30 juin 2022

Rencontres d’Arles 2022 : de Lee Miller à Noémie Goudal, que voir au festival incontournable de photographie ?

Le 4 juillet dernier, le festival Les Rencontres d’Arles donnait le coup d’envoi de sa 53e édition. Riche d’une vingtaine d’expositions et des œuvres de plus de 160 artistes, le rendez-vous incontournable de la photographie continue à enrichir et élargir sa mise en avant des expression artistiques autour de l’image, que celles-ci soient historiques ou plus récentes, plasticiennes, ethnographiques, humoristiques et/ou engagées. Des expositions de photographes majeurs du 20e siècle tels que Lee Miller, Mitch Epstein et Babette Mangolte aux propositions plus contemporaines de Frida Orupabo, Julien Lombardi et Noémie Goudal, en passant par l’avant-garde féministe foisonnante des années 70, découvrez 9 expositions à ne pas manquer dans la commune provençale jusqu’au 25 septembre prochain.

1. De Birgit Jürgenssen à Martha Wilson, 72 figures majeures de l’avant-garde féministe des années 70

 

 

Les années 70 ont marqué un véritable tournant en Occident : dans un contexte de révolution sexuelle, nombreuses ont été les artistes à utiliser leurs pratiques pour défendre leurs droits et repenser leurs représentations, contribuant à la création d’un art dit “d’avant-garde féministe”, comme le qualifie Gabriele Schor, conservatrice et fondatrice de la collection Verbund à Vienne. Dans son exposition présentée à la Mécanique générale, dont le titre reprend cette expression, la commissaire réunit les œuvres de 72 représentantes de ce mouvement, toutes issues de sa collection. Au fil de cinq thématiques, on y explore comment ces artistes ont pu, à travers leur pratique, interroger voire dénoncer la place des femmes dans la société autant que contribuer à leur émancipation. Ainsi, des œuvres comme les photographies de Valie Export ou de Birgit Jürgenssen critiquent le rôle de ménagère et de femme au foyer auquel a été cantonnée la gent féminine pendant des siècles, jusqu’à évoquer très littéralement l’enfermement dans le carcan domestique, comme l’a fait en 1978 la Néerlandaise Lydia Schouten, lors d’une performance de 1978 où elle se mettait en scène nue, en train de tenter de s’échapper d’une cage en fer. Les autres volets de l’exposition se concentrent tantôt sur la représentation explicite de la sexualité, où des artistes telles que Lynda Benglis, Judy Chicago ou Penny Slinger brisent les tabous liés aux menstruations, au plaisir et au sexe féminin, tantôt sur les représentations des corps à travers la remise en question des canons de beauté, véhiculés par les magazines et campagnes publicitaires, que des artistes comme Cindy Sherman, Martha Wilson, Annette Messager ou encore Ana Mendieta ont largement détournés. Un corpus extrêmement riche qui se clôt sur la photographie d’Orlan “accouchant d’elle-m’aime”, manière symbolique et puissante d’affirmer l’émancipation des femmes et leur droit à pouvoir se présenter au monde comme elles l’entendent.




“Une avant-garde féministe. Photographies et performances des années 1970 de la collection Verbund. Vienne” à la Mécanique générale.

2. Les collages de Frida Orupabo, entre humour, surréalisme et engagement

 

 

Il n’est pas surprenant de retrouver Frida Orupabo dans l’enceinte de la Mécanique générale, à quelques mètres de l’exposition des avant-garde féministe. Si la pratique de l’artiste norvégienne d’origine nigériane a commencé dans les années 2010, elle s’inscrit dans le prolongement de ses aînées à travers ses collages physiques ou numériques de figures féminines, puisant aussi bien dans des images d’archives historiques que dans des vidéos amateurs en ligne. Dans ces œuvres, la trentenaire décompose et recompose le corps de femmes noires qu’elle fixe par des attaches parisiennes à la manière de marionnette en carton. Figés dans des attitudes mélancoliques, érotique ou parfois guerrières, comme en train de monter un cheval ébène, leurs corps et leurs visages assemblés dans des proportions au-delà du réel viennent transformer des représentations longtemps enfermées voire réifiées par l’histoire coloniale, les systèmes de domination et le racisme. Au-delà de ces collages oscillant entre humour, surréalisme et engagement, l’artiste dévoile également dans l’exposition une vidéo quadrillée en neuf écrans carrés où se succèdent des textes, photos et extraits de vidéo, à l’image d’un compte Instagram qui déroulerait les fragments d’une histoire des femmes en constant renouvellement.

 

 

Frida Orupabo, “A quelle vitesse chanterons-nous” à la Mécanique générale.

Mitch Epstein, “Ahmedabad”, Gujarat, Inde (1981). Avec l’aimable autorisation de Black River Productions, Ltd. / Galerie Thomas Zander / Mitch Epstein.

3. L’inde vue par Mitch Epstein dans une abbaye romane

 

 

Au nord-est d’Arles se situe un bijou de l’architecture romane : l’Abbaye Saint-Pierre de Montmajour, fondé en 948 par des moines bénédictins. Si l’édifice en pierre a jadis accueilli un monastère, il a été suite à la Révolution française classé monument historique, ouvert aux visiteurs et a même inspiré des artistes tels que Vincent Van Gogh, qui y a réalisé des dessins dans les dernières années de sa vie. À l’occasion du festival de photographie, le site historique accueille tout un pan de l’œuvre de l’Américain Mitch Epstein. Grand voyageur, l’artiste aujourd’hui âgé de 70 ans a au fil des décennies parcouru son pays avec son appareil photo, capturé l’énergie de New York, mais aussi celle de Berlin ou encore du Vietnam. Ici, c’est un des plus beaux projets du photographe que l’on découvre, consacré à un pays majeur dans l’histoire de sa carrière, l’Inde, où l’homme s’est rendu à huit reprises entre la fin des années 70 et la fin des années 80. La prolifique série qui en résulte dévoile aussi bien le foisonnement de la ville de Bombay, de l’aube au milieu de la nuit, que les paysages ruraux de l’état de Karnataka, jusqu’à la parade nationale dans la capitale du pays, New Dehli – un corpus extrêmement riche dont seul un tiers était jusqu’alors connu du public. Pendant le confinement, l’artiste a pris le temps de se replonger dans les planches contact de cette période et fait tirer des premiers exemplaires de plusieurs dizaines de ses images, offrant l’opportunité de découvrir, dans un cadre historique exceptionnel, tout un pan inédit de son travail sur le deuxième pays le plus peuplé au monde 

 

 

Mitch Epstein, “En Inde. 1978-1989” à l’Abbaye de Montmajour.

Bettina Grossman, Carnet de dessin. Avec l’aimable autorisation de Bettina Grossman.

4. Les abstractions intimes de Bettina Grossman

 

 

En novembre 2021, Bettina Grossman – dite Bettina – s’éteignait à l’âge de 94 ans. Si l’artiste a vécu près d’un siècle, sa carrière dans la peinture, la photographie ou encore la sculpture s’est faite plutôt discrète, notamment outre-Atlantique. L’événement le plus connu de sa carrière reste toutefois son expérience dans le Chelsea Hotel à New York, où elle a vécu pendant plus de cinquante ans. Dans l’enceinte de ce bâtiment mythique de Manhattan, l’Américaine a réalisé un grand nombre d’œuvres traduisant à la fois son rapport à la métropole américaine, à l’atmosphère si particulière et domestique de ce lieu de passage, mais aussi à l’art conceptuel et à l’abstraction dans lequel sa pratique pluridisciplinaire s’est inscrite avec brio. Aux Rencontres d’Arles, l’artiste est célébrée par sa première monographie en France grâce au co-commissariat de Gregor Huber et de la photographe Yto Barrada, qui l’a rencontrée lors de la réalisation d’un documentaire à son sujet et a entretenu avec elle une relation privilégiée jusqu’à la fin de sa vie. Dans le petit espace de la salle Henri-Comte, on découvre à la fois les pages de ses carnets remplis de motifs colorés, ses peintures reproduisant des formes géométriques sur toile ou sur papier ou encore ses sculptures en bois à taille réduite, où ces formes s’imbriquent et se superposent dans le volume. Les clichés de l’artiste présentés dans l’exposition se font le reflet visuel de sa recherche plastique : au fil des rues new-yorkaises qu’elle a longuement arpentées, Bettina a traduit sur ses pellicules l’alignement des éclairages urbains, les structures orthogonales des buildings et les marquages au sol délimitant les routes, mais également mis en scène ses propres sculptures, donnant à lire autrement leurs volumes par d’habiles jeux d’éclairage. Une vidéo des passants de la Grosse Pomme filmée depuis les étages d’un bâtiment révèle également un volet plus méconnu des recherches de l’artiste, qui a minutieusement étudié les déplacements des corps pour mieux les transcrire dans l’abstraction.

 

 

Bettina Grossman, “Bettina. Poème du renouvellement permanent” à la Salle Henri-Comte.

Lee Miller, “Chapeaux Pidoux” (avec marque de recadrage originale de Vogue Studio), Londres, Angleterre (1939). Avec l’aimable autorisation de Lee Miller Archives.

5. Lee Miller : de la photographie de mode à la photographie de guerre, portrait d’une artiste complète

 

 

Lorsque l’on se replonge dans la photographie de magazine de la première moitié du 20e siècle en Occident, Lee Miller en émerge aujourd’hui comme une figure majeure. L’Américaine, que l’on a longtemps réduite à son rôle de mannequin, a connu une carrière prolifique portée par son ambition et son indépendance dans un secteur encore largement dominé par les hommes, mais aussi par sa grande versatilité, restituée dans l’exposition que lui consacre actuellement le festival. Présentée dans l’Espace Van Gogh, qui met chaque été à l’honneur photographes historiques, cette dernière se concentre sur le chapitre le plus dense de sa carrière, de la création de son propre studio à New York en 1932 à la fin de la guerre en 1945. Proche des surréalistes et notamment de Man Ray, qui a contribué à la former à la prise de vue lors de son séjour à Paris, la photographe s’est ensuite rapidement illustrée dans l’art du portrait et de l’autoportrait, attirant l’attention de magazines tels que le Vogue anglais et américain, pour lesquels elle a travaillé régulièrement pendant des années. Organisée en deux parties, l’exposition s’ouvre sur le pan le plus séduisant de la carrière de Lee Miller, de ses campagnes de publicitaires pour Chanel, pour des marques de chapeaux ou de lingerie à ses séries mode témoignant des tendances britanniques des années 30 et 40, en passant par ses portraits intimistes de femmes illustres telles que l’écrivaine Colette ou des actrices comme Dorothy Hale. Puis le ton change brutalement dans la dernière salle. En 1942, alors que l’Europe est bouleversée par la Seconde Guerre Mondiale, Lee Miller est accréditée par l’armée américaine pour restituer le conflit du point de vue des forces alliées dans les pages du Vogue anglais. Au glamour des femmes élégantes succède alors la violence des images de déportés morts et de fours crématoires dans les camps de Dachau et Buchenwald, des gardes SS mutilés dans les prisons ou encore des femmes au crâne rasé dans les tribunaux, accusées d’avoir collaboré avec les Allemands. La gloire féminine émerge toutefois dans l’image des travailleuses de guerre et des femmes engagées dans la marine ayant contribué à la victoire des forces alliées, qui traduisent là aussi toute la sensibilité et le talent de la photographe à convoquer l’émotion en toutes circonstances.

 

 

“Lee Miller. Photographie professionnelle (1932-1945)” à l’Espace Van Gogh.

Lukas Hoffmann, “Photographie de rue”, série “Strassenbilder” (2018-2019). Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

6. Lukas Hoffmann, photographe de l’infime détail

 

 

La peinture noire d’un mur s’effrite pour en faire émerger le blanc de la pierre à vif. La tige inclinée d’une herbe haute jaillit d’un tas de neige, comme la seule plante qui résisterait à l’hiver. L’ombre portée du soleil sous un toit segmente le bitume comme un tangram de nuances de gris. Chez Lukas Hoffmann, le “punctum”, tel que le théorisait Roland Barthes, ce point de détail censé happer le spectateur, surgit du spectacle le plus ordinaire pour illustrer le passage du temps. Dans l’ombre d’une impasse, à la lisière d’une forêt ou derrière l’angle d’une rue, le photographe suisse de 41 ans saisit les recoins du réel sans jamais les altérer. Tout réside dans le cadrage, la lumière et les contrastes – souvent appuyés par le noir et blanc –, la profondeur de champ, la richesse des détails… Pour les souligner, l’artiste travaille depuis vingt ans à la chambre photographique, un dispositif encombrant qui peut sembler aujourd’hui archaïque aux adeptes du smartphone, mais que le photographe apprécie pour sa lenteur d’utilisation, aux antipodes de l’instantané ou de l’image en rafale. “Je fais des photographies qui s’inscrivent dans la tradition du tableau”, dit celui qui tient à maîtriser toutes les étapes du cliché, du tirage à l’encadrement. Aux Rencontres d’Arles, le quadragénaire présente plusieurs ensembles d’œuvres, dont le polyptique d’un mur ébréché, telle une peau abîmée, dont l’écaillement dessine, sur ses six panneaux, une véritable fresque. D’autre part, on retrouvera vingt-cinq tirages de sa série Strassenbilder, photos de passants des rues de Berlin, qu’il dit avoir saisis “tel un pickpocket”. Deux projets qui témoignent d’un véritable aboutissement de la photographie, où l’image parvient à faire disparaître son sujet derrière sa magistrale puissance graphique

 

 

Lukas Hoffmann, “Evergreen” au Monoprix.

Noémie Goudal, image extraite de la vidéo “Below the Deep South” (2021). Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Les filles du calvaire.

7. La nature en déshérence de Noémie Goudal

 

 

Depuis environ dix ans, Noémie Goudal déploie une œuvre visuelle polymorphe dont le point d’ancrage reste le même : le paysage et sa perception. Ses photographies en trompe-l’œil, intégrant dans les décors naturels mêmes leurs reproductions à l’échelle 1 pour perturber leur appréhension, interrogent sans cesse les frontières entre nature et artifice, entre liberté et contrôle. Dans son exposition à l’Église des Trinitaires d’Arles, la pratique de l’artiste connue principalement pour ses photographies prend une autre dimension avec le dévoilement de deux films inédits. Derrière des clichés de palmeraies fragmentées et montés sur grillage, on découvre les images mouvantes d’une nature ébranlée, par le feu sur un premier écran, et par l’eau sur le second. Noémie Goudal y pousse d’un cran son travail du trompe-l’œil : dans le premier film, des tableaux végétaux se succèdent lentement, consumés par les flammes pour dévoiler leur arrière-plan, comme une mise en abyme du paysage en combustion, autant qu’une représentation symbolique de l’image physique figée par l’impression se décomposant, au profit de l’image numérique en mouvement. Dans le second, des palmiers photographiés et imprimés sur panneaux coulent lentement dans une étendue d’eau douce, suspendus par des poulies, jusqu’à disparaître sous la surface plane avant d’en ressurgir. Alors que résonnent simultanément dans l’église les bruits apaisants de la nature tropicale et ces processus de destruction savamment orchestrés par l’artiste, son sens de la dramaturgie apparaît ici plus puissant que jamais alors qu’en émane l’expression minutieuse et poétique des désastres écologiques.

 

 

Noémie Goudal, “Phœnix” à l’Église des Trinitaires.

Babette Mangolte, “Trisha Brown répète « Line Up » dans son loft de Broadway avec, de gauche à droite, Wendy Perron, Judith Ragir, Trisha Brown, Mona Sulzman et Elizabeth Garren” (1977). Avec l’aimable autorisation de Babette Mangolte.

8. Babette Mangolte : dans les coulisses de l’avant-garde new-yorkaise de la danse et du théâtre

 

 

Yvonne Rainer, Trisha Brown, Lucinda Childs ou encore Robert Whitman… tous ces grands noms ont, durant la seconde moitié du 20e siècle, contribué à une grande transformation de la danse et du théâtre aux Etats-Unis. Mais comment restituer aujourd’hui le foisonnement artistique d’antan ? C’est là toute l’importance de l’œuvre de Babette Mangolte qui, dès son installation à New York dans les années 70, se rapproche de cette communauté d’artistes alors en plein renouvellement des arts de la scène. Si la photographe et réalisatrice d’origine française s’est par la suite illustrée par ses longs-métrages salués par la critique, le festival arlésien dédie une exposition à ses débuts auprès de ces chorégraphes et metteurs en scène new-yorkais. Riche de nombreux tirages, l’exposition installée dans l’Église Sainte-Anne dévoile à travers ses clichés les coulisses de spectacles et performances majeures de l’époque. Toujours en noir et blanc, Babette Mangolte y saisit aussi bien les performances de Sylvia Palacios Whitman, mêlant danse et installation en carton, les tableaux de l’opéra Einstein on the Beach de Robert Wilson et Philip Glass, présenté à Avignon en 1976, que les œuvres du dramaturge Richard Foreman, inventeur du “théâtre ontologique hystérique”, dont le style à la fois primitif et conceptuel a beaucoup inspiré la photographe. Parmi ces restitutions de spectacles, répétitions et autres actions en public, l’exposition de Babettte Mangolte dévoile également ses clichés de buildings new-yorkais qu’elle duplique jusqu’à les présenter en miroir, des vues de son loft ou encore de rues délabrées de la métropole américaine. Que l’artiste mette en scène des corps ou des lieux, il est toujours question dans ses images de mouvement, de perspective, d’angle de vue et de rapport à l’espace. Monographie historique phare de cette édition des Rencontres d’Arles, cette exposition soulève combien l’artiste a su apporter discrètement mais sûrement sa pierre à l’édifice d’un moment pivot dans l’histoire de l’expression scénique, dont elle a constitué une archive vivace et passionnante.

 

 

Babette Mangolte, “Capter le mouvement dans l’espace” à l’Église Sainte-Anne.

Julien Lombardi, “Kauyumari, le cerf bleu”, série “La terre où est né le soleil”, Mexique (2017-2021). Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

9. Julien Lombardi : regard onirique sur un territoire sacré du Mexique

 

 

Au centre du Mexique, le territoire de Wirikuta est considéré par sa population – les Indiens Huichol – comme un lieu sacré. Selon leur culture et leur mythologie, cette zone dérsertique en altitude serait même le centre d’origine de notre monde, une terre où, comme le reprend le titre de l’exposition de Julien Lombardi, serait “né le soleil”. Fasciné par cette vallée et son aura auprès de la population mexicaine, le photographe français y a voyagé en 2017 pour explorer ses paysages plus ou moins préservés, autant que partir à la rencontre de sa population et de sa mémoire vivante. Très attentif à maintenir un respect et une certaine distance envers Wirikuta et ses habitants, l’artiste a saisi les stigmates de l’histoire du site et de ses croyances à l’aide de différents procédés, qui l’éloignent du simple projet ethnographique ou anthropologique. Ainsi, qu’il s’agisse de photographies solarisées jetant l’ambiguïté sur leur lieu et leur heure de prise de vue, de scans numériques d’artefacts et éléments naturels collectés sur place – qui prennent la forme d’un véritable cabinet de curiosités visuel – ou de vidéos abstraites saisissant des vibrations de lumière presque mystiques, il est toujours question d’apparition et de disparition dans ce projet ambitieux et protéiforme. Les figures y apparaissent comme des créatures surnaturelles, comme cette vache dont les yeux émettent une lumière d’un blanc éclatant, alors que les êtres humains deviennent des présences fantomatiques sur des images qui semblent avoir été saisies furtivement en plein milieu de la nuit. Constante esthétique de ce corpus, le blanc laiteux permet aussi bien l’effacement qu’il y apporte une forme d’aura onirique. Ainsi, des architectures dépeuplées se fondent dans une clarté totale au point de sembler flotter dans les airs, tandis que des caméras infrarouges dissimulées par l’artiste lui ont permis de capturer avec respect une cérémonie entre les Indiens Huichol et les Mexicains chrétiens, unis par la même volonté de préserver cet endroit unique et fondateur dans l’histoire du pays.

 

 

Julien Lombardi, “La terre où est né le soleil” à la Croisière.

 

 

53e édition des Rencontres d’Arles, du 4 juillet au 25 septembre 2022, Arles. Retrouvez la programmation complète du festival sur rencontre-arles.com