Sarah Bernhardt au Petit Palais : 3 scandales qui ont forgé le mythe
On l’a surnommée “La Divine”, “Le monstre sacré”, “La Scandaleuse”… Sarah Bernhardt fait partie de ces visages à jamais gravés dans le panthéon des grandes figures féminines françaises. Pendant plus d’un demi-siècle, son talent d’actrice et son excentricité ont fasciné ses contemporains, qui venaient par milliers assister à ses représentations de théâtre, de Paris à New York en passant par Saint-Pétersbourg et Londres. Première superstar internationale, Sarah Bernhardt est aujourd’hui au cœur d’une exposition au Petit Palais rendant hommage à son génie tout autant qu’à son train de vie exubérant, rythmé de scandales qui ont contribué à forger son mythe. Retour sur trois des plus mémorables.
Par Camille Bois-Martin.
1. Le jour où Sarah Bernhardt a été photographiée dans un cercueil
Sarah Bernhardt doit une grande partie de sa célébrité aux scènes de mort et d’agonie qu’elle incarnait avec passion devant les yeux médusés de ses spectateurs. Sillonnant l’Europe et les États-Unis au gré de ses nombreuses tournées, elle propose des spectacles composés d’un florilège de ses grandes scènes les plus populaires. Elle interprète ainsi successivement sur scène des rôles tirés de diverses pièces (Phèdre de Racine, Doña Sol de Silva (l’héroïne d’Hernani de Victor Hugo), Marguerite (rôle-titre de la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils), dans lesquels l’actrice rend l’âme empoisonnée, égorgée, poignardée… Cette fascination pour le morbide, qui se poursuit jusque dans sa vie privée, attise toutes les curiosités. De nombreux témoignages de l’époque décrivent, par exemple, l’intérieur de son appartement parisien, recouvert de draps de satin noir et décoré, entre autres, du squelette d’un jeune homme, d’un crâne humain offert par Victor Hugo, d’un chapeau chauve-souris ou encore d’un cercueil… dans lequel Sarah Bernhardt passa de nombreuses nuits de sa vie. En 1880, Achille Mélandri la photographie d’ailleurs à l’intérieur de celui-ci, les bras ramenés sur sa poitrine et les yeux fermés. Le cliché fait alors le tour de Paris – et atteint même les États-Unis – , faisant courir la rumeur que la Divine est morte. Si le scandale profite à sa notoriété tout autant qu’à celle du photographe, il s’agit en réalité d’une mise en scène orchestrée par Sarah Bernhardt elle-même, tirant parti des rumeurs colportées par les visiteurs de son appartement surpris par le cercueil. La présence de cet objet macabre a en réalité une explication bien plus prosaïque : il s’explique par la maladie sa petite sœur, Régina, atteinte de tuberculose, que l’actrice héberge alors dans sa chambre. Faute de lit, Sarah Bernhardt s’installe donc dans ce cercueil pour dormir et raconte même, dans ses mémoires publiés en 1907, s’y réfugier régulièrement pour apprendre ses rôles… avant de l’utiliser en “tombeau de toutes les lettres d’amour qu’on lui adressait.” L’histoire ignore encore aujourd’hui l’origine de ce cercueil que l’actrice conserva jusqu’à la fin de sa vie et qui contribua grandement à la légende qu’alimentèrent ses amants au sujet de ses tendances sexuelles morbides.
2. Lion, alligator, singe… les drôles d’animaux de compagnie de Sarah Bernhardt
Grisée par sa fortune hors normes, Sarah Bernhardt cède à toutes ses envies les plus folles. Malgré les dizaines de millions de francs-or accumulés au cours de sa carrière, l’actrice n’en possède plus que 10 000 à la fin de sa carrière, la majorité ayant été dépensée sans compter dans ses hôtels particuliers, ses robes de haute couture, ses wagons de train privatisés… mais aussi sa ménagerie d’animaux exotiques. Sauvages et dangereuses, les bêtes achetées par l’actrice terrorisent ses visiteurs et nourrissent les plus grands scandales qui ont entouré la star. À commencer par son singe Darwin, qui accompagne la tragédienne lors de sa première tournée à Londres, en 1879, au cours de laquelle elle achète également à un cirque sept caméléons, un chien-loup et un guépard – qu’elle libère un jour dans son jardin privé et qui manqua de dévorer ses chiens devant les voisins épouvantés. À Paris, la “Scandaleuse” adopte également un alligator, qu’elle laisse déambuler dans son appartement, parmi ses invités. Surnommé Ali Gaga, ce dernier mourra finalement après avoir avalé trop de champagne… Et se voit remplacé par un puma, que Sarah Bernhardt adore tenir en laisse et faire grimper sur les genoux des visiteurs de son hôtel particulier. Victimes des folies de leur maîtresse, ces animaux exotiques adoptés par l’actrice furent le sujet de nombreux articles publiés dans la presse française et internationale. C’est notamment le cas d’un lionceau qu’elle offre à sa grand-mère, lors de sa tournée à New York, en 1917 : le scandale est si grand que l’animal dut être restitué à son cirque d’origine, les hôtels de la ville refusant d’accueillir l’actrice dont le fauve laissait de nombreux cadeaux sur leurs précieux tapis. Cette autre lubie donnera naissance, elle aussi, à de nombreuses légendes selon lesquelles Sarah Bernhardt aurait envisagé de se faire greffer une queue de tigre sur le coccyx, ou encore, aurait disséqué des chats et des chiens…
3. De ses amants à sa mort : Sarah Bernhardt, une femme théâtrale
Pour Sarah Bernhardt, tout était prétexte à faire parler d’elle. Outre les grands rôles qui l’ont rendue célèbre, l’actrice alimentait la flamme de ses admirateurs – surnommés les “saradoteurs” – au gré de rumeurs sur sa vie privée, qu’elle lançait la plupart du temps elle-même. À l’image du portrait d’elle dans un cercueil publié dont elle se sert pour attiser les murmures sur ses pratiques sexuelles macabres, la Divine se joue de la curiosité qu’elle suscite et n’hésite pas à mentir au sujet de la paternité de son fils, Maurice Bernhardt. Elle raconte ici et là que le père serait Victor Hugo, ou encore Léon Gambetta… sans même avoir annoncé au véritable géniteur, le prince belge Henri de Ligne, sa grossesse. Autant d’anecdotes sur sa vie privée que Sarah Bernhardt n’hésite pas à étayer dans ses mémoires publiés en 1907, sobrement intitulés Ma double vie. Si cette publication connaît alors un énorme succès, elle continue ainsi d’alimenter sa sulfureuse légende, déjà bien gonflée par la parution en 1883 des Mémoires de Sarah Barnum, écrites sa plus grande rivale, Marie Colombier. Ancienne amie et actrice de sa troupe itinérante, cette dernière épanche sa jalousie au travers de pamphlets sur la vie de Sarah Bernhardt qui, de rage, saccage l’appartement de son ennemie. Conséquence : l’évènement fait la une des journaux et ajoute au succès du livre satirique, qui s’écoule à plusieurs milliers d’exemplaires, au grand damn (ou au bonheur) de la Divine. Entre-temps, Sarah Bernhardt démissionne de la Comédie-Française après l’échec de L’Aventurière, dont elle interprète le rôle-titre : son départ provoque un énorme scandale, et la prestigieuse institution de théâtre poursuit l’actrice en justice pour rupture de contrat. Elle est alors condamnée à leur payer la somme de 100 000 francs de dommages et intérêts – qui sera annulée en 1900, faute de paiement. Le retentissement de l’affaire permet à l’actrice de faire connaître sa nouvelle troupe indépendante, qui rencontre par la suite un succès mondial. Loin de toute bienséance, la carrière de Sarah Bernhardt s’est ainsi nourrie du succès des scandales, qui n’ont jamais effrayé la star, dont le public augmentait année après année, spectacle après spectacle… Jusqu’à réunir quelques 400 000 personnes dans les rues de Paris pour ses funérailles en 1923, filmées par Pathé-Gaumont pour la postérité.
“Sarah Bernardt. Et la femme créa la star”, jusqu’au 27 août 2023 au Petit Palais, Paris 8e.
© André Gill, « Caricature de Sarah Bernhardt en chimère », 1878 Photo © BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF
© W.& D.Downey, « Madame Sarah Bernhardt », c. 1900, épreuve argentique, Paris, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt