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5 déc 2024

Réouverture de Notre-Dame de Paris : les artistes qui transforment la cathédrale

En 2019, les images de l’incendie dévastateur de Notre-Dame de Paris ont fait le tour du monde, désolé de voir l’un des bâtiments emblématiques de la capitale dévoré par les flammes. Ce dimanche 8 décembre 2024, la cathédrale renaît de ses cendres et rouvre au public après des travaux de restauration magistraux, auxquels plusieurs designers et créateurs contemporains ont participé, d’Ionna Vautrin à Jean-Charles Castelbajac.

Ionna Vautrin repense les assises de Notre-Dame de Paris

1500 chaises, 170 agenouilloirs, 40 bancs, 80 prie-Dieu… Le travail d’Ionna Vautrin pour Notre-Dame de Paris est pour le moins colossal. Afin d’assurer la cohérence entre ses créations, la designer française a souhaité mêler subtilement une esthétique très contemporaine, caractérisée notamment par ses lignes épurées, à l’architecture gothique de la cathédrale. Ces chaises, qu’elle décrit comme “silencieuses” car discrètes et se fondant dans le décor, reprennent en effet, des barreaux aux pieds en passant par chaque dossier, la forme des arches, des colonnes et des vitraux environnants.

En chêne massif, le mobilier d’Ionna Vautrin rend hommage à la charpente du 12e siècle, entièrement détruite lors de l’incendie en 2019, et fait écho par sa couleur très claire aux pierres séculaires qui fondent la bâtisse de Notre-Dame. Entièrement façonnées dans les Landes, les chaises ont surtout été conçues en fonction de leur usage cultuel : le dossier, volontairement abaissé, permet aux fidèles du rang postérieur de prier, tandis que l’espace entre les barreaux laisse traverser les rayons de lumière diffusés par les vitraux, qui se répercutent en vagues grâce aux formes arrondies de l’ensemble. La designer, qui transformait en 2017 les wagons de la SNCF par l’intégration de ses lampes désormais emblématiques, invite ainsi sa vision moderne dans un espace liturgique renouvelé.

Un nouveau mobilier liturgique signé Guillaume Bardet

Placés au cœur de la cathédrale et de la messe, le mobilier et les objets liturgiques (entièrement détruits lors de l’incendie) constituent une part centrale de la réouverture de Notre-Dame de Paris. Sélectionné parmi les 69 artistes candidats au projet de restauration, Guillaume Bardet signe de nombreuses pièces qui peupleront le chœur à partir du 8 décembre 2024 : l’autel, la cathèdre, les sièges, l’ambon, le tabernacle, le baptistère et tous les vases sacrés nécessaires à l’office. Une responsabilité symbolique et logistique de taille pour le designer français.

À l’image des autres artistes qui ont contribué à la rénovation de la cathédrale, il imagine des créations d’une “noble simplicité”, dont les matériaux et les formes dialoguent avec l’architecture du lieu sans l’éclipser, tout en conservant l’empreinte de la modernité. Ainsi le baptistère se démarque-t-il par sa forme de bol, minimaliste certes mais profondément contemporaine. Il en va de même pour l’autel, quasi géométrique, dont la surface reprend l’aspect rectangulaire traditionnel mais dont la structure efface les pieds pour les remplacer par une incurvation sans artifices, créant l’impression d’une table en équilibre.

En bronze, le mobilier contraste avec la blondeur de la pierre nettoyée de Notre-Dame – une volonté de l’artiste qui souhaitait, avec cette matière, équilibrer les volumes face à la puissance de la lumière qui éclaire les meubles du chœur. En parcourant une multitude d’encyclopédies d’objets sacrés de toutes les époques, le designer français a également imaginé la vaisselle liturgique en argent martelé, composées d’objets aux lignes pures qui font écho au mobilier inédit.

Jean-Charles de Castelbajac imagine les vêtements liturgiques pour la réouverture de Notre-Dame

Derrière les vêtements imaginés par Jean-Charles de Castelbajac, un précepte : la lumière. Entre les rayons blancs projetés sur les pierres restaurées de la cathédrale et les éclats de couleur diffusés par les vitraux, ces lumières inspirent au créateur français des tenues immaculées, ponctuées de motifs aux couleurs vives que l’on retrouve partout entre les murs de Notre-Dame — du jaune, du rouge, du vert, du doré et du bleu. Un exercice entre mode et religion, auquel le couturier est déjà coutumier, auteur notamment des 1500 costumes et ornements liturgiques pour les Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris en 1997, y compris celui arboré par le pape à cette occasion.

Portés par les évêques, archevêques, les prêtres et les diacres à l’occasion des messes, les chasubles et les accessoires du clergé de Notre-Dame, confectionnés en collaboration avec les ateliers Maison Michel et Paloma, tranchent avec les tenues traditionnelles, se démarquant par leurs dessins stylisés et leurs couleurs vives et pures, signatures de l’esthétique pop propre à Castelbajac.

Si le créateur de 75 ans a dû respecter les coupes traditionnelles des vêtements religieux, sa patte s’invite davantage dans les détails, comme les sequins ou les tissus lamés ornant chacune des pièces réalisées pour les 700 célébrants. Ces créations seront notamment portées lors des cérémonies de réouverture et tout au long de la période inaugurale (qui s’étend jusqu’à la Pentecôte en juin 2025), et ne seront utilisées par la suite que pour les cérémonies les plus importantes.

Le reliquaire de la couronne d'épines. © Sylvain Dubuisson.
Le reliquaire de la couronne d’épines. © Sylvain Dubuisson.

Le reliquaire pour la couronne d’épines par Sylvain Dubuisson

Chargé de concevoir le réceptacle de l’une des reliques les plus sacrées de la chrétienté, Sylvain Dubuisson signe une pièce majeure de cette nouvelle Notre-Dame de Paris : le reliquaire de la couronne d’épines. Un grand défi, aussi bien sur les plans créatif et symbolique, que l’architecte et designer français relève en puisant autant dans la tradition que dans l’innovation. Empruntant à la coutume de l’iconostase (cloison décorée d’icônes, érigée dans une église), il reprend la forme verticale et l’aspect imposant du mobilier, également accentué par sa matière, le bois de cèdre, en référence au bois de la Croix.

Haut de plus de trois mètres sur deux de large, le reliquaire s’aère au gré d’encoches laissant transparaître la lumière des vitraux de la chapelle axiale (où sera installée la pièce). Le meuble se décompose en douze cercles concentriques ornés de cabochons en verre quadrangulaires apposés sur fond d’or.

Au centre, une demi-sphère bleu roi – couleur de la Vierge – accueille la couronne d’épines, exposée comme si elle était en lévitation, et capte le regard par son intensité chromatique. Conciliant esthétique et haute exigence en termes de sécurité, le mobilier impressionnera indubitablement les visiteurs par sa taille et par ses ornementations, croisant jeu de transparence et reflets dorés…

Miquel Barcelo, 'Not yet titled' (2018), Villa Carmignac. © Photo Luc Boegly.
Miquel Barcelo, Not yet titled (2018), Villa Carmignac. © Photo Luc Boegly.

Michael Armitage et Miquel Barceló signeront les tapisseries de Notre-Dame

Dernière annonce en amont de la réouverture de Notre-Dame de Paris : les artistes Michael Armitage et Miquel Barceló signeront sept tapisseries, dont la confection débutera en 2025. Un projet d’envergure – cinq à six années seront nécessaires –, en écho avec les nombreuses tapisseries exposées dans la cathédrale dès le 13e siècle, qui ont progressivement disparu à l’aube du 19e siècle.

Destinées aux chapelles latérales nord, elles aborderont l’Ancien Testament réinventé par l’imaginaire des deux plasticiens. De la palette chromatique vive du peintre britannico-kenyan Michael Armitage aux toiles foisonnant de détails de l’Espagnol Miquel Barceló, les futures tapisseries promettent de trancher avec les représentations religieuses qui peuplent Notre-Dame… En attendant, l’institution présentera à sa réouverture un ensemble de tapisseries d’Henri Matisse, Georges Braque, Jean Bazaine, Pierre Buraglio, Mario Prassinos et Zao Wou-Ki.

Notre-Dame de Paris, 4e. Réouverture au public le 8 décembre 2024.