier qui nous sommes. Avec mon corps et mes mouvements, je reviens aux origines primordiales. Origines qui sont inscrites dans notre corps, car la terre est inscrite en nous.”
“Binta Diaw. Da qui (à partir d’ici)”, exposition jusqu’au 28 mars 2024 à la galerie Cécile Fakhoury, Paris 8e.
À lire aussi sur numero.com
Tout savoir sur Françoise Pétrovitch, l’artiste qui poétise l’adolescence
Tout savoir sur Alex Foxton, le peintre qui déconstruit les masculinités
Tout savoir sur l’artiste Tarek Atoui, sculpteur du son exposé à l’IAC