19 oct 2020

Qui est l’artiste-anthropologue Kapwani Kiwanga, lauréate du prix Marcel Duchamp 2020 ?

Ce lundi 19 octobre, l’ADIAF dévoilait le nom du 20e artiste lauréat du prix Marcel Duchamp. Cette année, celui-ci revient à la Franco-Canadienne Kapwani Kiwanga pour son projet “Flowers for Africa”, une chronique fragmentaire et poétique de l’histoire des pays africains incarnée dans une série de compositions florales. L’installation est à découvrir jusqu’au 4 janvier prochain au Centre Pompidou, aux côtés des projets des trois autres finalistes.

Ils s’appellent Clément Cogitore, Dominique Gonzalez-Foerster, Kader Attia, Tatianna Trouvé ou encore Thomas Hirschhorn. Depuis 20 ans, ces artistes composent la liste émérite des lauréats du Prix Marcel Duchamp, créé en 2000 par l’ADIAF afin de récompenser le travail d’un artiste français ou résidant en France dont la pratique plastique et visuelle s’ancre dans les enjeux de son époque. L’an passé, c’est au photographe et vidéaste Éric Baudelaire que revenait cette distinction pour son projet Tu peux prendre ton temps et le long-métrage qui l’accompagne, réalisé avec des élèves d’un collège de Saint-Denis. Ce lundi 19 octobre, un nouveau nom vient officiellement de s’ajouter à ce prestigieux panel de lauréats : celui de l’artiste Kapwani Kiwanga.

 

 

Une artiste-anthropologue

 

 

Plurielle, multi-supports et toujours surprenante, la pratique de cette Franco-Canadienne est loin d’être réductible à un seul domaine. Pourtant, les questions qu’elle soulève sont souvent reliées par le même désir, confinant à une nécessité viscérale : faire transparaître les dynamiques de domination et les structures de pouvoir qui sous-tendent les sociétés et leur histoire. À ce titre, la jeune femme n’est pas seulement artiste mais aussi chercheuse en sciences humaines. Ses études d’anthropologie de la religion à Montréal lui inspirent d’ailleurs en 2011 une trilogie de performances baptisée Afrogalactica, où elle-même s’incarne en anthropologue venu du futur pour imaginer un programme spatial des Etats Unis d’Afrique qu’elle déclare créé en 2058.

Kapwani Kiwanga, vue de l’exposition Surface Tensions, Galerie Jérôme Poggi, Paris, 2018. Courtesy galerie Jérôme Poggi, Paris

Poser sur l’histoire un regard neuf et sensible

 

 

Toujours au cœur du travail de Kapwani Kiwanga, la lecture théorique du monde est ce qui lui souffle les formes de ses œuvres. En 2018, par exemple, l’artiste se plonge dans le guide The Negro Motorist Greenbook, qui répertoriait entre 1936 et 1966 tous les lieux où les Afro-américains étaient les bienvenus – restaurants, bars, hôtels, salons de coiffure… – pour en extraire une version épurée où ne subsistent que les adresses. Ainsi, en réexplorant une histoire parfois oubliée, l’artiste forme de nouvelles archives dotées d’une valeur à la fois artistique et informative. Réalisées la même année, ses structures géométriques plus ou moins transparentes et ses paravents en miroirs rappelant des persiennes formulent les rapports entre dominants et dominés, laissant imaginer la présence des corps qui surveillent sans se faire voir, ou bien sont surveillés à leur insu.

 

Décrites par Kapwani Kiwanga elle-même comme des “stratégies de sortie”, ses œuvres lui valent en 2018 de remporter aussi bien le Frieze Artist Award que le Prix Sobey pour les arts. Pour sa nomination au 20e Prix Marcel Duchamp, l’artiste a soumis un projet qu’elle développe depuis sept ans : Flowers for Africa, un récit fragmentaire de l’indépendance des pays africains qu’elle choisit d’illustrer, sans mots, par des bouquets de fleurs créés pour des évènements politiques majeurs dans l’histoire de ces nations. Exposées sur socles, sur murs ou même suspendues, ces compositions florales deviennent, ainsi sorties de leur contexte, des vestiges poétiques et décoratifs portant en eux les symboles visuels et olfactifs d’une émancipation.

Kapwani Kiwanga, “Flowers for Africa” (2013-en cours). Vue de l’exposition “Prix Marcel Duchamp 2020”, Centre Pompidou, Paris 2020-2021. Copyright ADAGP. Courtesy the artist and galerie Poggi, Paris

Si cette installation peut-être découverte jusqu’au 4 janvier prochain au Centre Pompidou, aux côtés des projets des trois autres artistes finalistes du prix Marcel Duchamp – Alice Anderson, Hicham Berrada et Enrique Ramírez –, l’institution parisienne inaugurera également ce mercredi une exposition consacrée à tous ses lauréats depuis 2000, à l’occasion de son vingtième anniversaire. À seulement quelques pas de là, la galerie Jérôme Poggi présente également en ce moment des œuvres récentes de Kapwani Kiwanga : des compositions textiles assemblées autour de bannières brodées de perles et de paillettes par des artisans haïtiens. Une porte d’entrée pour le moins complète dans l’œuvre protéiforme de l’artiste, à laquelle l’ADIAF remettra pour sa victoire la somme de 35000 euros.

 

 

“Prix Marcel Duchamp 2020” et “20 ans du Prix Marcel Duchamp”, jusqu’au 4 janvier 2021 au Centre Pompidou, Paris 4e.



Kapwani Kiwanga, “Nations”, jusqu’au 20 novembre à la galerie Jérôme Poggi, Paris 4e.

Kapwani Kiwanga, “Nations : Cap Français 20,21,22 and 23, June 1793” (2020). Broderie en sequins et perles, galons, divers tissus cousus, barre de suspension en métal peint. Courtesy galerie Jérôme Poggi