Sculpture, piscine et DJ sets : le Salon d’été, nouveau festival d’art contemporain ?
Réunir œuvres d’art contemporain, performances, foodtrucks et DJ sets dans une demeure historique : telle est la promesse du Salon d’été, nouvel événement réunissant les 22 et 23 juillet prochains une vingtaine de galeries à la Maison Louis Carré, chef-d’œuvre de l’architecte Alvar Aalto. Décryptage d’un projet inédit, qui promet déjà de rafraîchir la scène artistique française.
Par Matthieu Jacquet.
La Maison Louis Carré : un bijou d’architecture signé Alvar Aalto
C’est un petit bijou de l’architecture à une soixantaine de kilomètres de la capitale et quelques pas d’une forêt domaniale. Chef-d’œuvre historique de l’architecte finlandais Alvar Aalto (1898-1976), et sa seule réalisation en France encore visible à ce jour, la Maison Louis Carré dénote dans le paysage verdoyant de la petite commune rurale de Bazoches-sur-Guyonne. Murs en briques blanchies et pierre de Chartres, toit en ardoise incliné, traçant dans le ciel des lignes obliques, portes et fenêtres en lattes de teck… Lumineux et fonctionnel, le bâtiment construit à la fin des années 50 rassemble de l’extérieur à l’intérieur les grands principes esthétiques établis par le célèbre designer, qui en a également réalisé l’intégralité du mobilier, des luminaires aux rideaux et tapis. On retrouve ainsi les lignes courbes et sinueuses sur les plafonds jusqu’aux lustres en passant par les formes organiques des poignées de portes, autant que l’utilisation massive de matériaux naturels tels que le bois clair. Propriété du galeriste parisien Louis Carré pensée sur mesure, cette demeure accueillante est restée préservée depuis la mort de ce dernier et de son épouse Olga, et ouvre depuis 2006 ses portes au public les week-ends, ainsi qu’à l’occasion d’expositions d’art contemporain – à raison de deux par an. En ce week-end du 22 et 23 juillet, elle se fait désormais l’hôte d’un projet inédit et excitant : le Salon d’été, où une vingtaine de galeries d’art parisiennes exposeront dans le domaine lors de deux journées rythmées par des performances, lectures et autres DJ sets.
Fitzpatrick Gallery, Sans titre et The Performance Agency : un trio à l’origine du Salon d’été
C’est à Robbie Fitzpatrick que l’on doit l’initiative de ce projet, né après que la Maison Louis Carré lui a donné carte blanche pour exposer en ses lieux. Inspiré par la figure de Louis Carré, grand esthète et hôte de nombreuses soirées dans son jardin, le galeriste parisien a voulu rendre hommage au son sens de l’accueil de son aîné et son amour profond pour les artistes et leur exposition, s’étendant bien au-delà du marché. Pour ce faire, le propriétaire de la Fitzpatrick Gallery s’est rapidement entouré de la sémillante Marie Madec, fondatrice de la jeune galerie Sans titre, ainsi que de Yael Salomonowitz, derrière la structure internationale et curatoriale The Performance Agency : en résulte un événement sur mesure dans une demeure iconique, à l’intersection entre la foire et l’exposition curatée invitant l’art contemporain dans des lieux historiques.
De la foire Paris Internationale, dont l’une des éditions s’est tenue dans un ancien supermarché, au Basel Social Club, exposition organisée entre galeristes par Robbie Fitzpatrick en marge de l’incontournable foire Art Basel, les initiatives de ce type lancées par les galeries tendent aujourd’hui à se multiplier, montrant leur volonté de se libérer des contraintes liés aux expositions commerciales et de l’injonction à la concurrence. Marie Madec en a d’ailleurs fait sa marque de fabrique dès 2016, en exposant des artistes contemporains dans l’intimité de son appartement parisien avant de curater des expositions dans une chambre d’hôtel ou un garage. Choisies par les organisateurs, les vingt-deux galeries retenues pour le Salon d’été dressent un panel riche et varié de la scène artistique internationale défendue dans l’Hexagone autant qu’elles s’alignent sur les valeurs défendues par les organisateurs : un sens du partage et un amour pour le commissariat, d’autant plus lorsqu’il permet d’échapper au classicisme white cube — espace d’exposition dépouillé visant une certaine neutralité. On trouve ainsi dans la sélection Sultana, Derouillon, High Art ou encore Mor Charpentier, déjà bien installées dans le paysage parisien, autant que des nouvelles venues telles que la DS galerie, Spiaggia Libera, Lo Brutto Stahl et Petrine, déjà distinguées par leur regard pointu et leur désir de défendre des artistes de tous horizons, souvent émergents et peu visibles en France. “Que ce soit au Salon d’été ou au Basel Social Club, nous tentons de proposer un modèle alternatif pour les galeries et former avec elle une véritable communauté”, résume Robbie Fitzpatrick avec enthousiasme.
Sculptures dans la piscine, foodtrucks et DJ sets
Si l’architecture du bâtiment, son mobilier et les affaires des époux Carré se doivent d’être préservés, le domaine laisse tout de même aux galeristes et aux artistes une grande marge de manœuvre avec la possibilité d’investir ses moindres recoins, des rayons du dressing d’Olga Carré au poolhouse dans le jardin, en passant par la surface des tables de la salle à manger. Le duo de peintres et céramistes Jacent, également fondateur de l’artist-run-space Tonus, essaimera ainsi ses petites terres cuites dans la salle de bains historique de madame, à côté de ses flacons de parfums d’origine, ainsi que des kimonos peints aux côtés de ses peignoirs. En plein cœur du bassin de la piscine, c’est un mégot de cigarette géant que l’on découvrira, sculpture du plasticien Rafaël Fanelli présentée par le project space Goswell Road. Tandis que la maison d’édition indépendante After 8 Books, spécialisée dans la publication de livres d’artistes, réunira une sélection de ses ouvrages dans la foisonnante bibliothèque de monsieur Louis Carré.
“Nous souhaitons que l’événement devienne une destination, explique Marie Madec. L’idée est de déconstruire le temps de visite de l’exposition pour créer de nouvelles expériences entre le public et les œuvres et y amener une dimension festive.” Située à près d’une heure de Paris en transports, la Maison Louis Carré requiert pour s’y rendre une certaine organisation, qui demande d’autant plus à l’équipe du Salon d’été de donner le change et justifier l’achat du ticket d’entrée – compter entre quinze et vingt-huit euros pour le passe journée. Foodtrucks, glacier et bars sont prévus sur place pour permettre au public de se restaurer pendant leur promenade artistique, pendant que le programme imaginé par The Performance Agency rythmera les deux journées du midi jusqu’au soir – près de minuit pour le samedi. Performances des artistes Salomé Chatriot et Pablo Altar, conversations avec le directeur de la foire Paris+ Clément Délépine et le commissaire d’exposition Thomas Conchou, séance de lecture par le jeune écrivain Marouane Bakhti, ou encore DJ sets… Fort de ce riche programme et de cette ambiance conviviale, le Salon d’été ambitionne de devenir un véritable festival d’art contemporain, avec déjà l’espoir de renouveler le rendez-vous dès l’année prochaine. “Avec l’équipe des organisateurs, nous avons parlé de “faire génération”, ajoute Marie Madec. Louis Carré était un visionnaire : en cofondant le Comité professionnel des galeries d’art en 1947, il a compris avant tout le monde que les galeries devaient collaborer et partager leurs ressources plutôt que se voir comme des rivales.” Plus de soixante-dix ans plus tard, le Salon d’été promet déjà de reprendre son flambeau.
Salon d’été, les 22 et 23 juillet 2023 à la Maison Louis Carré, Bazoches-sur-Guyonne (78).