12 oct 2023

Qui est Lorna Simpson, figure incontournable de l’art américain ?

Exposée actuellement à l’Acacias Art Center, Lorna Simpson est une artiste majeure et incontournable de la scène américaine, pourtant trop rare en France. À l’initiative de Reiffers Art Initiatives, elle endosse le rôle de mentor auprès de l’artiste française Gaëlle Choisne pour une exposition en duo qui ouvre ses portes pendant Paris+ par Art Basel.

Portraits par Dana Scruggs.

Texte par Anaël Pigeat.

Lorna Simpson, une artiste majeure qui sonde les profondeurs du monde

 

Bleu. Les œuvres récentes de Lorna Simpson sont baignées d’un bleu qui donne envie de s’en envelopper. “Nous regardons volontiers le bleu, non parce qu’il se hâte vers nous, mais parce qu’il nous attire”, écrit Goethe, cité par Maggie Nelson dans son beau livre Bluets. Les bleus de Lorna Simpson attirent irrésistiblement. Dans Day and Night (2019), l’une de ses œuvres récentes appartenant à sa série de peintures de glaciers, il faut un peu de temps pour que se dessinent les reliefs qui surgissent de l’obscurité, délavés par des jus d’encre qui coulent dans l’eau gelée. Simpson s’est emparée d’images de l’agence américaine Associated Press qui évoquent le désastre écologique que nous traversons et le réchauffement climatique, mais aussi un état catastrophique des États-Unis. 

 

L’œil d’une femme, surgi d’une fente, d’une meurtrière ou d’un Zip photographique, nous entraîne dans ces profondeurs. Des lignes de texte rompent le silence de cette scène comme autant de fragments énigmatiques, comme des bruits du monde, chuchotements mystérieux que l’on cherche à entendre. “We have been whispering in/ each other’s ears for centuries” (“Nous nous chuchotons aux oreilles les uns des autres depuis des siècles”), écrivait Simpson en 2020 – c’est aussi le titre de l’un de ses poèmes. La nuit se confond avec le jour.

Des expositions au MoMA et à la Biennale de Venise

 

Depuis la fin des années 80, Lorna Simpson est célèbre pour son approche conceptuelle de la photographie, pour ses œuvres associant image et texte, pour ses questionnements et ses mises en cause de la neutralité de la photographie et des mots. Elle s’inscrit alors dans le sillage d’artistes féministes noires comme Adrian Piper ou Lorraine O’Grady. Née à Brooklyn, elle se forme d’abord à la School of Visual Arts de New York, puis sur la côte ouest, à l’université de Californie à San Diego. Son œuvre bénéficie d’une exposition personnelle au MoMA en 1990 – c’est la première que le musée ait consacrée à une artiste noire. 

 

En 1993, elle est invitée à la Biennale de Venise. Au fil des années, ses expérimentations touchent à des territoires divers : photographie, mais aussi collage, sculpture, vidéo, film et jeux avec le langage. Dans ses premières œuvres, des femmes afro-américaines sont vues de dos, dans un espace neutre, associées à des bribes de textes évoquant des scènes de violence froide. “Figured someone had been there because the door was open”, “figured the worst”, peut-on lire par exemple en guise de scénario elliptique dans Figure (1991).

De la photographie à la peinture, une œuvre pluridisciplinaire

 

Plus récemment, son atelier a été envahi de toiles, de bouteilles d’encre et de pinceaux. Elle s’est confrontée à la peinture. Par ses techniques mêmes, elle cultive l’ambivalence que véhiculent ses images. Pour sa série Special Characters, elle enduit de gesso des plaques de fibre de verre, comme les peintres, avant d’y imprimer des images en sérigraphie, puis de les recouvrir d’encres et de pigments. Ses portraits de femmes proviennent de couvertures du magazine Ebony. Elle a utilisé des numéros qui appartenaient à sa grand-mère, et qu’elle avait eu l’occasion de feuilleter pendant son enfance. Cette publication était alors l’une des rares à exprimer les points de vue afro-américains sur les États-Unis.

 

La fragmentation des visages, leur dissimulation par des effets de superposition et par des recouvrements de couleurs délicates, oranges, bleus ou violets, évoquent la fragilité et les menaces qui règnent sur l’Amérique contemporaine. Chez Lorna Simpson, l’image n’est jamais neutre, pas plus que les mots. Il faut chercher, tendre vers les images pour les reconstituer. Car elles échappent. Les visages sont parfois obscurcis, opacifiés. Les visions traditionnelles du genre, de l’identité, de la mémoire et de l’histoire sont brouillées. C’est un art de la suggestion et du doute.

 

Lorna Simpson x Gaëlle Choisne, du 18 octobre au 18 novembre 2023 à l’Acacias Art Center, Paris 17e.