Qui est Mehryl Levisse, l’homme qui amène l’art là où on ne l’attend pas ?
Grâce notamment à Balak, une association nomade qu’il a créée en 2011 pour organiser des expositions d’art contemporain, Mehryl Levisse, jeune artiste originaire de Charleville-Mézières, s’active pour faire venir la culture dans sa région natale, comme en atteste sa récente exposition présentée à l’occasion du festival Face B. Retour sur la démarche démocratique et citoyenne d’un homme sortant l’art de ses contextes habituels pour initier avec ses publics des dialogues inattendus.
Par Alexandre Parodi.
Faire venir l’art où il n’est pas
Convaincu qu’après des mois de restriction sanitaire, l’inventivité de l’art peut aider à envisager l’avenir, le carolomacérien a choisi d’exposer des œuvres qui aident à “Penser les possibles”. Pour réponde à ce besoin d’ouverture de l’imaginaire, le Marocain Hassan Darsi a pensé une œuvre aussi magistrale visuellement qu’ambitieuse sur un plan logistiques : 22 tonnes d’eaux ont été déversées dans deux bassins rectangulaires, larges de 8 m et longs de 26 m, occupant presque la totalité de l’espace au sol. Recouverte à la surface d’une poussières dorée, presque cuivrée, ces étendues liquides rappellent le fond d’or des icônes byzantines, ces reflets lumineux agissant alors comme une invitation à un ailleurs spirituel, en quête de plénitude. Pour Absalon, nul besoin de ces espaces éthérés. Dans sa vidéo “Solutions”, l’Israélien mort prématurément en 1993 se représente dans une étroite chambre, entièrement peinte de blanc, d’une dizaine de m2 et dont il a lui-même conçu l’architecture minimaliste et convertible. Le mobilier modulable s’adapte à ses gestes, comme une commode dont le plateau lui sert de lit quand il doit dormir, montrant qu’il est possible de faire avec les moyens du bord. Quant à Julie Faure-Brac, elle aussi originaire de la ville du poète Arthur Rimbaud, où elle née en 1981, c’est par l’invention de sculpture représentant des êtres hybrides – mi-hommes, mi-bêtes à poil – qu’elle prolonge cette exploration des possibles. Suspendues au-dessus des piscines d’or d’Hassan Darsi, ses étranges créatures en plâtres et en bois évoquent les mythologies indiennes et plus précisément la culture totémique. Bison, baleine, ours, chacun renferme un animal protecteur attitré.
Si sa carrière artistique commence enfin à prendre une tournure internationale, Mehryl Levisse n’en oublie pas pour autant d’où il vient. À 36 ans, le Français travaillant à la fois la photographie, la performance et le textile vient d’être sélectionné pour participer à deux biennales d’art contemporain qui se dérouleront simultanément, l’une à Buenos Aires, en Argentine, l’autre à Ouagadougou au Burkina Faso. Et pourtant, c’est à Charleville-Mézières qu’on le retrouvait à la fin du mois d’août, la ville qui l’a vu naître et grandir. Très attaché à sa région natale, les Ardennes, l’artiste y donne de sa personne depuis des années pour pallier le manque de structures dédiées à l’art contemporain avec notamment Balak, la structure nomade qu’il a fondée en 2011 pour mener des projets d’expositions temporaires dans les environs de sa ville, une à deux fois par an. Jusqu’au 26 septembre, Mehryl Levisse et Balak invitaient quinze artistes à investir La Macérienne, une ancienne usine automobile désaffectée réouverte pour accueillir le festival pluridisciplinaire Face B, dévoilant une nouvelle preuve d’un art définitivement démocratique et citoyen.
Faire venir l’art où il n’est pas
Convaincu qu’après des mois de restriction sanitaire, l’inventivité de l’art peut aider à se projeter dans l’avenir, Mehryl Levisse a endossé à nouveau la casquette de commissaire pour son exposition “Penser les possibles”. Les quinze artistes qu’il a réunis à Charleville-Mézières y répondent à leur manière à un besoin d’ouverture de l’imaginaire, particulièrement ressenti ces deux dernières années : ainsi, le Marocain Hassan Darsi dévoile dans l’ancienne usine une œuvre aussi magistrale visuellement qu’ambitieuse sur un plan logistique, où 22 tonnes d’eau ont été déversées dans deux bassins rectangulaires, de 26 mètres sur huit, qui occupent presque la totalité de l’espace au sol. Recouvertes en surface d’une poussière dorée, presque cuivrée, ces étendues liquides rappellent le fond d’or caractéristique des icônes byzantines, ces reflets lumineux agissant comme une invitation à se tourner vers un ailleurs spirituel, source de plénitude. Pour l’artiste Absalon, nul besoin de ces espaces éthérés. Dans sa vidéo “Solutions”, l’Israélien disparu prématurément en 1993 s’est représenté dans une étroite chambre d’une dizaine de mètres carrés, entièrement peinte en blanc, dont il a lui-même conçu l’architecture minimaliste et convertible – l’une de ses fameuses Cellules. Modulable, le mobilier s’adapte à ses gestes, comme une commode dont le plateau sert de lit quand il doit dormir, montrant qu’il est possible de faire avec les moyens du bord. Quant à Julie Faure-Brac, elle aussi originaire de la ville du poète Arthur Rimbaud où elle née en 1981, c’est par l’invention de sculptures représentant des êtres hybrides – mi-hommes, mi-bêtes velues – qu’elle prolonge cette exploration des possibles. Suspendues au-dessus des piscines d’or d’Hassan Darsi, ses étranges créatures en plâtres et en bois évoquent les mythologies indiennes et plus précisément la culture totémique. Bison, baleine, ours… chacune incarne un animal protecteur.
Depuis l’arrivée, il y a 120 ans, de la Macérienne dans le paysage de Charleville-Mézières, certaines fenêtres de l’usine ont eu le temps de chuter, les murs de noircir, les taules du plafond de rouiller. Dépollué puis restauré, l’ancien site de construction automobile désaffecté depuis 1984 doit d’ici 2025 devenir un tiers-lieux accueillant du public toute l’année. Ce n’est pas au hasard que Mehryl Levisse a choisi cette vielle bâtisse de 1500 mètres carrés ouverte à tous les vents pour installer ces œuvres et assurer son rôle d’artiste-commissaire. Pour lui, il s’agissait de montrer que toute situation peut être sublimée, à commencer par ce lieu rendu beau malgré son délabrement. “J’ai voulu le laisser dans son état brut et industriel, raconte le trentenaire, désireux de s’accommoder des contraintes locales en les prenant comme autant de défis curatoriaux. On m’a proposé de le repeindre en blanc mais je n’avais absolument pas envie d’avoir un espace type musée ou galerie” Toilettes publiques, appartements carolomacériens, gymnase désaffecté, rue, anciennes carrières d’extraction d’ardoise… En dix ans d’existence, les expositions de son association nomade Balak se sont toujours déroulées dans des lieux insolites. Une manière délibérée pour leur commissaire de faire venir l’art là où il n’est pas, pour celles et ceux qui n’en voient plus.
Être artiste, un acte citoyen
Issu de la scène underground, Mehryl Levisse a commencé sa carrière “en exposant dans des caves, dans des festivals, parfois des raves…”. Coutumier des soirées queer, il s’est pris de passion – et d’affection – pour les spectacles des drag-queens et drag-kings animant la vie nocturne parisienne, tout en étant très conscient des nombreuses problématiques qui entravent le quotidien des personnes et artistes queer. La question des interactions de l’artiste avec son environnement devient alors centrale chez lui : comment une œuvre peut-elle initier un dialogue une fois sortie de son contexte habituel ? Dans sa performance Horama, présentée le 5 septembre dernier dans le parc de la Villette, Mehryl Levisse mettait en scène l’artiste Cookie Kunty dans une caravane dotée d’une vitrine à travers laquelle ses moindres faits et gestes étaient visibles de tous. Une scène au propos politique, puisqu’elle se jouait dans un espace public non dédié aux communautés LGBTQ+ et exposait potentiellement cette interprète fardée à la violence environnante. En plaçant ces personnages hauts en couleur au centre de ses œuvres, l’artiste confirme sa double obsession pour le corps et les motifs, qu’il alimente aussi en imaginant des êtres vêtus de déguisements bariolés, entièrement cousus par ses soins. “C’est ma grand-mère qui m’a appris à coudre et à tricoter quand j’étais petit, raconte-t-il. Je le vois comme une réminiscence de l’enfance que j’exploite en permanence.” Dans sa dernière intervention intitulée π2, un performeur vêtu de l’une de ses spectaculaires tenues déambulait (jusqu’au 20 septembre) dans le musée des Beaux-Arts de Rouen, déroutant les spectateurs venus voir de l’art classique. Carnavalesques, androgynes et fantastiques, les costumes de l’artiste vont au-delà des genres, en affichant fièrement leur radicale singularité, invitant à casser les normes pour offrir toujours plus de liberté créative.
“Tout artiste se doit d’être engagé, déclare Mehryl Levisse. L’artiste a la capacité de faire le lien avec des publics qui ne peuvent pas avoir accès à certains savoirs. J’ai l’espoir qu’on puisse apporter d’autres discours que ceux véhiculés par les chaînes grand public.” Ainsi, ses interventions sont toujours reliées à un combat social, comme celui pour l’acceptation des communautés LGBTQ+ ou la démocratisation de la culture artistique, y compris jusqu’aux milieux défavorisés. Peu convaincu par l’efficacité des politiques publiques de gratuité des musées, qui, en fin de compte, attirent principalement des visiteurs familiers de ces lieux culturels, Mehryl Levisse préfère sensibiliser à l’art en rendant le spectateur actif. C’est ainsi qu’en août dernier, en résidence au musée national du Feutre de Mouzon, il organise un atelier de médiation autour de la la technique du feutrage des textiles avec des publics scolaires. Avec la même intention, il passe deux mois dans l’usine Bernard Controls (fabricant de pièces pour l’industrie nucléaire), à Garges-Lès-Gonesse en région parisienne, aux côtés de ses employés : “La parole s’est débloquée et la conversation a ainsi pu s’engager” confirme-t-il. Jadis assistant d’autres artistes, Merhyl Levisse a gardé de ces expériences des souvenirs amers et l’impression d’avoir été traité “comme un larbin”. Mal à l’aise au milieu d’une scène artistique parisienne étouffante, il préfère un jour partir au Maroc, où il rencontre Hassan Darsi et devient son assistant pour un stage de trois mois… qui deviendront dix ans. “Cette rencontre m’a réconcilié avec le milieu de l’art. Je me suis aperçu qu’on pouvait avoir une carrière internationale tout en restant bienveillant.”
Mehryl Levisse, “Penser les possibles”, à La Macérienne (Charleville-Mézières), jusqu’au 26 septembre