9 juil 2022

Rencontres d’Arles 2022 : Rahim Fortune, Mika Sperling… le Prix Découverte Louis Roederer dévoile ses nouveaux lauréats

Depuis 2017, la Fondation Roederer défend la photographie contemporaine en apportant son soutien lors de l’un de ses événements majeurs en France : Les Rencontres d’Arles. Rendez-vous incontournable de la photographie, qui inaugurait le lundi 4 juillet sa 53e édition, le festival accueille une fois de plus cet été l’exposition du Prix Découverte Louis Roederer, qui réunit chaque année les projets de dix jeunes talents de la photographie contemporaine, présentés dans l’Église des Frères Prêcheurs. Ce vendredi 8 juillet au théâtre antique de la ville provençale, le jury du prix dévoilait parmi ces dix finalistes les trois lauréats de son édition 2022.

Cela fait maintenant 52 ans que Les Rencontres d’Arles mettent à l’honneur chaque été la création photographique sous toutes ses formes. Si au fil des éditions du festival, ses programmations sont riches en monographies de figures majeures ayant marqué l’histoire du médium – en attestent les expositions de Lee Miller, Romain Urhausen ou encore Babette Mangolte cette année –, l’événement offre aussi l’occasion de découvrir les nouveaux noms qui façonnent la photographie d’aujourd’hui et de demain. À ce titre, la fondation Roederer, partenaire de l’événement, s’est positionnée depuis 2017 en véritable défricheur de talents : ces cinq dernières années – outre 2020 –, celle-ci consacre à Arles chaque été une exposition aux dix finalistes de son Prix Découverte Louis Roederer, qui récompense un ou plusieurs artistes de l’image pour la singularité de leur pratique, de leur projet et de leur propos. Installée comme l’an passé à l’Eglise des Frères Prêcheurs, la présentation des projets des finalistes de l’édition 2022 du prix – sélectionnés parmi les 280 éligibles – témoigne tout particulièrement d’un rapport partagé de ces photographes à l’intimité. C’est ce que défend sa commissaire Taous Dahmani qui, malgré la diversité des pratiques et des origines des artistes – russe, américaine, marocaine, allemande ou encore brésiliennes –, a identifié dans chaque projet un retour aux origines voire à l’histoire familiale, souvent appuyé par le contexte de la pandémie.

 

 

Rahim Fortune, un projet émouvant autour du deuil et de la violences racistes aux Etats-Unis

 

 

C’est précisément le cas de Rahim Fortune, qui a reçu vendredi 8 juillet dans l’enceinte du théâtre antique le Prix du Jury, composé de quatre personnalités éminentes de la photographie à l’instar de la directrice de la fondation Kadist Art Foundation à Paris Émilie Villez, ou encore la commissaire d’exposition Alona Pardo, officiant à la Barbican Art Gallery à Londres. Âgé de 28 ans, le photographe africain-américain d’origine texane travaillait depuis des années à New York jusqu’à ce que le Covid-19 gagne les États-Unis début 2020. Alors que le confinement s’installe progressivement dans le pays, la situation critique de son père mourant l’incite à retourner dans sa la région de sa ville d’origine, Austin, pour l’accompagner quotidiennement avec sa sœur jusqu’au décès. En ce moment de deuil familial survient alors l’assassinat de Georges Floyd par plusieurs policiers, puis toutes les manifestations qui s’ensuivront aux quatre coins des États-Unis et du monde, pour dénoncer le racisme et les violences des forces de l’ordre. C’est tout ce contexte qui irrigue la série I Can’t Stand to See You Cry (Je ne supporte pas de te voir pleurer) de Rahim Fortune dont les clichés, réalisés intégralement en noir et blanc au fil de cette année difficile, traduisent à la fois l’histoire complexe des États du sud américain, le racisme toujours très présent dans son pays, et le besoin de solidarité entre personnes de couleur à une époque anxiogène, en partant du cercle le plus intime tel que celui d’une famille endeuillée jusqu’à la notion d’une communauté internationale mobilisée autour d’une même cause. L’histoire puissante racontée par les photographies de Rahim Fortune réunit aussi bien des portraits tendres de familles et de couples enlacés, des vues de maisons pavillonnaires et de champs de maïs jusqu’au gros plan très explicite d’une cicatrice marquant l’avant-bras du photographe, stigmate d’une balle tirée par la police, autour de laquelle le vingtenaire est venu faire tatouer la forme du Texas. Une série émouvante et engagée qui a valu à l’artiste de recevoir 15 000 euros de la part de la fondation Roederer, ainsi que de voir une partie de ses œuvres intégrer la collection des Rencontres d’Arles.

Mika Sperling, un projet intime sur un passé familial douloureux

 

 

Si le projet de Rahim Fortune part d’une histoire personnelle pour s’étendre à une vision plus globale et teintée d’inquiétude sur la société américaine, celui de la photographe allemande Mika Sperling, qui a remporté le vote du public du Prix Découverte Louis Roederer, l’a amenée à se replonger complètement dans son histoire familiale douloureuse. Dans sa série Je n’ai rien fait de mal, l’artiste aborde de front le tabou de l’inceste et de la pédocriminalité, à travers sa propre expérience de victime d’abus sexuels par son grand-père pendant son enfance. Le désir d’explorer cette part honteuse et douloureuse de son passé est née lorsque la photographe de 32 ans a appris sa grossesse et a décidé de retourner dans sa maison d’enfance, comme pour y chasser les démons de son passé. L’artiste, qui décrit son projet comme une forme de “photo-thérapie”, présente au centre de l’église une série de clichés autobiographiques extraits d’albums familiaux où elle apparaît aux côtés de son agresseur, dont elle a minutieusement découpé la silhouette comme pour l’effacer matériellement de sa mémoire. En complément, ses récentes photographies du jardin de son enfance bordé de rosiers et autres oeillets où apparaît parfois une main juvénile témoignent d’une manière plus pudique de se réapproprier ce lieu terni par son expérience pour y faire germer l’espoir d’une renaissance. En plus de ces deux prix, dont le deuxième a décerné 5000 euros à Mika Sperling suite au décompte des votes des visiteurs de l’exposition lors de la semaine d’ouverture du festival, le jury du Prix Découverte Louis Roederer a accordé une mention spéciale au projet d’une troisième finaliste, Olga Grotova. Inspirée par les récits de sa grand-mère leur un jardin disparu, l’artiste russe est partie entre Moscou et l’Oural à la recherche de ces lieux naturels, théâtres d’images de propagande pour le travail des femmes et le jardinage durant l’ère soviétique. L’artiste a pour l’occasion inventé une nouvelle forme de photogramme, réalisant des tableaux végétaux à partir de pierres de malachite directement posées sur le papier photosensible.

 

 

Les projets des lauréats sont à découvrir dans l’exposition “Photographier depuis le souffle” des dix finalistes du Prix Découverte Louis Roederer 2022, jusqu’au 28 août à l’Église des Frères Prêcheurs, Arles. Retrouvez la programmation complète des Rencontres d’Arles sur rencontre-arles.com

Olga Grotova, “Tante Anya dans son jardin”, film 8 mm, série “Les Jardins de nos grand-mères” (2022). Avec l’aimable autorisation d’Olga Grotova (archive).