8 sept 2020

Robert Mapplethorpe through the gaze of Peter Marino at the Thaddaeus Ropac Gallery: “It’s not the museum-version of Mapplethorpe that interests me.”

Rencontre avec le célèbre designer et architecte Peter Marino qui propose à la Galerie Thaddaeus Ropac sa vision de l’œuvre du sulfureux photographe. Sa sélection de nus masculins, scènes de sexe et natures mortes fait mouche.

L’obsession de la beauté et les pénis en érection (ou au repos, il y en a pour tout les goûts), le mythe du corps et les culs pénétrés d’objets (toujours pour tous les goûts), la quête de la perfection des formes et le fétichisme SM, la rigueur des compositions noir et blanc et les portraits de célébrités, la relation avec Patti Smith et les amours homosexuelles… Depuis ses premières photos dans les années 70 jusqu’à aujourd’hui – sans que sa disparition en 1989 y change quoi que ce soit –, beaucoup aura été dit, écrit et montré de l’œuvre et de la vie de Robert Mapplethorpe. Photographe aussi rigoureux que sulfureux, l’Américain s’est transformé peu à peu en une icône de la photographie du XXe siècle. Sa photo emblématique “Man in Polyester Suit” dévoilant un sexe masculin s’est ainsi vu adjuger à 420 000 euros aux enchères en 2015. L’année précédente, le Grand Palais le consacrait définitivement en France avec une rétrospective (décevante car un peu passéiste) alors que le Musée Rodin le comparait (avec brio cette fois) avec le sculpteur éponyme. Et 2016 sera l’année de sa consécration aux États-Unis avec une double exposition au LACMA et au Getty Museum à Los Angeles.

 

“Ce n’est justement pas le Robert Mapplethorpe muséifié qui m’intéresse”, s’exclame Peter Marino alors qu’on l’interroge sur l’exposition qu’il a réalisée à l’invitation du galeriste Thaddaeus Ropac. L’architecte et décorateur incontournable du luxe livre jusqu’au 5 mars, en plein cœur du Marais, sa vision du photographe. C’est que l’homme toujours de cuir vêtu est aussi un collectionneur passionné, notamment de Mapplethorpe dont il revendique posséder plus d’une centaine de clichés. Rencontre.

 

 

 

Numéro : Pourquoi avoir accepté de réaliser une exposition Mapplethorpe après la rétrospective du Grand Palais en 2014 ? Tout n’avait-il pas été dit ?

 

Peter Marino : Loin de moi l’idée de faire dans la provocation, mais je n’ai pas été très satisfait de l’exposition au Grand Palais. Les très nombreux portraits ne m’ont pas échappé, ni même la vingtaine de clichés de fleurs que je ne considère pas vraiment comme son travail le plus intéressant. Mais lorsqu’il a été question du thème de la sexualité… les photos étaient réduites à la portion congrue dans une seule salle dont l’accès était protégé par une mise en garde ! Je pensais que les Français étaient plus ouverts d’esprit ! À peine 4 ou 5 pénis étaient montrés… Comment peut-on prétendre réaliser une rétrospective de Robert Mapplethorpe sans mettre l’accent sur une partie essentielle de son travail ? Les nus masculins et ses photographies à caractère sexuel sont des œuvres majeures.

 

Vous avez décidé, pour l’exposition à la galerie Thaddaeus Ropac, de mettre l’accent sur les portfolios “X”, “Y”, “Z” ? De quoi s’agit-il ?

 

J’ai souhaité revisiter les thèmes que je considère comme fondamentaux, thèmes qui ont donné lieu à 3 célèbres portfolios, publiés entre 1978 et 1981 : “X” pour les photographies de sexe, “Y” pour les natures mortes florales et “Z” pour les nus masculins. J’ai sélectionné une soixantaine de photographies, dont certaines sont issues des collections du Guggenheim, du LACMA ou du Getty Museum. La scénographie de l’exposition est travaillée de telle sorte que chaque mur accueille une sélection d’une vingtaine de photos issues de chaque portfolio. L’un est peint en noir, l’autre en gris et le dernier en marron foncé. Ce sont les couleurs qu’avait choisies originellement Robert Mapplethorpe pour chacun de ses portfolios. Ces fonds sombres, la sobriété, et la rigueur de l’ensemble me semblent mettre particulièrement en valeur les photographies. Je tenais à ce que les visiteurs se concentrent plus sur le travail de l’artiste que sur ma mise en scène.

  

La violence, la sexualité, la religion, l’homosexualité… À travers ses photographies, Robert Mapplethorpe traite de sujets toujours sensibles aujourd’hui. Mais son œuvre est-elle aussi sulfureuse et provocante que dans les années 70 et 80 ?

 

C’est amusant parce que j’ai remarqué que les réactions me semblent plus outrées aujourd’hui, comme si le public était plus « vieux jeu » que dans les années 70. En théorie, nos sociétés sont moins conservatrices et pourtant… Mais si la réception de l’œuvre de Mapplethorpe a changé, c’est aussi que le public a changé. Dans les années 70, il n’y avait qu’une centaine de personnes tout au plus qui le collectionnaient. Un cercle d’initiés, assez underground. Aujourd’hui, Mapplethorpe est collectionné dans le monde entier, il est exposé dans les plus grands musées. Un public beaucoup plus large, et moins averti, est confronté à ses images. Plus vous devenez mainstream, plus vous êtes confronté à des réactions hostiles et conservatrices. Nous verrons bien quelle sera l’attitude de l’Amérique puritaine lors des expositions de Los Angeles…

 

Rien ne vous choque jamais, ou ne vous met mal à l’aise, dans le travail de Mapplethorpe ?

 

Non, vraiment, non (rires). Évidemment, certaines photos ont provoqué chez moi des réactions : « Wooooh!!! Est-il vraiment en train de se mettre ce bâton dans le cul ? ». Mais je ne pense pas que l’intention de Robert Mapplethorpe soit de choquer. Il souhaitait simplement exprimer ses sentiments, montrer ce qu’était sa sexualité. Ce type de démarche a le pouvoir de vous faire réfléchir à votre propre sexualité, bien sûr.

 

Son œuvre est-elle seulement l’incarnation sublime d’une époque – les années 70 ou 80 ? Vous paraît-elle toujours aussi en phase avec notre époque ?

 

Son travail faisait écho, entre autres, à la révolution sexuelle des années 70, mais sa sincérité le rend éternel. Lorsque vous regardez l’une de ses photographies, vous entrez en connexion avec le sujet – qu’il s’agisse d’un chien ou d’un corps nu. Vous êtes envahi par des émotions profondes. Et ces sentiments humains sont immuables. Robert Mapplethorpe nous permet d’atteindre la vérité des êtres, des choses et du monde. Ses œuvres parlent à notre humanité, à notre capacité de percevoir et de ressentir la beauté.

 

Pourquoi avoir choisi de présenter 17 Polaroid en prélude à votre sélection issue des portfolios “X”, “Y”, “Z” ?

 

Cet ensemble est très important à mes yeux. Lorsque j’ai eu accès aux archives de la Fondation Mapplethorpe afin de préparer l’exposition, j’ai été fasciné par les expérimentations formelles auxquelles il se livrait. Cette sélection de Polaroid l’exprime à la perfection. Ce sont des œuvres issues des années 70 alors que Mapplethorpe était encore un jeune homme. On y voit s’exprimer deux aspects de son art alors en pleine éclosion. D’un côté, la sexualité. De l’autre, l’abstraction totale, avec ces murs blancs traversés par deux lignes noires. Cela reflète à la fois l’esprit d’une époque travaillée par l’opposition entre l’expressionnisme abstrait d’un Rothko ou d’un de Kooning et le pop art plus “réaliste” de Warhol, et la bataille qui s’engage dans l’esprit de chaque artiste entre des pensées abstraites et sa volonté de les incarner de manière intelligible. En regardant ces Polaroid, vous assistez à ce conflit, à ce jeu d’allers-retours entre réalisme et abstraction, qui aboutiront à une synthèse sublime les années suivantes. Celle qui s’incarne dans les portfolios “X”, “Y”, “Z”.

 

“XYZ, Robert Mapplethorpe curated by Peter Marino”, Galerie Thaddaeus Ropac, 7, rue Debelleyme, Paris 3e. Jusqu’au 5 mars. www.ropac.net