22 mar 2016

Qui est Xu Zhen, artiste exposé à la Fondation Louis Vuitton à l’occasion de “Bentu” ?

Actuel et changeant, le travail de l’artiste Xu Zhen incarne la richesse créative de la nouvelle scène chinoise exposée à la Fondation Louis Vuitton.

Propos recueillis par Nicolas Trembley.

La France a été l’une des premières nations à accueillir des artistes chinois et à les exposer. Une scène artistique qui s’est développée à une vitesse grand V pour finir par s’imposer, dans les années 2000, comme l’une des plus importantes du marché. Où en est-elle aujourd’hui ? C’est la question que la Fondation Louis Vuitton a voulu poser en présentant simultanément l’exposition Bentu (terme qui signifie “la terre natale”), sous-titrée : Des artistes chinois dans la turbulence des mutations, ainsi qu’une sélection d’œuvres de sa collection. La scène chinoise contemporaine se caractérise par un grand éclectisme. À lui tout seul, l’artiste Xu Zhen, né en 1977, incarne cette disparité des styles. À Shanghai, son atelier contient autant de formes différentes que d’œuvres : vidéos qui ressemblent à des spots publicitaires ou à des documentaires, céramiques traditionnelles aux formes mutantes, tableaux abstraits, fresques figuratives, sculptures molles en tissu ou monumentales en béton, qui mixent des références bouddhistes comme des éléments de la frise du Parthénon. On a plutôt l’impression de visiter l’exposition d’un collectif d’artistes, ce qui n’est d’ailleurs pas complètement faux puisque Xu Zhen possède une société, MadeIn Company, qui produit des œuvres pour lui et pour d’autres.

 

 

Numéro : Quelle est votre formation ?

Xu Zhen : J’ai toujours voulu devenir artiste. Mais je me suis trompé, j’ai fait des études de design et de graphisme, alors je me définis plutôt comme un autodidacte.

 

Mais alors, quelles étaient vos références ?

En Chine, dans les années 90, il n’y avait pas Internet. C’est donc principalement dans des magazines que j’ai découvert les artistes internationaux. J’ai d’abord connu le travail d’artistes stars comme Duchamp, Beuys ou Warhol. Comme bien d’autres artistes chinois, je crois.

 

Vous avez créé la structure MadeIn Company, qui vous a permis d’exposer, ainsi que d’autres artistes, et de fonctionner comme une galerie. À quoi correspond ce projet ?

En chinois, ce nom signifie “sans toit”, cela symbolise l’absence de limites, l’infini. Et il y a évidemment un double sens qui joue avec la notion de production made in China. J’aimerais ouvrir d’autres branches de la compagnie à l’étranger, créer un musée et une fondation. À cause de ces diversifications, j’ai décidé de produire à nouveau sous mon nom, pour plus de clarté.

 

Vidéo, peinture, sculpture, performance… votre travail convoque tous les médiums.

Cette diversité reflète certainement l’évolution de la Chine, sa culture hybride et surtout les mutations extrêmement rapides que traverse le pays. De nouvelles perspectives s’ouvrent dans cette société. À Pékin, les problèmes de pollution, d’écologie et de corruption sont au cœur de l’actualité. Le gouvernement en parle, et ça c’est vraiment nouveau. Il y a une ouverture sur des questions qui étaient taboues.

 

Certaines de vos sculptures récentes confrontent la culture classique grecque occidentale et l’histoire bouddhiste de la Chine, quel est le sens de cette opposition ?

En Occident, la tradition et l’histoire contemporaine sont liées, l’évolution est linéaire. En Chine, la Révolution culturelle a entraîné une énorme rupture entre la tradition et l’époque contemporaine. La tradition est presque perçue comme un ready-made sans relation avec le monde contemporain. Visuellement, cela donne lieu à un mix inédit que reflète mon travail.

 

Quelles pièces présentez-vous dans l’exposition de la Fondation Louis Vuitton ?

Je vais y présenter une sculpture mixte inspirée de deux statues du Louvre : le Gaulois blessé, qui date de 200 avant J.-C., et le Soldat de Marathon annonçant la victoire, du xixe siècle. Il y a également une vidéo montrant des exercices de tai-chi qui représentent des gestes liés à diverses croyances et religions. Mais je ne serai pas présent pour installer la pièce, car depuis 2005 je ne voyage plus hors de la Chine, cela me permet d’avoir plus de distance vis-à-vis de la réception de l’art chinois en Occident.

 

Vous présentez vos sculptures en série, en accumulant divers exemplaires d’une même œuvre. Pourquoi ce choix ?

Ee effet, en mars dernier, à Shanghai, j’ai présenté toutes les éditions d’une même œuvre. Cinq vidéos, trois installations, etc. C’était un concept, entre art et consommation, et j’ai pensé que cela donnait plus de force à ce travail. Cela me rappelait les armées de Xi’an en terre cuite par exemple.

 

Votre atelier est gigantesque et vous employez beaucoup de monde, quel est votre rapport à l’argent ?

La plupart des artistes gardent tout pour eux, mais moi je réinvestis tout dans la société… Bon, c’est vrai, j’achète de belles voitures, mais c’est seulement pour garder la face… Ça, je dois l’avouer, c’est assez chinois !

 

 

“Bentu – des artistes chinois dans la turbulence des mutations”, exposition jusqu’au 2 mai, et La Collection – sélection d’œuvres chinoises, jusqu’au 29 août à la Fondation Louis Vuitton, Paris 16e.