Tina Modotti : 3 choses à savoir sur la photographe engagée exposée au Jeu de Paume
D’abord star de cinéma, puis photographe et militante communiste, Tina Modotti (1896-1942) a connu un destin atypique, et notamment la société et les bouleversements politiques du Mexique des années 1920 et 1930. Alors que le Jeu de paume présente jusqu’au 12 mai sa première rétrospective en France, découvrez 3 choses à savoir sur la photographe italienne.
Par Camille Bois-Martin.
1. Tina Modotti : des débuts comme star du cinéma muet
Tina Modotti voit le jour en 1896 dans une famille ouvrière d’Udine, dans le nord de l’Italie. Alors qu’elle n’a que douze ans, son père quitte le foyer pour les États-Unis et elle se retrouve contrainte à travailler dans une usine de sa région afin de subvenir à ses besoins. Mais ses envies de liberté et d’émancipation la guident rapidement, à son tour, vers le territoire américain, où elle décide de voyager seule à l’âge de seize ans – sans même connaître un seul mot d’anglais. Installée dans la ville bouillonnante de San Francisco, elle découvre un univers bien éloigné de son pays natal. En 1920, alors qu’elle vit depuis cinq ans avec son mari, le peintre et poète Roubaix de l’Abrie Richey (dit Robo) à Los Angeles, la jeune Italienne fait une rencontre qui influencera le reste de sa vie : celle du célèbre photographe Edward Weston (1886-1958), qui lui ouvre les portes d’un milieu intellectuel et sophistiqué,, notamment celui du cinéma muet – alors à son apogée – et ses célébrités grandissantes telles que Theda Bara, Clara Bow, Wallace Beery ou encore Roscoe Arbuckle.
Avec son teint foncé et ses cheveux noirs, la jeune italienne se distingue de ses pairs et se voit offrir des rôles au théâtre de San Francisco, avant d’incarner quelques personnages de second plan au cinéma. Elle intègre alors le microcosme hollywoodien naissant (elle apparaît dans les pages du magazine Variety dès 1920) et obtient peu à peu des rôles principaux. Bien que reléguée aux personnages “exotiques” aux yeux des Américains, elle enchaîne les grandes production, incarnant le personnage mexicain Jean Ogilvie dans le célèbre The Tiger’s Coat de Roy Clements (1920), celui de Rosa Carilla dans Riding with Death de Jacques Jaccards en 1921 puis de Carmencita Gárdez dans I Can Explain de George D. Baker, un an plus tard.
2. Une photographe activisite et politique avant tout
Suite à la mort soudaine de son mari en 1922, à Mexico, Tina Modotti met fin à sa fulgurante carrière cinématographique. Loin du luxe et de l’effervescence américaine, la jeune italienne se rend dans la ville de son défunt époux pour ses obsèques et découvre un pays dont la situation socio-politique lui rappelle son Italie natale. Au point qu’elle ne le quittera plus jamais : bousculée autant que captivée par les révolutions qui animent alors le Mexique, Tina Modotti incite son ami et amant Edward Weston à emménager avec elle dans la capitale, où ce dernier ouvre son studio photo. L’italienne commence alors à immortaliser les scènes qu’elle croise au quotidien dans les rues, des maniefstations aux rassemblements plus festifs. Ses clichés aux allures d’instantanés – alors même qu’elle utilise un Graflex, nécessitant un temps de pose long et un matériel imposant – la distinguent rapidement au ppint de l’identifier comme une photographe activiste communiste de référence (elle adhère en 1927 au Parti), suivant de très près la population mexicaine et ses combats de 1923 à 1930.
Loin des portraits de célébrités ou de paysages, Tina Modotti s’intéresse surtout aux anonymes qui peuplent les rues, les immortalisant en train de lire les gros titres des revues communistes ou de brandir une banderole en l’honneur du révolutionnaire assassiné Emiliano Zapata (1879-1919), tout en capturant par exemple, de manière plus symbolique, une faucille et un épis de maïs, clins d’œil au parti qu’elle défend avec ferveur. Plus qu’un engagement (elle refusera toujours d’être considérée comme une artiste), sa photographie se transforme rapidement en outil de propagande, publiée dans les journaux les plus influents de l’époque (El Machete, Mexican Folkways, New Masses, AIZ), du Mexique aux États-Unis en passant par l’Allemagne et l’Union soviétique. Au point de se voir confier par l’influente revue El Universal Ilustrado la réalisation des portraits officiels de personnalités influentes du mouvement, de Genaro Estrada, Luis Quintanilla à Jorge Juan Crespo de la Serna, qui deviendront sa principale source de revenus.
3. Une photographe engagée, dans le viseur de l’État mexicain
L’engagement de Tina Modotti en fait une figure aussi influente que pointée du doigt au Mexique. En 1930, à la sortie d’un cinéma, son compagnon Ée l’époque, le révolutionnaire cubain Julio Antonio Mella, est assassiné en pleine rue sous ses yeux. La photographe est alors suspectée à tort et prise pour cible par la police qui, lors d’une perquisition à son domicile, découvre des clichés d’elle nue prises par Edward Weston. S’en suit un lynchage médiatique qui la force à fuir vres le sud-est du Mexique, à Tehuantepec, où elle photographie alors les femmes indépendantes et actives de cette région, très matriarcale. Un an plus tard, l’Italienne est accusée d’avoir participé à un attentat contre le président mexicain Pascual Ortiz Rubio. Contrainte alors de quitter le pays, Tina Modotti embarque dans un long voyage en mer vers Rotterdam, où elle manque de peu de se faire arrêter par la police fasciste alors à sa recherche. L’artiste s’installe finalement à Berlin en envisageant d’y poursuivre ses projets mais elle fait face à l’essor du photoreportage, qui lui cause bien des difficultés en raison du matériel encombrant qu’elle utilise et maîtrise depuis des années, et du manque de luminosité de la région, alors que le soleil mexicain représentait pour sa pratique un immense atout.
Portée par ses convictions communistes, elle part alors en URSS aux côtés de son amant Vittorio Vidali, avec lequel elle s’engage pour les organes centraux du Secours rouge international. Tina Modotti délaisse alors son appareil photo pour défendre ses rêves d’un “socialisme victorieux”. L’isolement croissant des partis communistes russes et la montée du fascisme en Europe achèvent de la décourager, cette dernière refusant même de venir la photographe officielle du Parti communiste. Après de nombreux voyages en Europe pour le Secours rouge, elle finit par rejoindre Madrid, où elle œuvre pendant guerre civile espagnole dans un hôpital privé pour soigner les soldats espagnols, déguisée en bonne sœur afin de passer inaperçue. Mais la victoire du dictateur Franco la pousse à nouveau à fuir, et Tina Modotti rejoint enfin le Mexique, sous une fausse identité, où elle reste jusqu’à sa mort, décédée dans un taxi des suites d’une crise cardiaque à l’âge de 45 ans (en 1942), le cœur encore lourd de ses convictions…
Célébré au Mexique mais longtemps oublié par le reste du monde au gré des crises socio-politiques qui rythment la seconde-moitié du XXe siècle, le travail de Tina Modotti ne refait surface qu’au cours de ces dernières décennies, grâce au travail de la chercheuse Isabel Tejeda Martín, qui collabore cette année avec le Jeu de paume et inaugure sa toute première rétrospective en France.
“Tina Modotti, l’œil de la révolution”, exposition jusqu’au 12 mai 2024 au Jeu de paume, Paris 1er.